Depuis l'échec de l'accord de Charlottetown il y a deux décennies, on ne parle plus de la «question du Québec» dans le reste du Canada. Ce Canada, soyons clairs, n'est guère le «Canada anglais» d'antan, quels qu'en soient les impressions ou les dogmes à son égard véhiculés depuis le Québec.
C'est un Canada dont les identités et l'imaginaire des citoyens sont divers, de plus en plus urbains, hyperrégionalisés, voire polyglottes. Et, il faut l'avouer, c'est un Canada dont les nouvelles générations de leaders intellectuels, culturels et politiques connaissent mal le récent contexte historique, constitutionnel et idéologique dans lequel le Québec d'aujourd'hui, du moins sur le plan de son imaginaire à lui, s'est détaché du reste du Canada et, dans une grande mesure, s'est replié sur lui-même. De surcroît, c'est un Canada dans lequel les amitiés personnelles et professionnelles entre lesdites nouvelles générations de leaders des deux anciennes solitudes sont devenues de plus en plus limitées.
Certains, au Québec comme dans le reste du Canada, prônent l'idée que, d'un côté, cette intensification des deux solitudes confirme la nécessité éventuelle d'une rupture totale du Québec avec la fédération canadienne et, de l'autre côté, le besoin de préserver le statu quo d'immobilisme politico-constitutionnel quant à la «question québécoise» afin de ne pas perturber une stratégie qui, pour l'instant, semble être propice à l'unité du pays.
Sauf que force est de constater qu'à mesure que dure ce dialogue de sourds et de muets, ce n'est plus le silence sur la question québécoise qui règne, mais une ignorance totale de toutes parts quant à la manière dont il faut parler — ou faudra parler, l'un de ces jours — de cette question axiomatique qui anime le Canada depuis sa genèse.
Le Québec et la prochaine génération
C'est dans ce contexte de silence et d'ignorance croissants que l'on a organisé récemment, à contre-courant, une grande conférence à la School of Public Policy and Governance de l'Université de Toronto sur «la question du Québec pour la prochaine génération». La conférence, mise sur pied en collaboration avec l'UQAM, incluait plusieurs figures de taille des récents débats sur le destin du Québec et du Canada (Bernard Landry, Brian Tobin, David Peterson, Louise Arbour, Daniel Turp, Patrick Monahan) ainsi que plusieurs nouvelles vedettes des mondes intellectuels et politiques (Ian Brodie, Alexandre Cloutier, Payam Akhavan, Martha Hall Findlay, Douglas Sanderson, Eugénie Brouillet, Luc Turgeon, Michael Byers et François Tanguay-Renaud) qui auront sans doute quelque chose d'intéressant à dire sur ce dossier clé dans un avenir prévisible.
La conférence traita de quatre thèmes: le diagnostic de l'état de la discussion pancanadienne sur le Québec, les perspectives d'amendements de la Constitution canadienne, la relation entre la conjoncture internationale et la question québécoise, et les futurs scénarios politico-stratégiques quant à cette question. La conférence a joui d'une couverture nationale en français et en anglais. De fait, dans les deux langues, les médias ont mis l'accent sur le deuxième panel (concernant la Constitution) dont l'un des messages retentissants — surtout de la part du juriste Patrick Monahan — était qu'une modification constitutionnelle ne serait ni possible ni désirable à court terme vu la probabilité d'un échec dont les conséquences déstabilisatrices seraient notoires.
Nécessité d'un nouveau dialogue
L'obsession médiatique à propos de ce constat constitutionnel — constat qui ne devrait aucunement surprendre ceux qui suivent le débat pancanadien depuis la période Meech — trahit le bien-fondé intellectuel d'une telle conférence qui avait comme but principal de jeter les bases d'une conversation éclairée entre les futurs acteurs de fil sur la question québécoise, de bâtir les contacts entre les divers camps idéologiques (fédéralistes, souverainistes, indifférents et philistins) et de faire valoir les différents arguments vis-à-vis de la question québécoise avec laquelle les nouvelles générations de penseurs et praticiens politiques devront composer.
La conférence s'est distinguée moins par le manque de consensus sur la question et ses suites pratiques (mais comment arriver à un consensus sans connaître le dossier et sans y avoir réfléchi depuis plus de deux générations?) que par le gel historique dans lequel se trouvaient les discours des anciens guerriers de ce théâtre — Landry, Peterson, Tobin, Turp — ainsi que le manque de pratique, d'immersion et de points de départ communs des jeunes acteurs qui se penchaient sur cette question soit pour la première fois de leur vie, soit pour la première fois dans un tel forum «chaud».
Bref, même la brillance des jeunes conférenciers (et par excellence celle d'Akhavan, de Turgeon et de Sanderson) n'a su cacher la pénurie générale de culture par rapport à la question québécoise et ses nuances fâcheuses. Or, cette pénurie culturelle est tout à fait symptomatique de la perte de culture publique au Canada (y compris au Québec) sur la question québécoise! C'est-à-dire qu'on a vraiment oublié comment en parler, et comment s'entre-parler.
Que faire donc, et pour quoi faire?
Le grand enthousiasme des jeunes conférenciers et des jeunes étudiants qui assistaient à la conférence est en soi la preuve d'une certaine soif de conversation, voire une fascination pour le fait que la question québécoise rende la dynamique publique au Canada — autrement peut-être banale — intéressante et exotique. S'il est important que son pays soit intéressant! Et ce fait d'avoir un pays intéressant (et qui s'intéresse!) influence l'esprit de la politique canadienne et de l'approche de ses leaders à l'égard de maints autres enjeux de la vie du pays.
Il est donc essentiel de relancer le dialogue — surtout pour les leaders en formation et les jeunes. Il nous faut créer et trouver les canaux pour ce faire partout au Canada. Et que le contenu de ce nouveau dialogue soit dénué des dogmes d'antan: c'est-à-dire de l'absolutisme de ces séparatistes purs et durs qui nient les grands atouts d'un pays comme le Canada, du cartésianisme inflexible de ces «Anglos» qui ne savent que faire avec le caractère unique du Québec et, finalement de cette arrogance facile des bons vivants qui prétendent que le Canada survivrait à la sécession du Québec.
Des pistes de discussion
Six constats s'offrent afin d'encadrer le relancement de ce dialogue:
1. Il est hyper improbable que quelconque amendement multilatéral à la Constitution canadienne puisse se réaliser afin de correspondre aux «revendications» traditionnelles du Québec. La fenêtre d'opportunité pour de tels amendements s'est fermée avec le passage de l'ère Meech. Cela dit, on pourrait bien envisager un ou deux amendements bilatéraux, par le biais de l'article 43 de l'Acte constitutionnel de 1982, qui élaboreraient les protections dont jouissent la langue française et le droit civil au Québec.
2. Sans le Québec, il n'y a pas de Canada. Cela n'a rien à voir avec les récents débats surmédiatisés concernant les «valeurs» québécoises et leur poids dans l'ensemble de la vie canadienne. C'est plutôt un constat stratégique: sans le Québec actuel, le Canada ne jouirait d'aucune continuité territoriale. Le Canada ne survivra pas à cette rupture territoriale — ni économiquement, ni sur le plan de la cohérence de son identité, ni sur le plan géopolitique.
3. Mais sans le Canada, il n'y a pas de Québec; ou du moins, il n'y a qu'un Québec appauvri, amoindri et, certes, replié sur lui-même. Mis à part les multiples contestations du territoire québécois au lendemain de sa souveraineté, le Canada (ou du moins l'idée du Canada) est en quelque sorte constitutif de l'identité québécoise comme telle — de sorte que cette dernière ne puisse exister sans ce premier.
4. Est-ce que le Canada, dans tous ses paradoxes existentiels, doit forcément jouir d'un imaginaire unique, ou est-ce qu'il peut survivre, voire fleurir avec des imaginaires intérieurs divers et même divergents (mettons un imaginaire québécois, un autre imaginaire torontois, un autre imaginaire maritime, etc.)? Réponse: Si! Voilà la force et l'intérêt du pays!
5. Le grand jeu de l'Arctique et de son devenir — peut-être l'enjeu géopolitique clé pour le Canada au XXIe siècle — ne sera guère maîtrisé par un Canada déchu, c'est-à-dire un Canada déchiré en plusieurs parties constitutives. Un Québec indépendant, dépourvu de la force multiplicatrice du Canada (deuxième pays au monde sur le plan de sa superficie) sera lui aussi perdant dans ce grand jeu.
6. Que faire du bilinguisme au Canada au XXIe siècle? Réponse: mettre l'accent sur le trilinguisme et le quadrilinguisme — le cas de plusieurs pays ambitieux en Europe et en Asie oblige! Que ce trilinguisme ou quadrilinguisme au Canada passe bel et bien par la maîtrise du français et de l'anglais. Mais sortons bien de ces cages mentales anachroniques que l'on s'est construites.
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Irvin Studin - Rédacteur en chef du magazine Global Brief et professeur adjoint et directeur de programmes à la School of Public Policy and Governance de l'Université de Toronto
« The Quebec Question for the Next Generation »
Débats constitutionnels - Il n'y a pas de Québec sans le Canada
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