Ne concédant aucunement à l'accusation d'«arrogance» face au Québec (n'ai-je pas initié et organisé, avec mon ami Alain G. Gagnon et sa collègue Caroline Tuohy, la plus grande conférence de ce jeune siècle sur le Québec justement parce que je l'aime et l'admire et parce que je désespère de la pauvreté grandissante de la culture pancanadienne sur la question québécoise?), je souhaite approfondir la piste de la candeur.
Quand M. Roy déclare que «Studin nous explique que toute reconnaissance constitutionnelle du Québec doit être mise au rancard», il verse dans le sophisme pur. Il s'agit de ma part d'un constat analytique plutôt que d'un voeu personnel: il est hyper-improbable qu'il y ait de grands amendements multilatéraux à la Constitution canadienne sur la question québécoise justement en raison de l'hypercomplexité de la procédure d'amendements et des obstacles qui y ont été ajoutés depuis les échecs de Meech et de Charlottetown (si l'on en doute, prière de consulter l'excellente étude de 2001 rédigée par le juriste québécois José Woehrling Les aspects juridiques de la redéfinition du statut politique et constitutionnel du Québec).
Même si j'étais jeune à l'époque, j'étais pour Meech. Mais je travaille dans la réalité, et je constate donc que les chances existent toujours pour faire des amendements bilatéraux (Ottawa-Québec) sur la Constitution, par le biais de la section 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, afin d'augmenter la protection de la langue française et du Code civil au Québec. Je serais favorable à de tels amendements.
Sortir des discours simplistes
M. Roy déclare aussi que mon constat selon lequel «sans le Québec, il n'y a pas de Canada» trahit «l'angoisse du Canada anglais de voir son beau et grand pays brisé» par la sécession du Québec. Il ne s'agit pas là d'un sophisme, mais du cynisme pur et simple. À nouveau, j'offre ici un constat analytique: il est peu probable que le Canada puisse survivre comme entité géopolitique à la suite de la perte du Québec. C'est une considération matérielle que je soulève afin que l'on puisse mieux comprendre, même de façon brutale, où nous mène tout discours simpliste sur l'avenir du Québec et du Canada.
Si le Canada disparaît, en fin de compte, après une sécession, un Québec indépendant, mis à part toute contestation territoriale de celui-ci (thème évoqué par le juriste Douglas Sanderson lors de ladite conférence sur le Québec), opérera dans un éventuel scénario géopolitique de trois ou quatre États réduits sur l'ancienne superficie canadienne. Dans un contexte où la puissance américaine va diminuant et où l'Arctique canadien représentera l'un des grands théâtres de concurrence stratégique pour les grandes puissances de ce siècle, j'insiste à nouveau pour dire que tous les nouveaux États de l'après-Canada — y compris le Québec — seront les grands perdants à ce jeu.
Mais passons aux perspectives d'un avenir commun — comme Québécois et Canadiens. Car il y a des millions de Canadiens de la «nouvelle génération» qui, comme moi, demeurent fascinés par le Québec et qui sont fiers du fait que le Québec soit le fait culturel et politique le plus intéressant et éclectique du Canada. Du côté québécois comme du côté du reste du Canada, on a perdu l'ancien instinct de dialogue avec l'autre — instinct qui fit la force du Canada par le passé.
Les bases du dialogue
Il faut donc à nouveau jeter les bases — personnelles et institutionnelles — d'un dialogue du XXIe siècle sur l'avenir du Québec et sur l'avenir du projet canadien plus globalement. En nous comparant aux pays les plus ambitieux de notre époque, je rêve que ce dialogue ne se limite pas qu'au français et à l'anglais; je prône depuis longtemps un triliguisme et quadrilinguisme qui passerait par la maîtrise partout au Canada du français et de l'anglais (les deux!) et ajouterait l'espagnol, le chinois, l'arabe, le russe ou bien même une langue autochtone. Ce n'est pas une marginalisation du fait français, mais au contraire, l'expression d'un minimum pour les jeunes Canadiens de ce nouveau siècle exigeant.
Ce dialogue renouvelé devrait être axé sur la reconnaissance que le Canada, nonobstant ses défauts et ses contradictions intrinsèques, est depuis sa genèse un projet pratique — une construction politico-stratégique qui demeure l'envie d'un monde instable — et que le Québec, société distincte qui fut cofondatrice de ce projet, a toujours été fondamental à l'existence et au succès de ce projet et le demeurera dans tout avenir prévisible.
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Irvin Studin, rédacteur en chef du magazine Global Brief et professeur et directeur de programmes à la School of Public Policy de l'Université de Toronto
La réplique › Canada-Québec -
Sur la question québécoise, prise deux
CANADA «The Quebec Question for the Next Generation»
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Irvin Studin - Rédacteur en chef du magazine Global Brief et professeur adjoint et directeur de programmes à la School of Public Policy and Governance de l'Université de Toronto
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