La révolution conservatrice

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Grâce à la majorité parlementaire obtenue en mai dernier, le premier ministre Stephen Harper bénéficie d'une immense autonomie politique lui permettant de mettre en oeuvre l'essence de sa doctrine en matière de politique extérieure. Mais si l'on est en droit d'en noter la profonde teneur idéologique, il est également nécessaire d'en souligner le caractère pragmatique.
La politique étrangère est en grande partie soumise aux mêmes forces qui gouvernent la politique intérieure. En ce sens, elle peut être évaluée à la lumière du principal et primordial objectif du premier ministre fédéral: faire du Parti conservateur le parti «naturel» aux yeux d'une majorité de Canadiens. Son bilan à cet égard est largement positif.
Le gouvernement s'est ainsi employé à transformer la culture politique canadienne de manière à la rendre plus «conservatrice», grâce aux symboles que représentent le patriotisme militaire, la monarchie britannique, la supériorité morale et la puissance économique du Canada.
Le gouvernement conservateur a donc respectivement dépeint le Canada comme nation guerrière, en rendant hommage aux militaires ayant combattu en Libye et en pourfendant les Russes en Arctique; comme fière héritière des valeurs et des institutions britanniques; comme État démocratique et de droit, capable de tenir tête aux dictatures oppressives et aux régimes islamistes; enfin, comme puissance économique d'envergure mondiale, notamment par la conclusion de plusieurs accords commerciaux.
Ces dossiers permettent de différencier le gouvernement conservateur de ses prédécesseurs libéraux, et d'ainsi montrer la prétendue supériorité des symboles conservateurs par rapport à ceux qui composent le mythe du Canada libéral: multiculturalisme, compromis, Charte des droits de la personne, gardien de la paix.
Malgré un attachement indéniable à ces symboles, les Canadiens affichent néanmoins une attitude favorable au Canada conservateur. Près de 64% des Canadiens estiment que leur pays se dirige dans la bonne direction, selon un sondage effectué en octobre. Et un Canadien sur deux juge que la réputation du Canada s'est améliorée au cours de l'année.
Le premier ministre Harper peut ainsi se réjouir, car son principal objectif politique est sur la bonne voie d'être atteint, grâce notamment à une politique extérieure à saveur très idéologique.
Mais lorsque l'on y regarde de plus près, plusieurs des politiques mises de l'avant par le gouvernement conservateur demeurent similaires à celles de ses prédécesseurs. Le patriotisme militaire constitue un exemple clair. La ferveur avec laquelle le premier ministre vante les prouesses militaires du Canada, de l'Afghanistan à la Libye, n'a pas d'égal. Il va jusqu'à qualifier d'anticanadienne toute critique à l'endroit du militarisme et des militaires, de Kandahar à la guerre de 1812, en passant par l'acquisition de F-35.
Cependant, c'est le gouvernement Harper qui a mis fin, cette année, à l'engagement militaire à Kandahar, amorcé par le premier ministre Paul Martin. Que la participation canadienne à la guerre de Libye est similaire, autant par son ampleur que par son objectif politique, à la guerre du Kosovo, avec une différence de taille: contrairement à Stephen Harper, Jean Chrétien a engagé le Canada dans une guerre sans l'aval du Conseil de sécurité des Nations unies. Enfin, que les investissements militaires significatifs consentis par le gouvernement Harper servent, pour l'essentiel, à remplacer les capacités militaires actuelles du pays, sans pour autant les accroître. Même avec l'achat de F-35 et une armée revigorée par un patriotisme exacerbé, le Canada ne pourra déployer plus d'avions de combat ou de soldats qu'il ne le fait déjà dans des missions outre-mer.
Ainsi, si «révolution» idéologique il y a, elle demeure confinée à trois dimensions, non négligeables: la rhétorique symbolique, employée avec verve contre les régimes syrien et iranien; la défense sans nuance d'Israël, illustrée par les votes du Canada à l'ONU; enfin, le mépris manifeste d'Ottawa envers les Nations unies, dont l'échec le plus cuisant de l'année, le siège au Conseil de sécurité, en illustre l'apogée.
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Justin Massie
L'auteur est professeur adjoint à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangères et de défense canadienne de l'UQAM

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L’auteur est professeur adjoint à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangères et de défense canadienne de l’UQAM.





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