Voir aussi:
http://www.etat-critique-blog-politique.com/article-desmarais-l-ami-de-sarkozy-la-depossession-tranquille-99978563.html
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AVANT-PROPOS
Je ne suis ni contestataire, ni révolutionnaire. Ce n’est pas dans mon caractère ou mes valeurs. Je ne l’ai jamais été, même en mai 1968 lorsque j’étais étudiant en Europe. Pour que j’en vienne à écrire un livre comme celui-ci, il a donc fallu que je découvre des faits que j’ignorais, et que je les trouve à ce point déterminants que je sente le besoin non seulement de remettre en question ma vision du système dans lequel nous vivons, mais aussi de chercher à mettre en lumière des agissements qui illustrent à mes yeux la face la plus détestable du capitalisme.
J’ai passé la plus grande partie de ma carrière dans les entreprises, autant des très grosses que des toutes petites, des nationales que des multinationales, et de par mes fonctions qui ont souvent consisté à représenter leurs intérêts auprès du public, des médias et des gouvernements, j’ai souvent eu à m’interroger sur la légitimité de leurs activités et de leurs actions. Il est en effet beaucoup plus facile de promouvoir ou de défendre une cause dont on est profondément convaincu des mérites.
Pendant toutes ces années, il m’est rarement arrivé de me sentir en porte à faux avec les intérêts que je représentais, et lorsque cela se produisait, je prenais rapidement mes distances. Ainsi, je me souviens d’avoir dit au président d’une grosse entreprise qui exploitait plusieurs usines au Canada et aux États-Unis, après seulement quelques mois passés à son service en tant que vice-président aux affaires juridiques, que je ne pourrais pas le servir loyalement et qu’il valait mieux que je m’en aille.
C’est pendant les années que j’ai passées à la tête de l’Association des Manufacturiers que j’ai raffiné ma compréhension de l’entrepreneurship et des deux grands modèles qui s’opposent, les bâtisseurs d’une part, et les écumeurs ou prédateurs de l’autre. Autant j’ai du respect pour les premiers, autant j’en ai peu pour les seconds.
Les bâtisseurs, ce sont ceux qui montent leur entreprise et assurent sa croissance et son succès en maîtrisant tous les aspects de la valeur ajoutée. Ils sont amoureux de leur métier et sont constamment en train de raffiner leurs produits et leurs procédés. Ils investissent dans la recherche et le développement, ils connaissent la contribution de leurs employés à leur succès et se comportent en toute chose de manière responsable.
Les écumeurs ou prédateurs, eux, ne s’intéressent qu’à la rentabilité financière de l’entreprise qui n’est pour eux qu’une machine à sous. Leur métier, c’est l’argent, et ils portent la responsabilité de la crise actuelle. Ce sont en effet leurs abus qui risquent désormais de précipiter le capitalisme dans sa chute.
Paul Desmarais n’est pas un bâtisseur. C’est un prédateur, un loup qui a compris qu’il est beaucoup plus facile de convaincre le berger de lui ouvrir toutes grandes les portes de la bergerie que de chercher continuellement à déjouer sa surveillance.
Son modèle d’affaires présente toutefois une faille majeure : il repose essentiellement sur l’opposition systématique entre ses intérêts personnels et l’intérêt collectif. C’est en effet ce que j’ai pu découvrir au fil des deux dernières années, en allant de surprise en surprise.
Le séjour en famille de Michael Sabia, président de la Caisse de dépôt, au somptueux palais de Paul Desmarais à Sagard aura permis à tous les Québécois de découvrir le caractère totalement anormal et inacceptable des pratiques de l’empire Desmarais dans ses rapports avec le Gouvernement du Québec, ses ministères et les entreprises et organismes qu’il contrôle.
Et lorsqu’on voit le vénérable et prudentissime Le Devoir se fendre d’un éditorial comme il l’a fait en février dernier pour mettre sur le même pied l’habitude de Tony Accurso de cultiver ses « affaires » sur son yacht et celle de Paul Desmarais de recevoir ses « invités de marque » à Sagard, on comprend que l’image de ce dernier vient de chuter brutalement de plusieurs crans.
J’ai commencé à m’intéresser aux pratiques des Desmarais et de Power il y a deux ans, dans la foulée de l’annonce par Hydro-Québec de son intention d’acquérir Énergie Nouveau-Brunswick, une décision qui n’avait d’autre justification que de paver la voie à une privatisation éventuelle de notre société d’État que René Lévesque surnommait avec fierté « le navire-amiral de l’économie québécoise ».
Effectivement, l’acquisition d’Énergie NB aurait eu pour effet de faire d’Hydro-Québec une entreprise interprovinciale de compétence fédérale en vertu de la Constitution. Perdant sa compétence, le gouvernement québécois aurait eu beau jeu d’argumenter que Hydro-Québec ne revêtait plus pour le Québec le même intérêt stratégique, et il aurait fait miroiter aux Québécois « l’avantage » de privatiser l’entreprise pour réduire le fardeau de la dette du Québec et dégager d’importantes marges budgétaires pour maintenir à flot nos systèmes d’éducation et de santé, par exemple.
En fouillant ce dossier qui a fini par avorter, j’ai eu la surprise de découvrir à quel point Power Corporation, la société que contrôle Paul Desmarais, était parvenue à s’immiscer aux niveaux les plus élevés de l’appareil décisionnel du Québec, au point même d’être représentée au conseil d’administration d’Hydro-Québec.
Cette présence révèle toute son incongruité lorsqu’on découvre que Pargesa, la filiale européenne de Power, détient une participation importante dans GDF-Suez, le « 1er producteur indépendant d’électricité mondial », aux dires mêmes de cette dernière.
On ne se surprendra donc pas de l’intérêt que porte Power à l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, dont on sait maintenant qu’il ouvrira toutes grandes les portes de la concurrence dans les services publics, et qu’il aboutira éventuellement à la privatisation d’Hydro-Québec.
Cette privatisation, Hydro-Québec ne se gêne d’ailleurs même plus pour l’anticiper ouvertement, comme en fait foi l’apparition d’un volet « Relations avec les investisseurs » sur son site Internet. À ce jour que nous sachions, l’Hydro-Québec n’a toujours qu’un seul actionnaire, et c’est le Gouvernement du Québec. Nous sommes donc devant une tentative de conditionner tranquillement les esprits aux changements qui s’en viennent.
Mes recherches sur Power m’ont permis d’écrire à son sujet une bonne cinquantaine de chroniques sur le site Vigile.net au cours des deux dernières années. Desmarais est partout. On connaît son influence à la Caisse de dépôt, mais on trouve aussi sa trace sur l’Île d’Anticosti où il convoite notre pétrole, dans la Vallée du St-Laurent où il est présent dans les gaz de schiste, à Montréal où il a réussi à s’infiltrer au CHUM et dans le PPP constitué pour construire et exploiter le nouveau centre hospitalier. Enfin, le Plan Nord est taillé sur mesure pour ses intérêts. Les Québécois ont connu la Révolution tranquille. L’Empire Desmarais leur mijote la Dépossession tranquille.
Afin de faire partager aux lecteurs l’évolution de ma pensée au fur et à mesure de mes découvertes, j’ai choisi de reprendre mes chroniques en ordre chronologique, en les regroupant par sujet, et en les agrémentant des commentaires que m’inspirent des développements plus récents ou le recul que seul permet le passage du temps.
Ce recul m’a permis de faire des liens qui m’avaient échappé au fil des jours, et de replacer certains événements et certaines analyses dans un contexte plus large. Le portrait d’ensemble y gagne en pertinence et en précision. La preuve est accablante.
Je m’en voudrais de terminer cet avant-propos sans suggérer aux lecteurs qui peuvent être intéressés par l’historique de Power Corporation de lire l’excellent ouvrage de Robin Philpot, « Derrière l’État Desmarais : Power » .
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7 commentaires
Archives de Vigile Répondre
25 juin 2012> Effectivement, l’acquisition d’Énergie NB aurait eu pour effet de faire d’Hydro-Québec une entreprise interprovinciale de compétence fédérale en vertu de la Constitution.
En vertu de quel article svp? Je ne trouve pas.
Archives de Vigile Répondre
3 avril 2012Ça en prenait moins que ça pour constituer un tribunal populaire. Si on laisse faire, Desmarais mérite de nous passer dessus.
Archives de Vigile Répondre
23 février 2012M. LeHir,
Voici deux faits sur lesquels j'aimerais attirer votre attention et qui illustrent les moyens dont disposent ceux qui font partie du cercle de ces prédateurs de haut niveau.
Le premier est lié au souvenir que plusieurs ont de l'élection de René Lévesque, le 15 novembre 1976. Ce soir-là, on a peut-être été surpris d'entendre dans le discours de victoire l'annonce de la nationalisation de l'industrie de l'amiante au Québec. C'était au moins aussi gros que la nationalisation de l'électricité. Il faut savoir que dans le contexte de l'époque, la production mondiale de l'amiante était issue à 85% du Québec, et c'est peut-être encore le cas aujourd'hui. Il s'agissait, bien entendu d'un geste symbolique qui signifiait aux colonialistes modernes, qui prennent les richesses naturelles d'un terriroire comme leur appartenant, la fin d'une récréation qui les avait avantagés jusque-là. Il faut se souvenir qu'une douzaines d'années auparavant, René Lévesque avait été le titulaire du ministère des ressources naturelles du Québec. Rien de plus naturel à cette occasion que de faire savoir que le comptoir colonial était du passé.
La réplique ne s'est pas faite attendre. On appris depuis ce jour que l'amiante est responsable d'une forme de cancer, qu'à la manière des cigarettiers, on avait caché pour ne pas nuire à ses profits. Voyez qui est monté aux créneaux avec le plus de virulence: la France. Notez au passage comment on a traité la récente étude d'une équipe de chercheurs de l'université McGill qui questionne cette idée maintenant acceptée sans discussion. Ayant fait des études en géologie à Polytechnique dans ces années d'émancipation populaire, je me souviens qu'on soulignait dans nos cours d'alors la propriété unique de l'amiante d'Asbestos (qui signifie aiguille en grec, d'après la forme de ses cristaux) d'avoir des aiguilles d'une taille exceptionnelle qui la rend non seulement facile à tisser mais qui en réduit les risques pour la santé. General Dynamics, qui était le grand perdant dans cette affaire et qui entre autres activités produit des avions militaires, tentait quelques années plus tard, avec le contrat des F18 du gouvernement Mulroney, de faire déménager l'industrie de l'avionnerie canadienne de Montréal vers Winnipeg. Pas de chance, les contrats d'entretien sont allés à la région de Montréal. C'est que la matière grise qui pouvait passer de l'Angleterre à l'Améqrique du Nord du temps de la menace nazie, avait eu le temps de migrer de culture dans le courant des années soixante. Les ingénieurs européens venus pendant le conflit, avaient passé la main aux petits locaux qui s'étaient entretemps donnés les moyens de leur compétences. On ne déménage pas des québécois francophones de Montréal vers Winnipeg en 1980 comme on déménage des Anglais de régions industrielles bombardées vers une région paisible de l'empire britannique, en 1940.
Le deuxième événement est plus près de nous. Il s'agit des célébrations du 400ème anniversaire de la fondation de Québec par Samuel de Champlain, le 3 juillet 2008. Juillet, le mois creux, celui sans événement valable pour la presse. Que ne ferait-on pas pour vendre du papier à ce moment de l'année ? Combien de faits divers prennent le devant de scène en été ? Pendant que le conseil des ministres de la France était réuni de façon extraordinaire à Québec pour l'occasion, quelle fut la manchette le soir du 2 juillet, juste à l'heure du "prime-time" ? La libération d'Ingrid Betancourt au sujet de laquelle on avait, dans les mois ou semaines précédents, eu l'écho d'une quelconque évolution. Sans cette nouvelle, la presse mondiale aurait rappelé à tous et peut-être appris à beaucoup la réalité et la profondeur de nos racines. Consolons-nous, quelque temps après, on a eu droit à Paul McCartney sur les Plaines ! Drôles de coïncidences qui, si elles n'en sont pas, ont le mérite de nous révéler l'ampleur des ressources sur lesquelless peuvent compter les membres de ce club de malfaisants.
Le pire, comme vous le dites, c'est que ce n'est pas fini.
Archives de Vigile Répondre
23 février 2012M. Le Hir je vous ai connu dans votre ancienne vie, quelle évolution vos analyses sont des brûlots continuez magnifique travail vous frappez dans le mille.
Archives de Vigile Répondre
23 février 2012Bravo, tout simplement bravo... Ne laissons pas cette famille et leurs intérêts s'approprier nos ressources. Dire que ces gens ont plus de pouvoir qu'un peuple. Il a l'oreille de J.J. Charest, Sabia, Sarkozy, ... Ces gens joue au jeu de société Risk à grande échelle...
Archives de Vigile Répondre
23 février 2012Je suis certain que le «p'tit vieux de Sagard» sera un de vos lecteurs attentifs. Bravo pour votre travail monsieur Le Hir, et puisse votre ouvrage éclairer davantage l'ensemble de la classe médiatique et politique québécoise.
Jacques L. (Trois-Rivières)
Archives de Vigile Répondre
23 février 2012M. Le Hir,
Y'aura-t-il un lancement de votre livre à Québec! Si oui, j'aimerais bien y assister.
André L.