Pour comprendre à quel point le Canada fonctionne de façon anachronique, il faut se pencher brièvement sur sa géopolitique.
Depuis l'invention de l'agriculture, en effet, l'humanité n'a pas cessé de descendre du centre des continents vers les côtes. Après avoir longtemps été des chasseurs nomades éparpillés à l'intérieur des continents, nos ancêtres ont fondé les premiers villages agricoles à proximité de rivières avant de développer les premières vraies civilisations en bordure de grands fleuves (Nil, Euphrate, Indus, Fleuve Jaune, etc). L'étape suivante les vit se regrouper de préférence auprès de mers comme la Méditerranée ou la Baltique pour finalement en arriver, avec la révolution industrielle, à une concentration toujours croissante des populations et de la richesse dans des mégapoles situées sur le pourtour des océans (New York, Rio, Lagos, Bombay, Shanghai, Tokyo, Jakarta, Sydney, etc.).
Notons que des mégapoles comme Le Caire, Londres ou Montréal, qui sont situées à l'intérieur des terres, ne sont pas du tout des exceptions à la règle puisqu'elles sont reliées directement à l'océan par des fleuves navigables. En quelque sorte, on les a construites là où s'arrêtait l'océan pour pouvoir profiter à la fois du meilleur des deux mondes; soit le monde continental, où se produit la richesse, et le monde océanique où on en fait commerce.
Comme l'eau qui ruisselle des montagnes vers les océans où elle finira un jour par s'évaporer, la richesse des nations suit la pente naturelle des continents et descend vers les côtes océaniques pour y être consommée. Ce phénomène est si naturel et universel que la comparaison que nous venons de faire avec de l'eau qui coule n'est pas du tout une simple métaphore. Car il s'agit de deux expressions différentes du même phénomène de ruissellement qui obéit aux lois les plus rigides de notre univers infini. Partout, en effet, les choses évoluent d'un état de haute énergie à un état de basse énergie; c'est une loi fondamentale de la thermodynamique.
Si, entre le 17ème et le 20ème siècles, le Nouveau Monde fut une exception à la règle et vit ses populations se diriger des côtes vers l'intérieur du continent, ce fut uniquement parce que ce dernier était alors pratiquement vide d'hommes et que ses richesses naturelles étaient inexploitées. Or, l'intermède de peuplement et de mise en valeur de l'intérieur qu'on a appelé la conquête de l'Ouest est maintenant clos de façon définitive. Depuis un siècle, en effet, les populations et la richesse des Etats-Unis par exemple suivent elles aussi le sens naturel d'écoulement, soit celui allant de l'intérieur du continent vers les côtes.
Si des villes continentales comme Chicago et Détroit sont encore aujourd'hui de grandes métropoles, leur développement s'est fortement ralenti au cours des dernières décennies au point où elles ont définitivement perdu l'espoir de pouvoir un jour rivaliser avec les métropoles de la côte est américaine. Aux USA, la population, la bourse, les sièges sociaux, les grandes industries de pointe, Broadway et les meilleurs collèges et universités se concentrent à New York ou dans sa zone d'influence; pas au fond des Grands Lacs!
Si le reste de l'univers fonctionne ainsi, pourquoi alors le Canada de l'Est est-il désormais le seul à échapper à cette règle d'écoulement universel? Pourquoi les populations et la richesse y sont-elles aussi concentrées et continuent-elles à se concentrer au fond des Grands Lacs, c'est-à-dire à Toronto plutôt qu'à Montréal, cette ville stratégique qui possède un des ports en eaux profondes les plus éloignés des côtes du monde entier? Cette anomalie est d'autant plus surprenante qu'à l'intérieur de toutes les provinces canadiennes, le Québec compris, les populations et la richesse descendent tout normalement des régions périphériques vers leurs métropoles respectives, que ce soit Toronto, Montréal ou Halifax.
C'est bien sûr pour des raisons purement historiques que le Canada fonctionne d'une façon aussi anachronique et contre-nature. Car les humains sont intelligents et ont toujours cherché à se libérer des contraintes de la géographie, si nécessaire par la force et si possible au détriment d'autrui. C'est à cela que sert la puissance et c'est pour cela que les peuples puissants sont toujours prêts à gaspiller des fortunes et de nombreuses vies humaines pour s'emparer de pays stratégiques comme le Québec. C'était pour nous voler qu'on nous a envahi. Voilà pourquoi le Québec est faible et pauvre et le Canada anglais, puissant et riche. Voilà l'explication de l'anomalie canadienne!
L'effet-levier du temps
Ajoutons qu'une longue exploitation de type colonial comme celle qu'a subie le Québec a un effet délétère beaucoup plus important qu'un simple raid de pillage par suite de l'effet-levier du temps. Comme dans le cas des ruisseaux dont les minces filets d'eau finissent par remplir les plus vastes océans, l'écrémage prolongé et régulier de la richesse d'un peuple finit par générer de gigantesques profits pour ses pillards. Les économistes classiques affirment d'ailleurs que les intérêts des intérêts représentent habituellement la partie la plus fabuleusement productive d'un investissement à long terme.
Comme l'avait compris Marx - c'était peut-être la partie la plus véridique de ses théories – l'exploitation des faibles, l'esclavage et le colonialisme ont toujours eu pour but de voler les surplus de production des victimes en leur laissant juste ce qu'il leur fallait pour vivre et se reproduire. Pendant plus de deux cents ans, les Québécois de souche formèrent ainsi un vaste prolétariat rural et urbain dont les maigres revenus permettaient de vivre chichement pendant qu'un autre petit peuple aussi sans importance que le leur, nommément les Canadiens anglais, les dominaient à dix ou vingt contre un et s'accaparaient la fabuleuse richesse créée par la lente accumulation des profits tirés de leur territoire et de leur labeur. Dans notre propre patrie, nous étions des porteurs d'eau ignorants et eux, de méprisants patrons.
Le vol de notre richesse nationale par les Canadiens anglais fut la conséquence directe de l'appauvrissement artificiel, durable et massif qu'a produit l'expulsion de nos élites en 1763. Depuis la révolution tranquille, ce type de vol, moins aisé parce que nous sommes désormais aussi instruits que nos parasites, a été relayé (entre autres) par le vol de nos taxes fédérales, dont on se sert régulièrement pour nous nuire, et par le vol de notre part des investissements nationaux et internationaux qui sont artificiellement et systématiquement dirigés vers l'extérieur du Québec. C'est parce qu'il est impossible de déménager nos barrages, nos PME et nos commerces que nos élites peuvent aujourd'hui se vanter que 80% de notre économie appartient désormais à des Québécois; une proportion beaucoup plus forte que dans la riche Ontario voisine où d'innombrables multinationales contribuent à créer de la richesse et de l'emploi.
Comme notre peuple occupait le centre du territoire québécois, le drainage artificiel de notre richesse vers l'Ontario s'est toujours fait à partir de Montréal, la ville vers laquelle descend naturellement tout ce que nous produisons. Frileusement concentrés dans le West Island montréalais, soit le plus près possible des frontières de l'Ontario, les Anglo-Québécois se sont toujours servi de nos voies de communication les plus stratégiques (voie maritime, transcanadienne, réseau de chemins de fer) pour faire de Montréal et du reste du Québec des zones périphériques dont les économies étaient artificiellement dépendantes de celle de l'Ontario. Après avoir extrait du Québec une énorme proportion de ses industries (bourse, sièges sociaux, élévateurs à grain, raffineries de pétrole, etc.), les détournements du Canada anglais en sont arrivés au point où même des contrats de traduction de l'anglais vers le français sont désormais octroyés à des anglophones de Toronto!
Eviter ou contourner le Québec
Pour tout ce qui n'avait pas à passer à travers notre territoire, la stratégie de nos chers voisins (ils nous coûtent cher en effet) a toujours consisté à éviter ou à contourner le Québec à chaque fois que faire se pouvait. Pour nous faire subventionner une partie de l'économie ontarienne, Ottawa, la luxueuse capitale du Canada uni, a ainsi été construite avec nos taxes à un millimètre au-delà de la frontière du Québec. La fameuse ligne Borden, tracée sur la frontière québéco-ontarienne, avait quant à elle pour effet (sinon pour but) de subventionner avec des taxes fédérales prélevées au Québec le pétrole consommé à l'ouest de l'Outaouais. Les Québécois payaient leur pétrole au prix international et les Canadiens de l'Ouest, à un prix plus bas subventionné par le fédéral. Compte tenu de son énorme population (par rapport à celle du total des quatre provinces maritimes), le Québec payait alors plus des trois quarts de cette subvention déguisée au très riche Canada de l'Ouest. Quant au pipeline Sarnia-Montréal, qui a été construit pour favoriser la vente du pétrole albertain au Québec, il ne compte que quelques kilomètres en territoire québécois.
La plus impudente de toutes les tentatives pour contourner à nos frais le territoire québécois est certainement celle, très actuelle, qui consiste à faire payer avec des impôts fédéraux prélevés au Québec une partie du barrage et des lignes de transmission sous-marines qui permettront à Terre-Neuve d'exporter l'électricité du Labrador à travers le golfe du Saint-Laurent. Ici, les fédéraux feront jouer à plein l'effet-levier du temps puisqu'ils nous ont annoncé que, dans dix ou quinze ans, le Québec pourra toujours essayer de faire une demande similaire lors de la construction de nouveaux barrages. Comme d'habitude, ce sera eux d'abord et nous ensuite!
Si le Canada anglais prend le risque de nous voler d'une façon aussi désinvolte, c'est parce que la poire est ici bien trop juteuse et tentante pour ne pas s'en emparer. Le fait d'utiliser nos taxes pour nous nuire, plutôt que de nous aider, doublera en effet le dommage causé à l'économie du Québec; ce qui affaiblira d'autant ce ¨nid de séparatistes¨. Si on ajoute l'effet-levier du temps qui jouera au moins sur dix ou quinze ans, on peut encore doubler cette double perte. Enfin, il faut ajouter la perte que nous subirons du fait de la concurrence déloyale que cette électricité fera à la nôtre sur les marchés américains. On parle ici de nombreux milliards de dollars.
Si ce projet terre-neuvien est le dernier en date des projets visant à contourner le Québec, il ne sera certes pas le dernier. Ainsi, le fameux projet de train rapide, qui devrait éventuellement relier le Canada à la ville de New York, partira bien sûr de Toronto et non de Montréal. Pour croire le contraire, il faut ignorer la nature parfaitement périphérique du Canada de l'Est par rapport à la métropole américaine de même que la structure radiale des voies de communications de cette partie du continent. Par suite de la disposition géographique du Canada de l'est, la distance à vol d'oiseau entre Toronto et New York (553 Km) est à peine supérieure à celle entre Ottawa et New York (546 Km) ou à celle entre Montréal et New York (537 Km). Comme c'est à Toronto que se concentrent la richesse du Canada anglais et une partie de la nôtre, c'est de là que partira la fameuse ligne de train; ce qui aura l'avantage, encore une fois, d'éviter totalement le territoire québécois. Et, bien sûr, le Canada anglais ne manquera pas de nous refiler une partie de la facture de cette infrastructure ¨nationale¨; ce qui accroîtra encore à nos dépends l'avantage économique de l'Ontario.
Signalons que les Etats-Unis du 19ème siècle ont également fait leur possible pour contourner le Québec et son grand fleuve stratégique puisque la construction du canal Erié dans l'Etat de New York, un canal aujourd'hui pratiquement abandonné, a été réalisée dans le but avoué de leur donner une voie d'accès indépendante aux Grands Lacs.
L'extrême urgence de devenir riches
Ces simples constatations géopolitiques montrent qu'il est urgent pour les Québécois de réaliser leur indépendance et de récupérer leur puissance de façon à pouvoir mettre un terme aux déprédations dont ils sont les victimes.
Nous avons le pouvoir de modifier en notre faveur l'actuel déséquilibre politique canadien. Notre force de négociation, qui est pratiquement nulle dans notre actuel carcan constitutionnel, en sera centuplée. D'abord, la puissance que nous récupérerons sera soustraite de celle de notre petit voisin. Il y aura ici double gain. Ensuite, nous pourrons utiliser comme armes de négociation notre position stratégique au centre du Canada anglais et notre contrôle de la voie maritime du Saint-Laurent. Nous pourrons enfin prendre appui sur nos alliés du monde international.
Si l'indépendance du Québec ne saurait attendre, c'est parce qu'il est extrêmement urgent de devenir riches. Il y va de notre intérêt à tous, immigrants compris.
Remarquons pour terminer que le racisme anti-québécois, toujours présent, a malgré tout joué un rôle minime dans l'exploitation séculaire que le Canada anglais nous a fait subir. Seuls des êtres d'un caractère exceptionnel sont en effet capables de ne pas abuser d'une situation dominante quand ils en héritent. Or, les Canadiens anglais n'ont jamais su faire preuve d'une telle grandeur d'âme, que ce soit avec les Amérindiens, les Acadiens, les Franco-Manitobains ou nous. Doit-on leur lancer la pierre alors que nous vivons tous dans un univers où chacun doit défendre lui-même ses intérêts? Partout dans la nature, ne voit-on pas les bêtes se servir en premier, elles et leurs rejetons, avant de laisser les autres se servir? Il s'agit d'un réflexe naturel, universel... et sain.
Or, au Canada, les autres, les deuxièmes à se servir, c'est toujours nous! Vous aimez ça?
Jean-Jacques Nantel, ing.
Décembre 2010