Dette: l’erreur de calcul qui tue

Géopolitique — le Québec dans le monde



Vous le savez, l’Occident est aux prises avec un grave problème d’endettement. Les néo-libéraux ayant convaincu les gouvernements de déréglementer les marchés financiers, ces derniers ont créé des produits toxiques dont l’explosion a failli nous entrainer dans une dépression, ce qui a forcé tous les gouvernements à s’endetter pour relancer l’économie. Il est bon de le rappeler toujours.
Le Québec étant en Occident, il a accumulé une dette préoccupante, dont il faut se préoccuper. (Je propose d’ailleurs depuis 2006 un plan de réduction de la dette.) Mais est-elle aussi préoccupante que celle de, disons, la Grèce ?
C’est ce que certains économistes de droite tentent de nous faire croire. D’abord, et j’en ai parlé abondamment ici, en brandissant constamment la dette brute, comme si le Québec ne possédait pas d’actifs importants, comme Hydro-Québec.
Ce message ayant apparemment fini par passer, du moins dans l’opinion informée, voici que Martin Coiteux, des HEC, met en ligne un calcul affirmant que la dette nette du Québec était proche de celle de la Grèce.
Toute une nouvelle, contredisant les calculs faits depuis des années par le ministère des Finances du Québec, les économistes de l’assez conservateur CIRANO et les fiscalistes de l’Université de Sherbrooke.
Pour Martin Coiteux, ci-devant Directeur de la recherche pour le think-tank l’Idée fédérale, un Québec souverain aurait une dette nette de 94% de son PIB (contre 133% pour la Grèce). C’est, selon le titre de son billet Le chiffre qui tue.
Et il conclut:
Un Québec indépendant demain matin porterait la quatrième dette nette la plus lourde de l’OCDE. Il ne serait devancé à ce chapitre que par l’Italie, le Japon et la Grèce. Si j’étais indépendantiste, je serais inquiet, très inquiet même. Avez-vous pourtant entendu de leurs porte-paroles les plus en vue autre chose à ce sujet que des paroles jovialistes et rassurantes?
Je connais un indépendantiste qui a à ce sujet autre chose à dire que des paroles, car il calcule depuis des années le poids relatif de la dette québécoise, canadienne et de l’OCDE. Il s’agit de Stéphane Gobeil, ex-conseiller de Gilles Duceppe aujourd’hui chez Pauline Marois.

Il a immédiatement perçu l’erreur de calcul de Martin Coiteux et lui a demandé, via la gazouillosphère, s’il allait la corriger. A l’heure d’écrire ces lignes, on attend toujours.
Gobeil indique que l’application de la méthode Coiteux à la dette nette du Canada la ferait doubler ! Et passer de 33 à 63% de son PIB.
En fait, même en utilisant les derniers chiffres du Vérificateur Général, qui corrige à la hausse le niveau d’endettement du Québec, et qui donne à Coiteux une raison de refaire le calcul, la dette nette québécoise est, non de 94% comme l’affirme Coiteux, mais selon les calculs de Gobeil, de 53%. (Ce qui est dans la zone de tous les calculs précédents.)
Ce qui, dans le tableau de Coiteux, fait passer le Québec de son faux niveau de 4e le plus endetté à son juste niveau de 14e (sur 34). Donc derrière les États-Unis, la France, la moyenne de l’OCDE et juste devant la très solide Allemagne.
Un malaise
Martin Coiteux s’est donné le mandat de démontrer, partout et toujours, que le Québec est un cancre en économie. Il sera d’ailleurs sous peu invité d’honneur du groupe libertarien Liberté-Québec et sa conférence portera spécifiquement sur une critique de mon récent livre, Comment mettre la droite K.-O. en 15 arguments.
C’est évidemment son droit le plus strict et je l’invite avec joie dans mon espace promotionnel.
Cependant on me permettra d’exprimer un certain malaise à constater que cette volonté de montrer le côté sombre du tableau économique québécois peut parfois déraper dans des calculs douteux dont les résultats, à leur simple lecture, auraient dû faire comprendre qu’une erreur majeure s’était introduite.
PS1: Au sujet de la Grèce, je conseille au Pr Coiteux la lecture de cet excellent billet de mon collègue Pierre Duhamel: Peut-on comparer le Québec à la Grèce?
PS2: Voici, pour les mordus, les calculs préliminaires de Stéphane Gobeil:

Son 94,8% du PIB (315) donne un total de 302 milliards de dette nette.
D’abord, pour ce qui est de la dette nette du Québec, il reprend le chiffre du VG, Tableau 1 du Chapitre 2 : 159 milliards. Pour se conformer à la méthodologie de l’OCDE, il faudrait soustraire à cette somme les actifs du RRQ, soit autour de 30 milliards et le FARR, soit 42 milliards. Cela donne 87 milliards.
Pour ce qui de notre part de la dette fédérale, il reprend le ration de la population de 23%. Il nous renvoie à un document fédéral: RAPPORT SUR LA GESTION DE LA DETTE 2010-2011 – PARTIE 2. Le 2e tableau montre une dette nette de 617 milliards x .23 = 142 milliards comme part du Québec.
Il faudrait plutôt prendre la dette brute de 921 milliards et soustraire le passif des régimes de retraite de 211 milliards, ce qui ramène la dette brute à 710 milliards. On soustrait ensuite les actifs financiers de 304 milliards, ce qui ramène la dette nette à 406 milliards. 406 x .195 = 79 milliards.
Au total, donc, la dette nette du Québec souverain serait environ à 166 milliards, soit 52,8 % du PIB
À titre de comparaison, les É-U sont à 73,8% – la moyenne de l’OCDE à 62,5%. La Grèce est à 133%, la Norvège à – 162% !
Pour finir:
- Si on suivait la méthodologie fautive de Coiteux, la dette nette du Canada serait à environ 63% du PIB, alors que selon l’OCDE, elle atteint 33,6 % du PIB (et cela inclut la situation exceptionnelle de l’Alberta saoudite)

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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