Encore dans notre inconscient collectif:

Deux réflexes subliminaux perfides

Tribune libre

Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas conscients qu’ils n’influencent pas ceux et celles qui en sont porteurs, bien au contraire, et, tout autant invisibles qu’inconscients, ils sont beaucoup plus répandus qu’on peut le penser à première vue.



  1. Le syndrome du peuple vaincu


« Je n’ai jamais été plus convaincu qu’en sortant de là que le plus grand et le plus irrémédiable malheur pour un peuple c’est d’être conquis. »

– Alexis de Tocqueville à Québec le 27 août 1831, cité dans Claude Corbo, Regards sur le Bas-Canada, Typo, 2003, p. 165.


Après la Conquête, la majorité des membres de la noblesse et des notables canadiens quittèrent le Canada, laissant derrière eux à elle-même une population d’artisans, d’ouvriers et de paysans plus ou moins lettrés, désarmés. La seule classe érudite qui ne s’enfuit pas fut le clergé catholique qui, avec les quelques nobles et notables restés ici, sauf exception se rangèrent du côté des conquérants.


Ostracisés en grande partie des villes par ces derniers, les Canadiens et Canadiennes de la classe des manuels et des paysans s’établirent dans les campagnes, défrichèrent courageusement la terre et essaimèrent tout un chapelet de villages et de descendants le long du St-Laurent et de ses affluents.


" Parlant de mon pays, je vous entends parler (…) de ce neigeux désert où vous vous entêtez à jeter des villages…

Gilles Vigneault, Les gens de mon pays.


Nos ancêtres vécurent la défaite à la dure mais, courageux, laborieux et influencés par les valeurs de leurs pasteurs catholiques de sacrifice, pauvreté, humilité, obéissance, ils apprirent à s’en accommoder, et de génération en génération, une sournoise attitude de soumission naturelle, normalisée, acceptée, s’intégra dans leur ADN collectif, d’où une auto-perception comme faisant partie d’un petit peuple naturellement soumis, comme à ses pasteurs catholiques, à un peuple plus grand qui s’occupe, lui, des grandes choses terrestres qui comptent, alors que nous, nés pour un petit pain, nous sommes heureux, satisfaits, de pouvoir encore, grâce à notre plus nombreuse population bien ancrée ici, constituer une nation, même si c’est une nation de seconde classe, dominée, en tutelle, sans l’envergure des vraies nations, souveraines, indépendantes, qui se respectent.


Cela a été très fort jusqu’à Duplessis inclusivement. Ce l’est moins aujourd’hui, mais il en reste un fond inconscient dans une bonne partie de la population, laquelle voit comme audacieuse, téméraire, quand ce n’est pas offensante, toute velléité de vouloir sortir de notre état d’inférieurs.


« …les Québécois ont du mal à sortir de l’esprit de défaite. L’orgueil et l’audace apparaissent encore à un trop grand nombre comme hors propos, dès lors qu’il s’agit de se penser comme une nation.  »

– Robert Laplante, Le nœud, L’Action nationale, sept.-oct. 2023, p. 4.


Cette attitude de perdant, de soumission invétérée, est une des grandes raisons pour lesquelles la perspective de se donner un pays bien à nous n’emporte pas d’emblée l’enthousiasme de toute la nation et requiert une promotion de qualité auprès des non-indépendantistes pour raviver en eux la fierté, le besoin de respect de soi-même, l’ambition, enfouis au fond de chacun.e et toujours prêts à reprendre le dessus sur le syndrome du peuple vaincu.


" Je vous entends gronder comme chute en montagne, je vous entends rouler comme baril de poudre, je vous entends monter comme grain de quatre heures, je vous entends cogner comme mer en falaise, je vous entends demain parler de liberté! "  

– Gilles Vigneault, Les gens de mon pays.



  1. L’illusion de la permanence tranquille


La permanence tranquille c’est la durée dans le temps d’un état des choses désirable, mais menacé par son environnement sans qu’on s’en soucie, certains que cet état désirable est à l’abri des attaques de l’environnement et va se perpétuer sans fin.


« Les Québécois ont l’impression de disposer d’une éternité pour accomplir leurs projets, ce qui les dispenserait de les réaliser. »

– Alexandre Poulin, Un désir d’achèvement, Les Éditions du Boréal, 2020, p. 99.


« Nous vivons, malgré la peur de disparaitre qui nous travaille depuis les débuts de la colonie, à l’extérieur de l’Histoire. À quoi bon achever quelque chose quand le temps ne manquera jamais? »

– Jonathan Livernois, Remettre à demain, Les Éditions du Boréal, 2014, p.


C’est sans doute une autre des principales raisons de l’échec des deux référendums tenus à date et c’est encore le mantra d’une bonne partie de la nation québécoise qui, dans un environnement d’abord dominé par la métropole française, puis par le conquérant anglais, fut rapidement, et de plus en plus, amenée à prendre des décisions en autarcie, ce qui présida, dès le début de la colonie, à l’apparition, puis au développement, d’une société distincte mais non souveraine :


« La colonisation, ici, a si bien réussi qu’elle a très tôt donné naissance à un pays distinct, mais gouverné par d’autres et privé, en nous, de tout ce qui peut en faire un pays véritable. (…) Nous avons tout d’un peuple mais très peu de son pouvoir.»

– Pierre Vadeboncœur, La dernière heure et la première, Les Éditions du Boréal, 2018, p. 13.


– sous le Régime français:


« Nous ne sommes alors qu’une poignée, à peine une colonie, presque rien qu’une mission, mais déjà nous sommes un petit peuple, qui rebute quelquefois la métropole par son esprit d’indépendance et qui accuse des traits déjà distincts. »

– Pierre Vadeboncœur, La dernière heure et la première, Les Éditions du Boréal, 2018, p. 12.


… après la Conquête :


« Sous les Anglais, dans la première moitié du XIXème siècle, nous sommes de simples vaincus, (…) nous ne possédons rien, excepté un peu de sol arable, (…) nous ne possédons pas les moyens du pays, c’est l’étranger qui, en quelque sorte les possède; mais, contrairement à lui, nous “avons un pays”. Nous sommes un peuple, (…) nous nous comportons d’une manière instinctivement souveraine, mais sans posséder les attributs de la souveraineté, ou comme une nation, mais sans gouvernement qui nous soit propre. »

– Pierre Vadeboncœur, La dernière heure et la première, Les Éditions du Boréal, 2018, p. 12.


Les temps ont changé mais ce dangereux virus de la permanence tranquille en deuxième classe influence encore une grande partie de notre nation-fœtus, prête à naitre dans la souveraineté mais retardée par de telles considérations subliminales : « pourquoi prendre le risque du pouvoir, de la souveraineté, du pays, tout-d’un-coup que, plus bêtes que les autres, on ne serait pas capables de bien le gérer, ensuite, ce pays? »  « On est bien comme on est maintenant, on a le meilleur des deux mondes, restons tranquilles, continuons de remercier la Providence de nous avoir permis de devenir et demeurer une nation, même si c’est un avorton de nation, et même si c’est dans un environnement toujours dominateur et menaçant, en état permanent de minoritaires dans un contexte démocratique, où c’est la majorité, anglophone de langue, de valeurs, de culture et d’intérêts, qui décide. »


C’est le message implicite, l’incessante goutte d’eau toxique, dont nous gratifient sans cesse la dynastie des Trudeau et autres collabos contaminés jusqu’à l’ADN entre autres par le syndrome du peuple vaincu et par l’illusion de la permanence tranquille.


« Stoppée par la défaire référendaire, l’offensive politique commencée dans les années 1960 aurait muté en défense de la culture et de l’identité. D’où un retour au Canada français, celui de la *permanence tranquille*, dépolitisé, axé sur la survivance d’une culture unique. »



  • Michel Roche, La question Nationale, une question sociale, Liber, 2024, p.9.

     


 


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