Depuis la fin de son mandat, le 22 mars dernier, l’ex-directeur du budget à Ottawa, Kevin Page, ne rate pas une occasion de dénoncer le sort que l’on réserve à la fonction qu’il a occupée pendant cinq ans. L’acharnement du gouvernement Harper à museler les fonctionnaires qui détiennent l’information au profit d’un discours simpliste de propagande lui donne raison.
Dans une lettre publiée lundi dans le Toronto Star, Kevin Page affirme que le Parlement canadien est en train de perdre le contrôle sur l’action gouvernementale. Cela nuira à la prospérité, ajoute-t-il en s’inspirant du livre Why Nations Fails écrit par Daron Acemoglu et James Robinson. Selon la thèse de ces professeurs de Harvard et du MIT, l’avancement d’une nation est intimement lié à la présence d’un État fort, mais très inclusif, qui n’a de cesse de résister à la tentation des élites de s’arroger des privilèges.
Recruté en 2008 à la suite de l’engagement électoral d’un Stephen Harper incrédule devant les erreurs de prévisions budgétaires des libéraux, Kevin Page a d’abord hésité en apprenant que le poste ne relèverait pas du Parlement, mais du gouvernement.
Malgré cela, le nouveau directeur du budget a mis toutes ses énergies à construire une équipe de gens compétents et déterminés à fournir les analyses les plus précises concernant l’évolution financière du pays.
Parmi les réalisations les plus percutantes, on lui doit une contre-expertise des coûts d’acquisition du futur F-35, une autre illustrant le cul-de-sac financier dans lequel se retrouveront les provinces à moyen terme, et une opinion divergente quant à la nécessité de retarder de deux ans l’âge d’admissibilité à la Sécurité de la vieillesse.
Plus récemment, M. Page a poussé le bouchon aussi loin que d’entreprendre des procédures judiciaires pour obtenir la liste détaillée des compressions de dépenses des ministères, liste qui lui a toujours été refusée sous prétexte que cela outrepassait les limites de son mandat.
Malgré le fait que toutes ces études ont été produites à l’intention des députés, jamais le gouvernement n’a pris sur lui d’en diffuser le contenu. Le directeur a donc dû le faire lui-même en créant son propre site Web.
On a craint un moment que M. Harper abolisse le poste après le départ de M. Page, ce qui eût été politiquement suicidaire puisqu’il en était lui-même le concepteur…
En attendant la nomination du prochain directeur, le premier ministre a confié la tâche à la bibliothécaire parlementaire. Une bien bonne personne, souligne M. Page, mais qui n’y connaît rien en finances publiques.
Quant à son successeur, il sera choisi par le gouvernement sur la base de ses compétences, certes, et de sa capacité à rechercher les « consensus », précise l’affichage. Consensus entre qui et qui ? Pourquoi un tel critère alors que la seule chose qui importe, c’est la recherche de la vérité dans l’exposition des faits ?
Contrairement au vérificateur général qui n’a de comptes à rendre qu’au Parlement, le futur directeur du budget relèvera donc aussi du bibliothécaire parlementaire… tout comme le « poète officiel du Parlement ».
Plus le temps passe, plus les conservateurs, le premier ministre en tête, se croient tout permis. Non seulement craignent-ils la vérité, mais ils gouvernent avec la conviction d’être les élus de Dieu. La descente aux enfers citoyens n’en sera que plus brutale.
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