Plus ou moins régulièrement, des événements de l'actualité incitent l'opinion publique à s'interroger sur la pertinence des programmes et pratiques en vigueur en matière d'immigration, en particulier en matière de sélection des immigrants.
Malheureusement, la réflexion dépasse rarement le niveau un peu primaire des origines nationales. Suivant cette «réflexion», l'admission des ressortissants de certains pays serait à favoriser, tandis que celle d'autres contrées serait à éviter, voire à proscrire.
Cette approche, qui tenait lieu de politique jusqu'au milieu du siècle dernier, a heureusement été abandonnée par tous les pays développés où la notion d'égalité des personnes n'est pas un vain mot.
Il n'en demeure pas moins que la gestion des modalités encadrant la sélection et l'admission d'étrangers aux fins de la résidence permanente n'est pas simple, particulièrement pour les immigrants de la composante économique, celle pour laquelle la marge de manoeuvre de l'État québécois est la plus grande.
D'abord l'équilibre...
En effet, dans le mouvement économique, ce sont les caractéristiques propres des candidats qui constituent la base sur laquelle doit être fondée la décision de les sélectionner aux fins de la résidence permanente, avec tous les droits, privilèges et obligations que cela comporte.
Pour prendre en compte les caractéristiques garantes d'une intégration réussie, tant au plan économique qu'au plan social, une grille de sélection a été conçue pour les candidats de la catégorie des travailleurs. Elle a été mise en place et modifiée à plusieurs reprises au fil des ans. Elle vise à jauger, en deux étapes (l'examen préliminaire et la sélection proprement dite) à partir d'un ensemble de critères auxquels des points sont attribués, les probabilités d'un candidat à l'immigration de s'établir et de s'intégrer avec succès à la société québécoise, et ce, dans le meilleur intérêt de cette dernière.
Ces caractéristiques vont de l'âge du candidat à sa scolarité, en passant par sa profession, le fait qu'il détient ou non une offre d'emploi au Québec, son niveau de connaissance du français et de l'anglais, son domaine de formation, son adaptabilité et, le cas échéant, certaines des caractéristiques de son conjoint et le fait qu'il a ou non de jeunes enfants.
Les autorités québécoises ont souvent modifié cette grille mais, ce faisant, elles ont toujours été guidées par la recherche de l'équilibre. Équilibre entre, d'une part, des objectifs numériques imposés par une évolution démographique inquiétante et, d'autre part, une situation économique parfois précaire et aussi, et peut-être surtout, la prudence qu'impose le fait que la majorité francophone du Québec n'a encore qu'une expérience assez récente comme société d'accueil (avant la Révolution tranquille et les lois linguistiques des années 1970, l'immigration était le plus souvent vue et vécue comme l'affaire de la minorité anglophone).
... aujourd'hui menacé
Or le projet, actuellement en cours de modification réglementaire en ce qui a trait à la sélection des immigrants de la catégorie des travailleurs, risque de rompre cet équilibre et semble trahir un empressement marqué à faire du volume.
En vertu de ce projet, non seulement l'étape de l'examen préliminaire serait-elle abolie, mais, en abolissant le critère adaptabilité de la grille, le nombre de cas avec entrevue formelle de sélection serait réduit au minimum.
L'examen préliminaire a pour fonction de réaliser un premier tri parmi les candidatures et de ne retenir que celles qui présentent un certain potentiel d'employabilité, abstraction faite de toute autre considération. Avec son abolition, on rendra possible pour un candidat qui ne passe pas le test de l'employabilité de se qualifier directement en sélection, grâce à des critères comme les connaissances linguistiques de son conjoint ou la présence d'enfants.
Quant à l'entrevue de sélection, sa disparition signifie, entre autres choses, qu'on éliminerait la possibilité d'effectuer, ne serait-ce que sur une base aléatoire, un contrôle effectif, au vu des originaux présentés en personne, de la validité et de l'authenticité des documents présentés à l'appui des demandes, documents dont seules des copies, fussent-elles certifiées, ont été transmises par la poste. Quiconque connaît un tant soit peu «l'industrie» des faux diplômes et autres documents utilisés aux fins de l'immigration ne peut que s'inquiéter d'une telle approche.
Déjà que les modalités en vigueur pour les candidats investisseurs leur permettent d'être admis pratiquement sur la base de leurs seules ressources financières, sans grand égard à leurs autres caractéristiques, s'il faut qu'à son tour la sélection des candidats de la catégorie des travailleurs ne soit plus l'objet d'une évaluation minutieuse, à quoi aura servi la prise en main, par le Québec, de la sélection des immigrants qui s'y destinent?
Ne serait-il pas souhaitable que l'État québécois attache au moins autant d'importance à la sélection des futurs résidents permanents qu'il n'en accorde pour l'embauche de ses employés contractuels dont l'emploi ne s'étendra que sur quelques mois?
Plus de trente ans après l'implantation de la première grille québécoise de sélection des immigrants, ne serait-il pas temps de revoir le tout à la faveur d'une réflexion sérieuse sur l'ensemble des modalités de sélection des immigrants économiques? Ce serait préférable à des modifications à la pièce qui peuvent, à la longue, s'avérer dangereuses pour l'intégrité et la cohérence de l'ensemble et pour la confiance que le public lui accorde.
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Gérard Pinsonneault, Chercheur associé, Chaire en relations ethniques, Université de Montréal
Doit-on repenser les modalités de la sélection des immigrants ?
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Chercheur associé, Chaire en relations ethniques, Université de Montréal
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