Hydro-Québec sème les subventions aux collèges privés, mais affiche une pingrerie apparente pour les écoles publiques. Cette générosité sélective est choquante, mais elle n'est que le reflet d'une sottise: l'incapacité chronique de l'État à défendre une école publique fondée sur l'égalité des chances.
On ne pourra pas reprocher à une société d'État d'être le parfait miroir du gouvernement qui la chapeaute. Les commandites d'Hydro-Québec aux écoles secondaires privées sont symptomatiques de ce qui se joue non seulement chez nos dirigeants, mais dans la collectivité. Le penchant grandissant pour l'école privée est évident.
Depuis des années, péquistes et libéraux ont soigneusement évité de discuter du fossé qui se creuse entre les réseaux. Si le débat est lâchement contourné, c'est en partie parce qu'il est complexe, il est vrai. On a voulu faire de cette stratification des écoles une question d'ordre financier, laissant croire que le soutien du privé à hauteur de 60 % saignait le réseau public. Relativisons un brin: il n'y a pas si longtemps, 3 % du budget total de l'Éducation passait en subventions au réseau privé, du préscolaire au collégial...
Mais certains chiffres peuvent heurter, on en conviendra. Ainsi, la nouvelle présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec, Josée Bouchard, a raison d'être outrée lorsqu'elle compare les quelque 600 000 $ distribués par Hydro-Québec à trois collèges privés au (maigrelet) million de dollars qu'elle réclame pour une campagne de valorisation de tout un réseau public! Une réelle contradiction!
Mais le déséquilibre n'est pas que pécuniaire. Il heurte de plein fouet l'égalité des chances pourtant si chère aux fondateurs de l'école. En pratiquant la sélection des meilleurs éléments et en évitant le «fardeau» des élèves en difficultés, l'école privée a réduit son pendant public à une école de second tour. La morosité ambiante est palpable: élèves, parents, personnel évoquent d'emblée les ratés du public, sans même voir qu'il bourgeonne de grandes réussites, justement parce que ses défis sont plus importants.
Le gouvernement devrait donc être le plus ardent défenseur de son école publique, et devrait tout mettre en oeuvre pour éviter qu'elle ne sombre. Mais la classe politique -- et journalistique, n'en faisons aucun mystère -- a de tout temps poussé sa marmaille vers le privé. Malaise au Conseil des ministres... Le débat tourne à vide.
Il y eut pourtant d'audacieuses propositions pour éviter d'amplifier le décalage. Comme celle des états généraux sur l'éducation qui, en 1996, ont suggéré un moratoire sur l'ouverture de nouveaux établissements privés et une diminution progressive de leurs subventions. Ces idées furent rejetées avec fracas. Un projet attrayant, proposé par le Parti québécois en 2005, fut écarté presque aussi grossièrement: on voulait réduire le financement des écoles privées qui pratiquent la sélection et le maintenir pour celles qui accueillent les élèves en difficulté. Il y avait là une piste digne d'intérêt, et qui évitait l'irréalisme de ceux qui proposent l'abolition pure et simple du privé.
On comprend le courroux des acteurs du public devant les choix d'Hydro-Québec. La société d'État a erré, et elle saura, espérons-le, corriger ses illogismes. On comprend aussi que ceux-là mêmes qui colèrent demandent que le débat soit rouvert et mené à terme. Car plus le temps passe, plus se creusent ces écarts que l'on dénonce. L'école égalitaire à laquelle on a cru collectivement pour ensuite la négliger va à vau-l'eau.
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