Éléphants blancs à l'horizon

17. Actualité archives 2007


Est-ce vraiment une bonne idée de construire les hôpitaux CHUM et McGill en PPP? La réflexion, il faut le dire, est déjà très avancée. L'Agence des partenariats public-privé fera ses recommandations au gouvernement d'ici la fin de l'année et la décision du conseil des ministres est attendue au début 2007. Le gouvernement Charest, cependant, n'a jamais caché sa préférence. Tout le monde s'attend à ce qu'il aille en PPP.
L'éditorialiste Ariane Krol s'est rendue au Royaume-Uni, où cette formule est répandue. Elle y a constaté que plusieurs hôpitaux construits en PPP ont connu des problèmes inquiétants. Comme le relate le reportage éditorial que nous publions à compter d'aujourd'hui dans les pages de La Presse et sur Cyberpresse.ca, les relations entre le secteur public, qui fournit les soins, et le secteur privé, qui construit et gère l'immeuble, sont souvent difficiles. Et on n'est même pas sûr que ces hôpitaux coûtent moins cher aux contribuables.
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Éléphants blancs à l'horizon

Avec son entrée en demi-lune et sa façade alliant la brique, le verre et l'acier, l'hôpital de Carlisle a plutôt fière allure. Un détail vient toutefois gâcher ce bel élan de modernité : une espèce de grosse roulotte comme on en voit sur les chantiers de construction, placée juste à gauche de l'entrée principale. Ce bâtiment mobile, gracieusement baptisé Unité Mulberry, est stationné là depuis des années. Il héberge 16 lits bien utiles lorsque l'hôpital est plein. Inauguré il y à peine six ans, le Cumberland Infirmary s'est vite révélé insuffisant par rapport aux besoins.
L'une des critiques les plus fréquentes à l'endroit des PPP, c'est leur manque de flexibilité. Dans un secteur en constante évolution comme les soins de santé, c'est un réel inconvénient. Le gouvernement Charest, pourtant, ne semble voir que des avantages à ces contrats à long terme avec le privé. «Ça veut dire que dans 30 ans, on retrouve un CHUM, un hôpital de McGill qui a l'air aussi moderne que le jour où il a été inauguré», soulignait au printemps le ministre de la Santé Philippe Couillard.
«Ils (les politiciens) ont parfaitement raison à condition qu'il n'y ait absolument aucun progrès dans les traitements médicaux, aucun changement dans les soins et que nous n'apprenions rien de neuf sur les maladies nosocomiales», ironise Malcolm Hollis, professeur spécialisé dans les problèmes du bâtiment à l'université de Reading.
Les contrats en PPP sont à la fois extrêmement détaillés et extrêmement rigides, ce qui rend la moindre modification... extrêmement coûteuse (voir encadré). Si vous construisez un édifice à bureaux ou une autoroute, ce n'est pas très grave. Bien entretenues, ces infrastructures devraient encore répondre aux besoins dans 30 ans. Dans un secteur comme la santé, c'est une autre paire de manches. La façon de soigner, et les aménagements requis pour le faire, évoluent constamment. Qui aurait crû, il y a 30 ans, que les chirurgies d'un jour deviendraient aussi répandues?
En fait, les hôpitaux que l'État récupérera après 30 ans auront besoin de rénovations majeures, prévoit Malcolm Hollis. «Au cours des 10 dernières années du contrat, personne ne voudra payer le prix des modernisations qui seront dues. Je pense que beaucoup de changements majeurs seront retardés parce qu'ils coûteront moins cher à faire après la fin du contrat.»
Le contrat du Barts et The London, le plus gros projet hospitalier en PPP au Royaume-Uni, durera 42 ans. Le directeur exécutif s'est donc efforcé de rendre son hôpital aussi flexible que possible. Par exemple, il a tenu compte du fait que les chirurgies cardiaques sont de moins en moins invasives. «Nous avons conçu les salles d'opération pour la chirurgie cardio-thoracique de façon à ce qu'il soit relativement facile de les transformer en stent catheter lab», explique Paul White.
CHOUX GRAS
Près de 450$ pour accrocher un miroir, plus de 700$ pour ajouter ou modifier un interrupteur de lumière, interdiction de coller quoi que ce soit aux murs... Les médias britanniques ont fait leurs choux gras de la gestion quotidienne des hôpitaux en PPP. L'État, il ne faut pas l'oublier, n'est pas propriétaire. Si le personnel ou même la direction de l'hôpital veulent modifier l'aménagement, ils ne peuvent pas le faire eux-mêmes. Ni engager l'entrepreneur de leur choix. Ils doivent faire affaires avec le consortium qui possède l'édifice... et facture en conséquence
Mais selon Andrew Lloyd-Kendall, qui a aidé plusieurs trusts à négocier leurs contrats en PPP, c'est une erreur de comparer les tarifs d'un consortium à ceux d'un entrepreneur indépendant. «Ce n'est pas seulement le prix d'une tablette, mais d'une tablette qui est entretenue durant 30 ans», illustre-t-il. La société qui exploite l'hôpital a une autre raison de garder le contrôle sur les travaux : à la fin du contrat, elle devra rendre le bâtiment à l'état neuf.
Que le consortium prenne des mesures pour ne pas avoir à réparer des murs abîmés ou à reprendre les travaux d'un autre entrepreneur, c'est compréhensible. Pour le système de santé, cependant, c'est un pensez-y bien. Qui peut sérieusement envisager d'occuper un hôpital spécialisé durant 30 ans sans avoir besoin d'y changer quoi que ce soit?


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