« Ce n’est pas seulement un problème de langue, c’est un problème de culture. Bon nombre d’allophones et d’anglophones parlent le français, mais vivent dans la culture anglophone. Il ne suffira pas de réécrire la loi 101. C’est tout un environnement qu’il nous faut changer », nous déclare Pierre Curzi, lors d’une entrevue réalisée dans son bureau de la circonscription de Borduas sur la rive-sud de Montréal.
Le responsable du dossier linguistique au Parti Québécois a passé en revue – avec Jean-Claude Corbeil, l’ancien directeur de l’Office de la langue française, et le sociologue Yves Martin – l’ensemble des domaines couverts par la loi 101 et sa jeune équipe de conseillers a colligé toutes les données utiles sur la situation du français au Québec.
Le portrait qui s’en dégage est particulièrement sombre. La langue de l’administration est souvent l’anglais. La loi sur l’affichage n’est pas respectée. Il y a le problème des municipalités à statut bilingue et la situation que Pierre Curzi qualifie de « délicate » des soins de santé dans les deux mégahôpitaux.
Sur les entreprises inscrites à l’Office québécois de la langue française, soit principalement celles de plus de 99 employés, plus de 80% ont leurs certificats de francisation. « Elles ont en théorie des comités de francisation, mais René Roy de la FTQ nous dit que la situation stagne, que plusieurs comités sont inactifs », constate Pierre Curzi qui croit qu’on devrait priver les entreprises délinquantes de contrats gouvernementaux.
« Dans le cas des entreprises de 50 à 99 employés, elles doivent envoyer un bilan à l’Office et, s’il est insatisfaisant, l’Office peut leur imposer un comité de francisation. Mais j’ai la très forte impression que l’Office ne s’en occupe pas. Dans le cas des entreprises de moins de 50 employés, on ne sait rien de ce qui se passe », enchaîne-t-il.
Selon le document du Parti Québécois, il y aurait plus de 20 000 de ces entreprises. Elles embauchent une forte proportion d’immigrants. Plus de la moitié d’entre elles se situent dans la région métropolitaine et plus de 450 000 personnes y travaillent.
Pierre Curzi reconnaît qu’il est impossible de toutes les avoir à l’œil mais « on peut cibler celles qui ont le plus d’employés et qui font affaire avec le public ».
Sa principale préoccupation est l’île de Montréal. Dans le cahier de réflexion préparé par le Parti Québécois pour son colloque des 21-22 novembre, on s’inquiète du recul du poids démographique des individus de langue maternelle française sur l’île de Montréal qui est passé de 61% en 1971 à 50% en 2006. On sonne l’alarme en disant qu’il pourrait diminuer à 43% en deux générations.
Charles Castonguay conteste ces chiffres qu’il juge encore trop rassurants. Selon lui, c’est en dix ans – et non en deux générations – qu’on atteindra le 43% !
Que faire alors? « Il faut une politique globale », déclare le député de Borduas en nous citant les mesures sur lesquelles on demandera aux militantes et militants du Parti Québécois de se prononcer lors du colloque.
Il y a, bien sûr, la nécessité de s’assurer que les mesures déjà adoptées soient appliquées. Mais on voudrait aussi, peut-on lire dans le document de réflexion, faire « préciser l’obligation des entreprises de 49 employés et moins en matière d’usage de la langue française comme langue de travail et langue de service à la clientèle » et faire en sorte, comme le demande depuis longtemps le Bloc québécois à Ottawa, que « la Charte de la langue française s’applique aux entreprises à charte fédérale évoluant sur le territoire québécois ».
On ajoute une mesure importante : « Exiger des entreprises qu’elles démontrent la pertinence de maîtriser une autre langue que le français comme condition d’embauche ou de promotion ». « Il faut renverser le fardeau de la preuve », soutient Pierre Curzi.
La langue d’enseignement a défrayé la manchette au cours des dernières semaines. Il y a eu l’arrêt de la Cour suprême qui invalide la loi 104 dont l’objectif était d’enrayer le phénomène des écoles-passerelles. Dorénavant, pour quelque 10 000 $ par année, on pourrait contourner la loi 101 en achetant une éducation en anglais pour ses enfants et toute sa descendance.
Le Parti Québécois affirme aujourd’hui clairement qu’il est favorable à ce que les écoles privées non subventionnées soient assujetties à la loi 101 pour colmater cette brèche.
La SSJB-Montréal, le Mouvement Montréal français et le SPQ Libre, de même que l’ex-premier ministre Bernard Landry, ont demandé récemment que cette solution soit également appliquée aux cégeps anglophones, obligeant par le fait même les allophones et les francophones à fréquenter les institutions collégiales francophones.
Le document du Parti Québécois ne va pas aussi loin. Il reconnaît que 51% des allophones font leurs études collégiales en anglais, mais se contente de poser la question : « Quelles mesures devraient être prises pour que les élèves provenant des écoles secondaires francophones fréquentent des cégeps de langue française? »
Mais Pierre Curzi a fait son lit : « Nous avons examiné d’autres mesures mais, en tant que porte-parole du dossier linguistique, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas d’autres solutions que d’étendre les dispositions de la loi 101 aux cégeps. Charles Castonguay a démontré que les gains dans la francisation des allophones réalisés au primaire et au secondaire se trouvaient annulés au cégep. »
Mais le responsable du dossier linguistique au Parti Québécois craint que cette question des cégeps monopolise toute l’attention.
« Dans le domaine de l’éducation, il faut également s’intéresser à la langue parlée dans les Centres de la petite enfance et les services de garde et s’assurer que le français est maîtrisé par les éducatrices et les responsables des services de garde. À l’autre extrémité, il y a toute la question du financement des universités ».
Pierre Curzi veut ramener les francophones sur l’île. Il identifie l’exode des francophones comme le « plus important facteur » de l'échec de l’intégration des nouveaux arrivants. Le professeur Charles Castonguay affirme, chiffres à l’appui, que le recul du français se constate aussi dans l’ensemble de la grande région de Montréal. « Le problème de fond n’est pas migratoire. Il réside dans le statut social et économique trop faible du français », écrit le professeur Castonguay.
Dans un texte publié sur le site de l’aut’journal – « Le poids du nombre » – Pierre Curzi touche à un tabou en questionnant les seuils d’immigration. « Dans un très proche avenir, écrit-il, le Québec a pour objectif d’accueillir 55 000 nouveaux arrivants par année. Proportionnellement à la population totale du Québec, c’est trois fois plus que la France et deux fois plus que les États-Unis. »
Il se demande si ce nombre ne dépasse pas nos capacités d’intégration. Le document de réflexion du Parti Québécois nous apprend que 20% des immigrants sont admis sans entrevue par un fonctionnaire québécois et que ce taux augmentera à 40% en 2010, par souci d’économie.
De plus, 30% des demandeurs, nous dit-on, retiennent les services de consultants en immigration. « Leur conseille-t-on de dire qu’ils parlent français, même si ce n’est pas vrai? », s’interroge Pierre Curzi. « Souvent le premier contact de l’immigrant avec l’administration québécoise survient lors de sa demande de carte d’assurance-maladie. Et s’il s’exprime en anglais, toute la correspondance qui s’ensuivra se fera en anglais », s’insurge-t-il en soulignant à gros traits qu’il faut renforcer l’article de la loi 101 qui concerne la langue de l’administration.
« Quelle est au juste notre capacité d’intégrer? Avons-nous les professeurs pour les intégrer? », lance-t-il en rappelant qu’il ne s’agit pas seulement de les franciser, mais de faire en sorte que ces nouveaux arrivants partagent nos valeurs. « Une question complexe, comme nous l’avons vue lors du débat sur les accommodements raisonnables ».
Enfin, il y a tout l’impact financier de ces mesures d’intégration souhaitables. Son équipe a calculé que trois rencontres de 10 minutes avec chaque nouvel arrivant signifie l’embauche de 75 nouveaux fonctionnaires à temps plein pour traiter les dossiers de 55 000 immigrants.
Pierre Curzi n’en démord pas. Il nous faut une politique globale qui touche tous les aspects de la question. Mais il est bien conscient que des milliards de dollars sont en jeu. « Ça ne se résoudra pas par la pensée magique. Ça va coûter très cher. Est-ce que la société québécoise est prête à payer ? »
Son premier objectif est de conscientiser les membres de son parti à l’importance et au sérieux de la question. Le prochain colloque nous dira s’il a réussi.
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