Stephen Harper ne déroge pas à sa pratique : flatter à tour de rôle différents segments de l’électorat, en dépit du bon sens, en dépit des critiques. Sa déclaration sur les armes à feu en offre un exemple éclatant. Mais au-delà des petites phrases, ses politiques ont aussi un épouvantable effet structurant. Ainsi du fractionnement du revenu des couples avec enfants, décortiqué mardi par le directeur parlementaire du budget.
Dès que Stephen Harper avait fait part de ses intentions en 2011, les analystes s’étaient mis au travail : à qui allait profiter cette promesse de fractionner le revenu des ménages pour que le père de famille, mieux payé, puisse transférer une partie de ses gains à sa conjointe moins bien rémunérée (nous précisons le sexe à dessein puisque là est l’objectif politique) afin de payer moins d’impôts ?
La réponse, instinctivement évidente, fut implacable : aux ménages aisés. De 85 % (Institut C.D. Howe) à 90 % (Institut Broadbent) des ménages canadiens n’en retireraient rien du tout. Un gigantesque « transfert des richesses de neuf Canadiens sur dix vers les plus aisés », résumait le directeur général de l’Institut Broadbent : les monoparentales au secours des riches maris et de leur épouse au foyer ! L’affaire suscitait des tiraillements au sein même du gouvernement.
Le projet a donc été retravaillé pour lui mettre des balises : un transfert maximal de 50 000 $ pour une économie d’impôt maximale de 2000 $. Et l’automne dernier, le premier ministre Harper en annonçait la mise en place, pour l’année d’imposition 2014, noyant son iniquité derrière une promesse en argent sonnant : le versement d’une prestation universelle pour la garde d’enfants à toutes les familles du pays qui comptent des enfants de moins de 18 ans. (Le premier chèque, qui cumulera les sommes dues depuis le 1er janvier 2015, sera versé cet été, assez près des élections pour que chacun ait en mémoire les centaines de dollars reçus !)
Le directeur parlementaire du budget, lui, n’a que faire de cette poudre aux yeux. Et son étude, rendue publique mardi, souligne, sans qu’on puisse l’accuser de parti pris, que le fractionnement, même redessiné, privera à lui seul l’État de 2,2 milliards de dollars. Il confirme de plus que la mesure ne touchera que 15 % des familles canadiennes. De ce lot, les plus avantagés seront ceux dont l’écart de revenu dans le couple est de… 100 000 $. Ajoutons que les effets négatifs d’une telle mesure sur l’emploi seront plus grands, incitant des femmes à quitter le marché du travail, que les gains réalisés par les plus fortunés.
Bref, que de la nuisance partout… sauf pour les conservateurs. Car, nous disent d’autres études, où donc cette mesure inique déploiera-t-elle le mieux ses effets ? En Alberta et en Saskatchewan, terres conservatrices (40 députés du PC élus en 2011 sur les 42 circonscriptions fédérales que comptent les deux provinces) où l’on trouve le plus de ménages avec enfants. Là-bas, les économies d’impôt seraient deux fois plus importantes, et même davantage, que celles constatées dans les provinces maritimes ou au Québec, endroits où par ailleurs la majorité des ménages se retrouvent dans la tranche d’impôt la plus basse.
C’est le modus operandi de ce gouvernement : tant pis pour l’économie ou le bien-être de la collectivité canadienne, il vise des cibles qui pourront électoralement lui rapporter, poussant le clientélisme dans ses plus subtils retranchements. Il lui fallait satisfaire la famille traditionnelle ? C’est fait. Celle-ci n’est plus dominante au Canada ? Pas grave, il trouvera un autre argument pour séduire une autre tranche de l’électorat : les armes à feu à portée de main pour les régions éloignées, le refus du niqab pour le Québec, la crainte du terrorisme dans les milieux urbains… La manière est primaire, mais jusqu’à maintenant, hélas, elle fonctionne, car qui se soucie des analyses ?
IMPÔTS DES FAMILLES
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé