Harper saute dans l’arène constitutionnelle

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L'arène, dites-vous ? Plutôt la poêle à frire

Quoi qu’on en dise, la question constitutionnelle finit toujours par se pointer le bout du nez. Et cette fois-ci, elle le fait à moins de trois semaines d’un déclenchement possible d’une élection au Québec. Un terreau, disons, fertile.
Cela explique pourquoi Alexandre Cloutier, ministre des Affaires intergouvernementales, s’est assuré d’y braquer les projecteurs en conviant les journalistes au parlement par un beau dimanche matin Question de marquer le côté «solennel» de la chose.
Dénonçant l’attaque «frontale et sournoise» d’Ottawa, M. Cloutier y réagissait durement à la décision du gouvernement Harper d’intervenir dans le cadre d’une contestation devant la Cour supérieure du droit à l’autodétermination du Québec tel que reconnu par la loi 99 adoptée en décembre 2000.
Rappelons que cette croisade judiciaire contre la loi 99 est menée par l’ex-chef du Parti égalité, Keith Henderson, appuyé de son redoutable avocat, Brent Tyler – deux militants fédéralistes anglo-québécois actifs depuis longtemps.
Contexte :
Grosso modo, la loi 99 reconnait le «droit inaliénable du peuple québécois de choisir librement» son statut politique et protège l’intégrité territoriale du Québec en cas d’indépendance. En fait, la loi 99 était la «réponse» du gouvernement de Lucien Bouchard à la Loi dite sur la clarté du gouvernement fédéral de Jean Chrétien adoptée en juin 2000.
La Loi sur la clarté s’inspirait elle-même du «renvoi relatif à la sécession» du Québec émis par la Cour suprême en août 1998, lequel remettait aux «acteurs politiques» du Québec et du Canada, la responsabilité de «déterminer en quoi consiste «une majorité claire en réponse à une question claire», suivant les circonstances dans lesquelles un futur référendum pourrait être tenu». Il avertissait aussi le Québec qu’en cas de sécession, même ses «frontières provinciales actuelles» pourraient être remises en question.
Et comme la Cour suprême laissait au «acteurs politiques» le soin de déterminer ce qui constituerait ou non une «majorité claire» répondant à une question référendaire «claire», le gouvernement Chrétien ne s’est pas fait prier pour la prendre au mot.
Sous sa Loi sur la clarté, il reviendrait donc à la Chambre des communes de déterminer, «par résolution» si la question et la majorité d’un Oui, le cas échéant, sont claires. (Comme quoi, cette obligation de «clarté» ne semble pas trop s’appliquer à une victoire serrée du Non…)
En d’autres termes, pas question pour Ottawa, quel que soit le parti au pouvoir, d’accepter le principe du 50% + une voix pour le Oui comme l’obligeant à enclencher des négociations avec un gouvernement du Québec ayant remporté un référendum sur l’indépendance.
Par ce texte de loi, on cherchait à nier au Québec son plein droit à l’autodétermination. Ou, si vous préférez, il le subordonnait au «bon jugement» du gouvernement fédéral du jour. D’où l’adoption subséquente de la loi 99 affirmant résolument le contraire…
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Pourquoi le gouvernement Harper s’en mêle-t-il?
Plusieurs se disent étonnés. Pourquoi diable le gouvernement Harper saute-t-il dans l’arène d’une contestation aussi politique? D’autant qu’elle traîne dans les coulisses judiciaires depuis plus d’une décennie déjà et que même le gouvernement Chrétien refusait de s’en mêler. Pour le gouvernement Harper a-t-il donc décidé de demander à la Cour de déclarer la loi 99 ultra vires ou hors du champ de compétence du Québec?
Pourquoi poser un tel geste, se demande-t-on, surtout à l’aube d’une possible campagne électorale au Québec? Pourquoi faire un tel «cadeau», entend-on, à un gouvernement péquiste en quête d’une victoire majoritaire? Et qui, par définition, ne lèverait pas le nez sur une bonne confrontation avec le fédéral
Le fait est qu’au-delà des contradictions gênantes sur le sujet de son ministre responsable du Québec, Denis Lebel, Stephen Harper ne manque pas de motivations dans ce dossier.
- Comme chef du gouvernement du Canada et gardien de l’unité nationale, considérant que la Cour supérieure accepte d’entendre la cause, comment aurait-il pu ne pas intervenir? S’il n’avait rien fait, les Henderson, Tyler et William Johnson de ce monde, l’auraient-ils dénoncé sur toutes les tribunes du pays? Leurs pressions entêtées, tout au moins, auraient continué à s’exercer inexorablement sur le premier ministre.
- En prenant cette décision, le Parti conservateur étant lui-même talonné dans les sondages par le Parti libéral de Justin Trudeau et le NPD de Thomas Mulcair, Stephen Harper peut maintenant remettre son chapeau de «Capitaine Canada». ce geste porte nettement au-delà de sa simple base électorale. En fait, il parle ici au Canada anglais, aux Anglo-Québécois et aux communautés culturelles en leur disant qu’il veille au grain de l’unité canadienne.
Ce faisant, il prend Justin Trudeau de court dans le département prisé de la lutte aux «séparatistes». En extra, il se distingue d’un NPD qui se dit en accord avec le principe du «50% +1» – un NPD pris par ailleurs sur ces questions entre l’arbre canadien-anglais et l’écorce québécoise.
Quant au Québec lui-même, Stephen Harper n’a pas trop à y perdre. Le Parti conservateur y est déjà au sous-sol des sondages depuis des années. Son chat électoral est mort depuis longtemps chez les nationalistes dits mous. Sa vraie menace ici, ce sont les libéraux de Justin Trudeau et les néo-démocrates de Thomas Mulcair. Pour ce qui est du Bloc, on en parle à peine.
L’intervention de son gouvernement dans cette contestation juridique, même discrète, s’inscrit aussi parfaitement dans l’attitude qu’il a prise face au gouvernement Marois. Le voyant comme un tigre édenté et muet sur l’option souverainiste, il prend plaisir à l’ignorer en ramenant ses moindres récriminations à de la «chicane». Tout simplement.
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Un cadeau, mais pour qui au juste?
Dans l’isoloir, s’ajoutant à l’effet espéré de sa charte dites des valeurs québécoises, la résurrection de la question constitutionnelle ne peut pas faire de tort au Parti québécois. Surtout auprès de sa propre base électorale qui ne s’en peut plus du silence ambiant sur la souveraineté.
Elle met de surcroît le Parti libéral de Philippe Couillard et les caquistes de François Legault dans l’obligation de voter pour une énième motion de l’Assemblée nationale réitérant le droit à l’autodétermination du Québec. Mais ça, c’est pour quelques jours.
Pour l’option souverainiste elle-même, c’est toutefois une autre histoire. Cette «confrontation» par avocats interposés risque fort de ne rien changer à la mise en veilleuse effective de sa propre option depuis, en fait, le référendum de 1995.
Dimanche, en conférence de presse, le ministre Alexandre Cloutier n’avait même rien à dire sur le sujet lorsque des journalistes lui ont demandé «dans quelle mesure vous croyez» que l’intervention d’Ottawa «peut ranimer la flamme souverainiste au Québec»? Se contenant de dire que son gouvernement défendrait «les intérêts du Québec de façon unanime», il n’a pas dit un mot sur l’option de son parti.
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Une question de plus en plus théorique
C’est un secret de Polichinelle. Le gouvernement Marois optant résolument pour la politique «identitaire» en lieu de l’avancement de son option, la question même du déclenchement éventuel d’un troisième référendum par un gouvernement majoritaire du Parti québécois semble être de plus en plus théorique.
Dans sa «défense» présentée dans le cadre de la contestation de la loi 99 par le duo Henderson-Tyler, même le Procureur général du Québec le constate quand il en dit qu’elle :
«repose sur une série d’hypothèses que rien ne permet d’entrevoir pour l’instant, notamment, que le gouvernement du Québec décide de tenir un référendum sur la souveraineté, que cette option l’emporte, que le Québec et le reste du Canada ne s’entendent pas sur les suites à y donner, que le gouvernement du Québec décide de proclamer unilatéralement la souveraineté du Québec, etc.;»
Si le gouvernement, «pour l’instant», est en effet minoritaire et ne peut tenir de référendum, le Procureur général donne néanmoins l’impression d’écarter la possibilité que le contexte politique pouvant mener à un référendum soit moins «hypothétique» à moyen terme. Soit d’ici les longues prochaines années que cette contestation prendra pour atterrir un jour, qui sait, devant les juges de la Cour suprême.
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Deux lois très politiques
Dans les faits, autant la Loi sur la clarté du gouvernement Chrétien que la loi 99 du gouvernement Bouchard étaient des gestes de nature essentiellement politique. À ce chapitre, il importe de souligner que ces deux documents sont en fait des lois ordinaires des deux parlements. La Loi sur la clarté n’est pas constitutionnalisée et ne peut obliger en soi l’Assemblée nationale à s’y soumettre aveuglément.
À l’époque, pour Jean Chrétien – profitant du Renvoi de la Cour suprême sur la sécession pour le faire -, sa Loi sur la clarté se voulait être surtout un puissant message politique.
Au Canada anglais et aux Anglo-Québécois qui l’avaient sévèrement blâmé pour le résultat serré du référendum de 1995, Jean Chrétien leur disait à peu près ceci : dormez sur vos deux oreilles, avec la Loi sur la clarté, plus jamais vous ne revivrez le psychodrame du 30 octobre 1995. Il faudra nous passer sur le corps, à Ottawa, pour laisser le Québec partir à moins que l’on ne juge la question et la majorité suffisamment claires. Ce qui devrait arriver quelque part au milieu de la semaine des quatre jeudis. Le message a tellement porté que la Loi sur la clarté fait quasiment office d’acte fondateur du Canada moderne dans la perception de nombreux Canadiens.
Aux Québecois, Jean Chrétien brandissait plutôt un épouvantail juridique muni d’un message dissuasif à l’avenant: attention, vous êtes prévenus. Si vous tentez le coup une autre fois et que le Oui gagne de justesse, le processus qui suivra risque fort d’être chaotique, compliqué et pas plaisant du tout…
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Des lois politiques dans un processus politique
En bout de piste,dans notre contexte géopolitique particulier, le processus d’indépendance est et demeure de nature essentiellement politique, et non juridique. C’est d’ailleurs ce que la Cour suprême elle-même dit dans son Renvoi sur la sécession lorsqu’elle remet aux «acteurs politiques» la responsabilité de s’en occuper. Plus précise encore, elle le dit clairement :
«Dans la mesure où les questions abordées au cours des négociations seraient politiques, les tribunaux, conscients du rôle qui leur revient dans le régime constitutionnel, n’auraient aucun rôle de surveillance à jouer.»
Ce qui, par contre, laisserait un Oui majoritaire serré entre les mains des «acteurs politiques» fédéraux et du Canada anglais. Facile à deviner ce qu’ils en feraient pour tenter de combattre l’effectivité de l’indépendance du Québec.
Mais tout ça est, force est de le constater, de plus en plus hypothétique.
À l’aube d’une possible élection, même le gouvernement, tout au moins jusqu’à preuve du contraire, s’accroche nettement plus à sa charte des valeurs québécoises qu’à son option.


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