La Carte et le territoire

Houellebecq et le Goncourt

Une faille dans l'écriture, mais d'une lecture facile

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Tribune libre

Voici une critique rapide de la plume de Houellebecq, qui mérite néanmoins son Goncourt. Ceux qui ont lu mon texte sur la lutte entre la modernité et la postmodernité comprendront mieux sur quelles bases mon jugement repose.
Vous souvenez-vous quand on écoutait «les petits bonhommes» (les dessins animés), avec leurs pouvoirs, leurs dons, ils se mettaient dans le pétrin et on se surprenait à les voir se coincer dans des situations dont ils auraient aisément dû se sortir d'ordinaire. On souffrait pour eux et ça nous énervait.
La critique que Houellebecq fait de notre société provoque chez moi le même énervement. Je ne comprends pas comment quelqu'un qui fait un tel portrait, réaliste et sombre de la société, peut à ce point valoriser le sexe. Son monde est froid, vide, austère, sans rapports humains authentiques et je ne m'explique pas comment quelqu'un qui a un tel esprit analytique peut se fourvoyer sur l'essentiel, la vie a quelque chose de «numineux», mais Houellebecq montre toute la férocité d'un monde sans transcendance et si esthétiquement ses oeuvres sont réussies, s'il a parfois des moments spectaculaires, il les fait reposer sur un propos philosophique plutôt faible qu'il compense par une extraordinaire sensibilité esthétique.
Houellebecq critique clairement nos sociétés et pourtant il semble que dans ses romans, le capitalisme et le darwinisme social qui l'accompagne ne sont pas vraiment disséqués avec la même intelligence que les cas ou les effets qu'ils produisent.
Houellebecq va expliquer combien triste et dramatique est la vie d'un perdant à ce jeu-là et il le fera avec nuance et intelligence, mais il n'ose pas vraiment porter son regard sur les causes.
Il gravite dont finalement sur le constat du caractère très superficiel de l'existence postmoderne, mais son refus de plonger dans les profondeurs l'oblige à faire des tours de passe-passe à la fin de ses romans et à recourir à des artifices plutôt maladroits : le recours à de la science-fiction où l'humanité finit immanquablement par être différente, montrant par là justement notre échec actuel.
Même si ça fait original, ça camoufle que ses romans sont inachevés et qu'il les fait finir en queue de poisson. Pourquoi? Parce que sa pensée est inachevée : Houellebecq n'arrive pas à voir ses propres contradictions. L'existence est pleine de sens et d'opportunités de se laisser toucher par la transcendance, ne serait-ce que par l'art, ces romans ne parlent indirectement que de cette aspiration, mais il fait exprès de peindre un monde où un tel sens n'existe pas.
Sa fixation sur la beauté et le sexe est également révélatrice d'une certaine immaturité, le point oméga pour ses personnages est justement dans la pénétration d'une femme sublime
Voilà précisément ce qui m'étonne : comment peut-on être parfois si génial, surtout pour le vernis, et pour l'essentiel, être si lourd?


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    11 novembre 2010

    Bonjour,
    Michel Houellebecq, comme la totalité de la "littérature" française de France contemporaine, n'est qu'un vaste canular. (Environ 700 nouveaux romans pour septembre 2010 ! Ce n'est plus de la littérature, c'est du stakhanovisme.)
    JJK
    P.S. Veuillez bien noter que ma réflexion ne s'applique pas aux auteurs francophones "non-français de France". De ce côté-là, au contraire on a une richesse immense : Yasmina Khadra, Ahmadou Kourouma, Victor-Lévy Beaulieu, Jacques Chessex...

  • L'engagé Répondre

    9 novembre 2010

    Je suis touché, Madame Ferretti, par votre mot. Je n'ai fait le lien que depuis peu entre les textes que je découpe dans Le Devoir depuis un moment et votre présence sur Vigile; je suis chaque fois frappé par la clarté de votre pensée et la justesse de vos positions.
    Je le dis sans flagornerie, vos textes dissipent le brouillard, et ces derniers temps, je suis souvent dans le brouillard. C'est à croire que le Québec a fait son nid sur le museau d'un dragon.

    J'ai véritablement découvert Miron, Vadeboncoeur et Ferron cette année (j'ai découvert la littérature anglo-saxonne bien avant la québécoise) et c'est avec une joie évidente que j'ai compris qu'une contemporaine poursuivait le combat, à travers les chemins poétiques et non poétiques (j'ai utilisé cette analogie de Miron tout l'été pour expliquer la nécessité de l'indépendance).
    Bref, il y a quelque temps, j'ai écrit dans mon carnet quelques-uns de vos titres, la synchronicité de votre commentaire a ainsi été particulièrement significative.
    Pour terminer sur une notre plus littéraire, j'ai trouvé que l'exploration du mal des « Bienveillantes » était une véritable plongée dans les abysses humains, j'ai d'ailleurs lu « Stalingrad» de Beevor, ce qui m'a permis d'apprécier toute la recherche de l'auteur.
    Malgré les horreurs de ce livre, j'y ai découvert une vision plus mature que celle de Houellebecq; la culture doit nourrir, parfois les artistes l'oublient. Mais on ne peut les blâmer, on les oublie trop souvent.
    Sincèrement,
    L'engagé

  • Archives de Vigile Répondre

    9 novembre 2010

    Dans Plateforme, que j'ai adoré, Houellebecq a quelques mots -plutot cinglants- sur les Québécoises à Cuba.( il a mis Québécoises mais il aurait pu mettre Australiennes ou Américaines)

    «Je les avais remarquées en arrivant, elles étaitent(le t a échappé aux correcteurs) trapues et résistantes, tout en dents et en graisse, et parlaient incroyablement fort; on n'avait aucun mal à comprendre qu'elles aient rapidement enterré leurs maris. Je sentais qu'il n'y aurait pas eu intérêt à leur passer devant une queue de self-service, ou à s'emparer d'un bol de céréales qu'elles auraient convoité. Lorsque l'ancien bellâtre s'approcha de leur table elles lui jetèrent des regards énamourés, redevenant presque des femmes. Il se pavanait largement devant elles, accentuant encore son obscénité par des gestes de suspension qu'il opérait à intervalles réguliers au travers de son slip, et par lesquels il semblait s'assurer de la matérialité de son service trois pièces. Les quinquagénaires québécoises semblaient ravies de cette compagnie évocatrice; leurs vieux corps usés avaient encore besoin de soleil. Il jouait son rôle, parlait à voix basse à l'oreille des vieux êtres, les appelant à la manière cubaine "mi corazon" ou "mi amor". Rien d'autre n'aurait lieu, c'est certain, il se contentait de susciter d'ultimes tressaillements dans leurs vieilles chattes; mais ce serait peut-etre suffisant pour qu'elles aient l'impression d'avoir passé d'excellentes vacances, et qu'elles recommanderaient le club à leurs amies; elles en avaient encore pour au moins vingt ans.» (Page 224-225)

    Le roman se termine par le massacre de touristes par un islamiste dans une station balnéaire d'Asie. Le scénario est presque le même de ce qui est arrivé quelques années plus tard à Bali. Quel pif!

    Houellebecq est le plus grand écrivain français du 21e siècle. En tout cas c'est mon préféré.


  • Archives de Vigile Répondre

    9 novembre 2010

    J'ignore qui vous êtes "L'engagé". Quelqu'un de bien, sans aucun doute, puisque la littérature vous intéresse.
    Merci pour cette critique de l'oeuvre de Houellebecq. C'est une démonstration concrète de l'universalité des préoccupations des militants indépendantistes.
    Je n'ai pas encore lu "La carte et le Territoire", mais je suis contente de voir que nos jugements sur les oeuvres précédentes concordent.
    Nous restent à espérer que notre cher VLB remportera aujourd'hui le Prix "Décembre".
    En toute connivence,
    Andrée Ferretti.