Avec l'abandon du questionnaire détaillé du recensement et le sort réservé à la recherche sur les changements climatiques, le gouvernement Harper nous a confirmé, une fois de plus, qu'il avait un faible pour l'ignorance qui sert bien ses vues. Le dossier du registre des armes à feu en offre un autre exemple, en plus de fournir une preuve de son intransigeance à l'endroit de ceux qui osent contredire le gouvernement.
La mise à l'écart la semaine dernière du directeur du Programme canadien des armes à feu, Marty Cheliak, tombe trop bien pour ne pas être suspecte et il faudrait être bien naïf pour avaler cette excuse voulant qu'il ne réponde pas aux exigences linguistiques de son poste neuf mois à peine après sa nomination.
Le défaut de Marty Cheliak n'est pas de ne pas maîtriser le français, mais d'avoir pris la défense du registre des armes à feu. Il devait se rendre en fin de semaine à la conférence de l'Association canadienne des chefs de police (ACCP) afin d'y présenter un rapport favorable au contrôle des armes à feu. Mais voilà, cela arrivait à un bien mauvais moment pour les conservateurs puisqu'un vote crucial sur le projet de loi C-391 de la députée conservatrice Candice Hoeppner, projet qui vise à exclure les armes d'épaule du registre, doit avoir lieu dans moins d'un mois.
Le grand patron de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), William Elliott, s'est défendu d'avoir répondu à un ordre politique. Le premier ministre Stephen Harper et plusieurs de ses ministres ont répété qu'il s'agissait d'une affaire interne de la police fédérale. On espère qu'ils disent vrai parce que l'inverse signifierait une police prête à se contorsionner pour répondre aux impératifs idéologiques de ses maîtres politiques.
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Le plus inquiétant cependant est qu'il semble y avoir un fond de vérité à ces soupçons. Des révélations faites vendredi sur le site du magazine Macleans laissent croire que la GRC s'est efforcée de fournir au gouvernement conservateur des études qui soutiendraient son opposition farouche à Insite, le site d'injection supervisée de Vancouver. Pire encore, cette affaire laisse aussi croire que le gouvernement et/ou ses agences ne se contentent plus de camoufler les faits pour avoir gain de cause, mais qu'ils sont prêts à les fabriquer pour vendre leur salade.
Pour comprendre, il faut remonter à l'automne dernier, quand on a appris que la GRC avait commandé quatre analyses des recherches publiées dans les revues scientifiques et faisant état des avantages d'Insite. Les deux premières études, réalisées par deux consultants, ont conclu que les recherches étaient scientifiquement valides. La GRC en a alors demandé deux autres, dont une à un chercheur reconnu pour son opposition à Insite. Les deux dernières études ont évidemment mis en doute les recherches publiées jusque-là, mais leurs propres résultats n'ont pas trouvé preneur, sauf sur un site favorable à la ligne dure en matière de lutte contre la drogue. Détail important aussi, on ne mentionnait pas que la GRC était commanditaire. Le gouvernement Harper, lui, s'en est abondamment servi pour justifier la guerre juridique qu'il mène à Insite et qui est rendue devant la Cour suprême du Canada.
Ce qu'on ignorait, et que nous apprend Macleans, c'est qu'après avoir appris le rôle de la GRC dans cette affaire, le chercheur Julio Montaner, directeur du Centre d'excellence sur le VIH/sida de la Colombie-Britannique, a approché la GRC pour l'amener à reconnaître la faiblesse de ses deux études et la validité des données scientifiques démontrant l'efficacité des sites d'injection supervisée. Après maints échanges, la direction de la GRC en Colombie-Britannique s'est dite prête à reconnaître publiquement les faits et une conférence de presse à cet effet a été organisée pour décembre. Mais deux jours avant l'événement, le Dr Montaner apprenait que tout était annulé. On lui faisait comprendre que l'ordre venait du quartier général d'Ottawa.
Triste ironie. Au moment où devait avoir lieu ce mea-culpa, l'Institut national de santé publique du Québec publiait son propre Avis sur la pertinence des services d'injection supervisée: analyse critique de la littérature. Et, après avoir soupesé la validité des recherches publiées, il recommandait la mise sur pied de services comme Insite au Québec.
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Rien ne dit que la GRC a reçu des ordres explicites du gouvernement pour camoufler les faits dans le dossier des armes à feu ou pour trafiquer la vérité sur les sites d'injection supervisée et ensuite refuser de le reconnaître, mais il est certain que la direction de la police fédérale a plu au pouvoir en agissant de la sorte.
Deux hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ces décisions. La première relève simplement de la nature humaine. Contesté pour son style de leadership, le commissaire William Elliott joue actuellement sa tête et a peut-être voulu éviter un accrochage avec le gouvernement.
La seconde est plus dérangeante. Ce pourrait-il que le climat de peur qui sévit dans les rangs de la fonction publique fédérale ait pour effet insidieux de pousser les gens à aller au-devant des attentes du pouvoir, quitte à mentir pour lui plaire? Ou d'inciter la majorité à plier l'échine afin de ne pas subir le sort de ceux qui ont osé se tenir debout? Des gens comme Marty Cheliak, Munir Sheikh, Patrick Stogran, Linda Keen...
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