Québec -- Le débat sur l'intervention canadienne en Afghanistan a éclaté hier à l'Assemblée nationale quelques heures avant que ne se tiennent, demain dans la capitale, une parade et une manifestation contradictoires à son sujet. C'est le ministre de la Santé, Philippe Couillard, qui a mis le feu aux poudres en Chambre. Profitant de la question d'un député (qui portait sur un tout autre sujet), il a vertement reproché à plusieurs députés péquistes d'être restés assis lorsque le président Michel Bissonnet avait souligné, plus tôt, la présence de sept militaires du Royal 22e Régiment dans les tribunes de l'Assemblée. Il a qualifié le geste des péquistes de «regrettable» et de «pathétique» à l'endroit de gens qui vont «risquer leur vie».
Ces mots ont soulevé la colère dans les banquettes péquistes. Mais celles-ci ont à leur tour été arrosées d'une pluie d'injures en provenance des rangs libéraux. Serge Deslières (Beauharnois), un des péquistes restés assis, s'est mis à crier: «Qui est le chef? Qui est le chef?» Le député Vincent Auclair (Vimont), a quant à lui hurlé que les péquistes avaient manqué de courage et de dignité. C'est alors que le whip péquiste Stéphane Bédard et la leader Diane Lemieux ont exigé que le ministre Couillard retire ses propos, qui violaient à leurs yeux l'esprit du règlement: un député ne peut pas souligner l'absence d'un des élus et ne peut pas lui imputer des motifs indignes. «Il y a des gens ici qui ont une connaissance personnelle de militaires qui sont en Afghanistan. On n'a pas à décider ce que les députés pensent parce qu'ils sont assis ou parce qu'ils sont debout», a pesté Mme Lemieux.
Hésitant, le président Bissonnet a demandé à deux reprises au ministre de poursuivre sa réponse. Mais la leader a insisté, allant jusqu'à donner un exemple de motif indigne: et si l'opposition rappelait les années que Philippe Couillard a passées en Arabie saoudite comme médecin «pour faire de l'argent [...] alors que le système était en difficulté ici [...], est-ce que vous accepteriez ça?» Devant le chaos, le président a suspendu les travaux à 10h57. Après une demi-heure de délibération et de réécoute des enregistrements, il a redonné la parole au ministre de la Santé, qui a alors fait acte de contrition: «Si j'ai blessé des personnes dans cette salle, je m'en excuse», a-t-il dit tout en expliquant qu'il avait une «croyance profonde» dans le respect qu'on doit aux militaires. «Mon émotion l'a certainement emporté», a-t-il enchaîné, soulignant que son fils est élève officier dans les Forces canadiennes.
Par la suite, une motion déposée par le député adéquiste de Beauce-Sud, Claude Morin, lui-même ancien militaire, de concert avec un élu péquiste et un élu libéral, a été adoptée à l'unanimité (114 voix contre aucune): «Que l'Assemblée nationale souligne le courage, l'abnégation et le sens du devoir de plus de 2500 soldats, sous-officiers et officiers qui quitteront le secteur Québec de la Force terrestre, entre le 15 juillet et le 1er septembre prochain, pour une mission de plus de six mois à Kandahar, en Afghanistan.»
À la sortie de la période de questions, M. Couillard en a toutefois rajouté, disant que les élus péquistes avaient commis un «geste politique [...] en gardant le nez dans leurs papiers» et qu'ils devraient avoir «le courage de l'assumer publiquement et d'en répondre». «Je demanderai à chacun d'entre eux pourquoi ils ont jugé bon de poser ce geste-là, quel message politique ils veulent envoyer. Sinon, c'est quoi? C'est de la bravade, c'est du cinéma, du théâtre?»
La ministre de la Culture, Christine St-Pierre, a elle aussi dénoncé le geste des péquistes. Insistant sur la «noblesse» de la mission canadienne en Afghanistan, elle a dit que la «moindre des choses» pour les élus péquistes aurait été «de se lever». Lorsqu'elle était reporter, Mme St-Pierre avait été blâmée par la direction de Radio-Canada pour avoir publié dans un journal un court texte en appui aux militaires canadiens en Afghanistan.
Le whip Stéphane Bédard s'est dit «scandalisé» par l'attitude de M. Couillard, un «homme désespéré» en raison des problèmes du système de santé qui s'accumulent. À ses yeux, le ministre a tenté de «détourner l'attention» en utilisant un sujet chaud, ce qui fait de lui «un pauvre homme». Ce faisant, il a dénigré les convictions pacifistes de certains membres du caucus péquiste.
Parmi ceux-ci, la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, Louise Harel. Elle ne s'est pas levée parce qu'elle n'appuie pas la mission canadienne et refuse absolument qu'elle soit prolongée. Elle a d'ailleurs cru refléter ainsi l'opinion d'une «majorité de Québécois». «Ça ne m'empêche pas de reconnaître le courage de ceux qui participent à la mission», a-t-elle dit, soulignant que certains jeunes soldats de son comté sont là-bas, d'où son vote en faveur de la motion. Si elle le pouvait, elle serait dans la Vieille Capitale demain pour manifester avec la Coalition de Québec pour la paix. (Celle-ci se réunira devant le Musée des beaux-arts du Québec à 18h30. Parallèlement, les soldats feront un défilé.)
Serge Deslières aimerait aussi faire de même puisqu'il voit dans la guerre en Afghanistan «un conflit à l'américaine, une "guerre Bush", une guerre d'intérêts économiques n'ayant rien à voir avec la défense de la sécurité et de la paix». Quant au député de Vachon, Camil Bouchard, non seulement il a refusé d'applaudir ou de se lever pour les militaires, il a de plus quitté la Chambre pour éviter de voter sur cette motion. «J'ai toujours été d'accord avec l'envoi de Casques bleus, mais cette mission est d'une autre nature, elle est plus offensive. Je m'y oppose.»
Les militaires présents ne se sont pas montrés surpris du débat que leur présence a soulevé. Au sortir de la Chambre, le brigadier-général Guy Laroche a soutenu qu'en démocratie, il est «normal» que des citoyens n'appuient pas certaines missions de l'armée. Toutefois, il estime que l'ensemble de la population, comme l'a montré le vote unanime à l'Assemblée, appuie les troupes.
Trois morts
Ce débat est survenu au moment où les Forces canadiennes essuyaient de nouvelles pertes en Afghanistan. Trois soldats sont morts hier matin alors qu'ils effectuaient des opérations de ravitaillement à 40 kilomètres à l'ouest de Kandahar. Leur véhicule non blindé a touché un «explosif improvisé», placé sous la route. Ces décès portent à 60 le nombre de militaires canadiens tombés au combat depuis 2002. Un diplomate a aussi perdu la vie en Afghanistan.
À Ottawa, le triple décès d'hier a jeté une douche froide sur la Chambre des communes hier. Alors que les passions déchiraient l'Assemblée nationale à Québec, les partis politiques fédéraux soulignaient sobrement la mort des soldats à Ottawa. Stéphane Dion, Stephen Harper, Gilles Duceppe et Jack Layton ont ouvert la période de questions en témoignant leur respect aux victimes militaires du conflit afghan.
Tous les partis ont d'ailleurs condamné les élus -- comme ceux de Québec -- qui refusent de témoigner leur respect aux soldats québécois qui partiront pour l'Afghanistan de juillet à septembre. Même le chef du NPD, Jack Layton, qui souhaite un retrait immédiat des troupes, a soutenu cette position. «On doit tout le temps saluer nos troupes. On doit respecter tous ceux et celles qui portent les couleurs du Canada dans les situations de combat», a-t-il dit. Jack Layton a dit qu'il ne marchera à Québec demain ni avec les soldats ni avec les pacifistes.
En revanche, le chef libéral Stéphane Dion marchera aux côtés des militaires dans les rues de Québec. L'accompagnera le député Denis Coderre, qui souhaite une large manifestation en faveur des troupes qui seront déployées. «On doit aller là en grand nombre pour saluer nos soldats et leur souhaiter bonne chance», a-t-il dit.
Si le premier ministre a délégué deux de ses ministres (Gordon O'Connor et Josée Verner) pour défiler avec les soldats de Valcartier, ce n'est pas le cas du Bloc québécois. Le parti souverainiste refuse d'appuyer ce qu'il juge comme étant de la «propagande conservatrice». Mais le Bloc refuse également d'appuyer l'activité des pacifistes, lesquels réclament un retrait immédiat des troupes canadienne en Afghanistan.
Une position que Gilles Duceppe juge «simpliste», même s'il souhaiterait que la mission canadienne soit «plus équilibrée» et fasse davantage de place au développement du pays. «Demander un retrait immédiat est irresponsable. Il y a eu une décision de prise ici, aux Communes, et c'est d'être là jusqu'en 2009. D'autre part, je l'ai déjà dit fréquemment, quand on nous dit qu'il ne faut jamais utiliser les moyens offensifs de la guerre, je pense que c'est une erreur. [...] On n'arrivera pas avec des cartes d'affaires en disant: "Voulez-vous vous tasser, nous sommes des gens de paix, tirez les premiers!" [...] Ça prend des actions musclées à un certain moment.» Selon le chef souverainiste, il faut être capable d'établir la différence entre les soldats et la politique. «Nous, on appuie les hommes et les femmes qui participent à la mission. On n'appuie pas cependant la politique canadienne en Afghanistan. J'ai le plus grand respect pour ceux qui mettent leur vie en péril en assistant à de telles tâches. Mais il faut faire la distinction entre l'appui aux hommes et aux femmes qui font partie des troupes et le fait qu'on n'appuie pas la politique canadienne.»
Avec la collaboration de Robert Dutrisac
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- Couillard met le feu aux poudres - Manifestations contradictoires à Québec
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