Réflexion sur la condition québécoise

L’américanophile, le Canadien français et la maison mère

Une critique du livre d'Alexandre Soublière

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Chronique de Thomas Franche

J'ai lu La maison mère d'Alexandre Soublière, un ouvrage mi-roman mi-essai dans lequel il se souvient des événements de sa vie. L’auteur y ajoute ses propres observations sociopolitiques dans un contexte fictif d’effondrement général de la société. Le livre m’a plu !


Les critiques que j’avais entendues de La masion mère avait réduit l’ouvrage à la suggestion de l’auteur de ressusciter le terme « Canadien-français » plutôt que l’étiquette « Québécois ». À la page 231, Soublière souligne que les mots « Québécois » et « Canadien-français » sont utilisés de manière interchangeable, bien que le deuxième exclut du « nous » collectif nombre de personnes qui peuvent tout à fait légitimement s’en revendiquer. Je suis d’accord.



Or, les anglophones se sont également appropriés l’étiquette « Québécois », du moins quand ça fait leur affaire. Ils ont appelé l’association qui s’est donné pour mandat de combattre la Charte de la langue française Alliance-Québec (et non pas Alliance-Canada). Les médias disent « Anglo-Québécois », sans que personne ne se souligne que le colonisateur britannique nous enlève ainsi le nom de « Québécois », comme celui de « Canadien » nous a été volé au XIXe siècle (ainsi que nos symboles comme la feuille d’érable, le castor et même l’hymne national composé par Calixa Lavallée). Aujourd’hui, ce sont les minorités ethniques qui ont récupéré l’étiquette de Québécois. 



Dans la vision politiquement correcte de la chose, un Québécois n’est plus un descendant des Français qui ont colonisé la vallée du Saint-Laurent au XVIIe siècle, ni ceux qui se sont intégrés à cette nation. C’est un citoyen canadien qui habite le territoire de la province de Québec, peu importe sa race, sa langue maternelle ou sa religion. Comme l’observe Soublière, cette modification conceptuelle vient du Parti Québécois et, vu l’état des choses aujourd’hui, on peut se demander si le PQ n’a pas été, malgré lui, plus efficace que Lord Durham pour assimiler les Canadiens-français. Le terme Québécois a été tellement vidé de son sens qu’on est aujourd’hui obligé de se servir du pléonasme « Québécois francophone » pour parler des descendants des colons français. Est-ce un progrès pour le nationalisme et le souverainisme ? 



Soublière ne se cache pas de son américanophile, dans le sens des États-Unis (mais, d’une certaine manière, de l’Amérique en général). 

 


[…] J’ai choisi de m’intéresser à nos voisins du Sud parce qu’ils ont rédigé leur Constitution en s’inspirant des valeurs des Lumières et que je crois en une certaine identité américaine (continent) qui est inclusive en ce qui a trait au rapport avec le territoire. (p. 153)



Venant des États-Unis, on m’a souvent demandé pourquoi j’ai voulu immigrer ici. Je menais une bonne vie avant dans le Minnesota. Mais au fond, j’ai fini par trouver que les États-Unis n’ont plus d’identité qui leur soit propre, ni de culture. Oui, je sais, personne ne veut entendre cela et on me dira qu’il y a d’énormes différences entre les régions du pays. Bien sûr, ces différences existaient autrefois. Or, la manière de faire des grands centres, plus précisément la culture hégémonique de New York et de Los Angeles, par l’entremise des médias de masse, a aplati toutes ces différentes. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’une culture de masse qui porte les mêmes valeurs et les mêmes référents culturels d’un océan à l’autre. Et ça, personne ne veut l’avouer. À ce propos, il est intéressant de lire ce que Soublière dit au sujet de son chum de gars Simon :

 


Simon n’a jamais vraiment compris la culture québécoise. […] Ce n’est pas parce qu’il habite aux Etats-Unis. […] Quand il était encore au Québec, il écoutait souvent la radio de Québec et en est venu à éprouver du mépris pour tout ce qui est culture québécoise mainstream. Puis il a lâché tout ça au profit d’Howard Stern […] pour ensuite aller vers Sam Harris et Joe Rogan. Simon a habité plus de douze ans sur le Plateau et il n’aurait même pas été capable de reconnaître Guy A. Lapage s’il l’avait croisé à l’épicerie. (p. 113)



Oui, c’est sûr qu’il y a des personnes comme Simon à Québec. J’ai déjà écrit sur la ville de Québec, ainsi que sur la vision du monde très problématique des Sam Harris du monde. J’ai rencontré plusieurs personnes qui vénèrent Steve Jobs. J’ai travaillé dans une entreprise à Québec qui croyait être le prochain Apple dans le domaine de la réalité virtuelle et des jeux vidéo dits « sérieux ». Mais je tiens à dire qu’à cause de la langue française, nous avons nos propres institutions et nos propres référents culturels. Cela favorise l’épanouissement de notre être, et confère une valeur unique à notre vision du monde. Et cela nous appartient. 



Mais, comme le dit Soublière, en accordant tellement de place à la langue, on a peut-être négligé le concept du territoire et de la nordicité. D’ailleurs, être francophone n’est pas aussi simple et joyeux qu’on peut le croire. 

 


[…] J’en ai longtemps voulu à mes parents pour le choix qu’ils ont fait [de m’élever en Beauce et non en Ontario, où j’aurais appris l’anglais sans accent], et à la loi 101. […] J’étais jeune, fragile et stupide […] quand j’étais adolescent […] je trouverais injuste d’être en compétition sur le terrain du bilinguisme avec [mes cousins vivant en Ontario] qui étaient exposés quotidiennement aux deux langues. (p. 17)



Bien que la mère de Soublière ne soit pas anglophone, mais franco-ontarienne, sa famille me fait penser (encore une fois) au roman L’appel de la race de Lionel Groulx. Il ne suffit pas de se réapproprier le nom de Canadien-français pour régler notre problème d’identité nationale. Dans le roman, le protagoniste, Jules de Lantagnac, est un Canadien-français anglicisé qui part à la reconquête de son identité nationale. Il a épousé une Anglaise, Maud Fletcher, et la famille vit à Ottawa. Les quatre enfants ont été élevés dans la religion catholique, mais en anglais. 



Jules décide de franciser ses enfants, déjà adolescents. Au début, son épouse voit cela d’un bon œil, mais elle perd ses illusions lorsqu’elle constate que son mari est sérieux. La situation se complique lorsque Jule se fait élire à la Chambre des communes pour prendre la défense des écoles françaises de l’Ontario. Nous sommes en 1916. Le règlement 17 y interdit l’usage du français. Maud prévient Jules qu’elle divorcera s’il s’obstine à soutenir les Franco-Ontariens. Enfin, Maud quitte son mari. Les enfants se divisent. William et Nellie appuient leur mère en restant « Anglais ». Wolfred et Virginia appuient leur père en devenant « Français ». Jules a fait ce que doit, mais c’est un homme brisé. 



Je sais que l’histoire du roman n’est pas celle d’Alexandre Soublière, mais la jalousie qu’il exprime face à ses cousins franco-ontariens et à leur capacité de parler les deux langues sans accent m’a fait penser aux sujets difficiles que traite L’appel de la race :


Les dangers culturels et même psychologiques des mariages anglo-francos et la double hérédité qui affaiblit l’esprit des enfants issus des mariages mixtes.

Le mythe de la supériorité anglo-saxonne, et l’antinationalisme canadien-français qui en découle, ainsi que le caractère matérialiste de la civilisation anglo-protestante.

L’anglomanie de la petite bourgeoisie canadienne-française et la perte des traditions, comme la bénédiction paternelle du Jour de l’An. (Le siècle de Mgr Bourget)



 


***




 


[…] Mais ne trouvez-vous pas que le froid fait partie intégrante de l’expérience nord-américaine des Canadiens-français ? (p. 76)



J’apprécie beaucoup qu’il se prononce sur le caractère central de la nordicité québécoise. Au Minnesota, je disais parfois maladroitement que j’étais fier de vivre dans un pays hivernal quand les gens idéalisaient le sud. J’ai déjà aussi assisté au Devoir de débattre : le thème était la nordicité. Tôt dans la soirée, l’explorateur Bernard Voyer a déclaré qu’il n’y avait pas « peuple nordique plus ignorant de son territoire » que les Québécois. 



Alors, pouvons-nous nous donner l’étiquette « nordique » alors même que nous ne démontrons peu de fierté du nord dans notre manière de vivre, comme on le fait pourtant en Russie ou en Norvège ? Côté littérature, il y a La montagne secrète de Gabrielle Roy (qui est plus pancanadien que canadien-français). Mais dans nos attitudes et même dans nos activités dites culturelles, qu’en est-il ? Au Québec, qui fait des séances de sauna avant de prendre un bain de glace ? 



J’ai aimé le personnage de Carl Bergeron dans l’histoire. J’avais lu son livre Voir le monde avec un chapeau il y a quelques années et j’ai particulièrement apprécié le chapitre dans lequel il écrit une lettre à son père, un boomer. Dans son traitement fictionnel, Soublière demande à Bergeron :

 


[…] Est-ce qu’on aurait pu vous imaginer anglophone, mais tout aussi amoureux des grands textes de la France et des philosophies des Lumières ? Votre amour pour la France serait donc un amour pour l’Occident et sa pensée ? (p. 78)



À ce sujet, je trouve qu’on se trompe quand on fait éloge des Lumières. La modernité issue de la Révolution française est la source de la postmodernité dans laquelle on vit. Les gens dits « réactionnaires » peuvent-ils retourner vers une modernité plus « raisonnable » du passé ? Je ne crois pas, car tout cela repose sur l’idée que rien n’est permanent et que tout est en flux chaotique darwinien. Dans cette vision du monde athée et matérialiste, nous ne sommes que des atomes sans objectif (télos) qui rebondissent ici et là. Alors, on n’a d’autre choix que d’« évoluer » (vers la postmodernité). 



Je ne romance pas le passé et mais je ne crois pas que la valorisation de la modernité des Lumières nous aide. Comment peut-on, nous, déracinés et sans traditions, intégrer de nouveaux arrivants qui, eux, sont traditionnels et croyants ? Je ne trouve pas que l’athéisme et le laisser-aller culturel dans lequel on baigne depuis la Seconde Guerre mondiale est suffisant pour assurer la pérennité de ce qu’on appelle vaguement « la civilisation occidentale ».



C’est aussi curieux que son ex-copine Camille soit chanteuse et qu’elle fait carrière en anglais (p. 219). Une genre de Pascale Picard ? Elle s’imagine accéder à un plus grand public en faisant cela, je suppose. Une artiste ou une vendeuse de culture pop ? 





***




Je suppose qu’un Canadien-français a le droit d’idéaliser et d’aimer les États-Unis. C’est juste que je ne comprenne tout simplement pas. On sait que Jack Kérouac était triste de ne pas avoir gardé son français, malgré son succès américain, surtout vers la fin de sa vie. La chanteuse Marie-Jo Thério a sorti un album concept Chasing Lydie (son premier en anglais) racontant l’histoire de l’une de ses tantes qui a immigré aux États-Unis pendant l’exode canadien-français de la fin du XIXe sièce jusqu’aux années 30. Elle y parle de l’attrait matériel des États-Unis (« …tout est possible à Waltham, Mass », chante-t-elle), mais l’album est parsemé d’extraits d’entrevue qu’elle a réalisées auprès de ses descendants, rendus américains et anglophones, et qui témoignent de leur mélancolie nostalgique. Un cousin dit qu’il se sent mal de n’avoir jamais appris le français. Une autre parle de l’histoire de sa famille à l’époque de Lydie; l’endroit était déjà un « melting pot », il y avait des tas de Français, d’Irlandais, d’Italiens…



Mais vivre et se fondre dans le fameux « melting pot » aux États-Unis a un prix. On se fond en quoi ? La finalité du « melting pot », c’est de devenir client chez Wal-Mart.



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