En septembre 2002, Jean Charest avait innové en présentant son « cadre financier » plusieurs mois avant le déclenchement des élections. Le chef libéral répétait à qui voulait l’entendre que ses chiffres avaient été validés par « quatre experts indépendants », qui les avaient jugés réalistes, voire conservateurs.
Même en tenant compte des baisses d’impôt promises, la « marge de manoeuvre » dégagée par la réduction de la taille d’un État que M. Charest qualifiait de « tentaculaire et obèse » augmenterait progressivement à plus de 2 milliards à la fin d’un premier mandat libéral. Coïncidence, c’est exactement la « marge nette » que prévoit François Legault pour la cinquième année d’un gouvernement caquiste.
On sait ce qui est advenu. Sitôt devenu premier ministre, M. Charest a mandaté un ancien vérificateur général qui a trouvé les finances publiques dans un état désastreux. Comble de malheur, la réingénierie de l’État n’a pas eu les résultats escomptés, de sorte que les baisses d’impôt n’ont pas été au rendez-vous.
Personne ne nie la grande compétence de l’économiste Marcel Boyer, professeur émérite de l’Université de Montréal, qui a vérifié le « cadre financier » de la CAQ, mais la volonté politique ou le degré de résistance au changement, sans parler des aléas de la conjoncture, sont des données invérifiables. En réalité, c’est essentiellement un acte de foi que demande M. Legault.
M. Charest a posé la bonne question : le chef de la CAQ, qui disait le Québec ingouvernable dans le cadre canadien, est-il fiable quand il prétend maintenant être en mesure de le transformer ? Il fallait l’entendre dans sa vie antérieure : « Posons la question clairement : est-il possible pour le Québec, dans le cadre fédéral, d’investir comme il le faudrait en éducation tout en assurant un financement adéquat du système de santé ? La réponse est non. »
Bernard Landry a d’excellentes raisons de ne pas aimer M. Legault, dont les manoeuvres lui ont peut-être coûté son poste en 2005, mais s’il avait raison ? Un arriviste ?
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Pendant des mois, Pauline Marois et Jean Charest se sont chicanés sur la véritable nature de François Legault : le chef de la CAQ était-il un fédéraliste de droite ou un souverainiste de gauche ?
À en croire les derniers sondages, il semble bien que Mme Marois ait réussi à imposer sa définition. Depuis le début de la campagne, le vote péquiste n’a pas été entamé par la CAQ. Maintenant que M. Legault s’est officiellement rangé dans le camp du non, un souverainiste mou ne peut pas plus voter pour la CAQ qu’un fédéraliste fatigué ne peut accepter l’invitation de la chef péquiste.
En revanche, la CAQ commence à apparaître comme une solution de rechange valable dans l’esprit des électeurs libéraux. La perspective d’un gouvernement caquiste ne devrait plus causer la moindre inquiétude à l’establishment fédéraliste. La Presse et The Gazette semblent d’ailleurs découvrir au chef caquiste des vertus insoupçonnées. Si les libéraux ne sont plus montrables, il fera parfaitement l’affaire. M. Charest sent très bien le tapis lui glisser sous les pieds. Son face-à-face télévisé avec M. Legault s’annonce mémorable.
Certes, la CAQ ne reconnaît pas la légitimité de la Constitution de 1982, mais aucun gouvernement depuis trente ans ne l’a fait. À partir du moment où sa plateforme affirme qu’elle « ne fera la promotion, ni de la souveraineté, ni de l’unité canadienne », c’est qu’elle se satisfera du statu quo. Que demander de plus ?
Il est vrai qu’un gouvernement Legault demanderait à Ottawa d’évacuer une partie du champ fiscal qu’il occupe et réclamerait une série de nouveaux pouvoirs en matière de langue, de culture, d’immigration, de télécommunications, d’environnement et d’énergie, mais on lui pardonnera volontiers une rhétorique un peu musclée, qui constitue une figure imposée pour tout gouvernement québécois. L’important est que la CAQ ne prévoit pas de plan B en cas d’échec des négociations.
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M. Legault a sans doute fait le bon calcul électoral. Contester le vote souverainiste au PQ aurait simplement fait le jeu du PLQ. D’ailleurs, pour la CAQ, il y a plus d’électeurs libéraux que péquistes à débaucher. Avec 33 % des intentions de vote, selon Léger Marketing, le PQ a probablement fait le plein de ses votes, compte tenu des 9 % recueillis par Québec solidaire et Option nationale, tandis que le plancher traditionnel du PLQ risque maintenant de s’effondrer.
En une semaine, les libéraux ont perdu 19 points chez les non-francophones. Soudainement, c’est la CAQ qui devient un rempart contre la menace du PQ, d’une nouvelle loi 101 et, éventuellement, d’un autre référendum. Le PQ est actuellement sur le seuil d’une majorité à l’Assemblée nationale et seule la CAQ, grâce à ses appuis chez les francophones, est en mesure de lui bloquer la route.
François Legault assure qu’il ne s’associera jamais au PQ. Pourtant, la question demeure : est-il fiable ?
L’arriviste
François Legault assure qu’il ne s’associera jamais au PQ. Pourtant, la question demeure : est-il fiable ?
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