L’économie mondiale au bord du gouffre

9a402d95ebd7d4bc1f356535c70e7ec6

Il presse de définir une stratégie pour éviter d'être entraînés au fond

Le diplomate Charles-Maurice de Talleyrand se plaisait à répéter que « la vraie force est de savoir se limiter ». Ceci est vrai dans tous les domaines, y compris l’économie. Cependant, l’esprit de lucre qui anime les hautes sphères de la finance conduit à accumuler des richesses complètement déconnectées de l’économie réelle. La bulle de la dette enfle, atteignant un niveau jamais vu dans l’histoire du monde. Il est utile d’avoir à l’esprit quelques chiffres clés résumant la situation économique sans issue dans laquelle se trouve l’humanité. Cher lecteur, accrochez-vous quant au nombre de zéros.
On estime que le PIB total mondial tourne autour des 70.000 milliards de dollars tandis que le montant total des dettes est estimé à 190.000 milliards de dollars. Cette dette a doublé en une dizaine d’années. En y regardant de plus près, on constate que le cas américain est absolument explosif. En effet, les 25 plus grandes banques américaines détiennent pour 212.525 milliards de dollars de produits dérivés en 2013 (produits dérivés à l’origine de la crise de 2007/2008). Or, le total des avoirs de ces banques atteint les 8.900 milliards de dollars. Le ratio est donc de 24 à 1. En élargissant ces produits dérivés à l’ensemble du monde, la fourchette va de 600.000 milliards à 1.500.000 milliards de dollars. En gardant l’estimation haute, le ratio par rapport au PIB mondial total est de 21 à 1.
La situation américaine est révélatrice de l’effondrement en cours du système. Le plafond de la dette avoisinant les 17.000 milliards de dollars (environ 1.000 milliards de dollars au début des années 1980), les Républicains majoritaires à la Chambre refusent de relever le chiffre butoir. En procédant à des acrobaties financières pour éviter le défaut de paiement du pays (suspension de versement d’intérêts, etc.), les mesures prises par le secrétaire au Trésor américain, Jacob Lew, permettent de prolonger « la bête » jusqu’au 2 septembre 2013. L’espoir d’un règlement temporaire réside dans une hypothétique entente entre Républicains et Démocrates. Il est symptomatique de rappeler que le premier mandat du président Obama a accumulé plus de dettes au niveau du gouvernement fédéral que ne l’ont fait les 42 mandats des présidents américains, de George Washington à Bill Clinton. En poursuivant l’auscultation, la compilation de tous les passifs des dettes américaines (État fédéral, États fédérés, local) est aujourd’hui supérieure à 56.000 milliards de dollars. Au début des années 1970, le chiffre était de moins de 2.000 milliards de dollars.
La paupérisation de la population américaine est un phénomène majeur. Comme le révèle le bureau de recensement américain (US Census Bureau), 146 millions d’Américains (pour une population de 315 millions d’habitants) sont classés comme « pauvres » ou disposant de « bas revenus ». Cet organisme précise aussi que 49 % des Américains disposant d’une résidence sont bénéficiaires d’allocations en tout genre de la part du gouvernement fédéral américain. En 1983, la proportion était de moins d’un tiers. Alors que les médias officiels s’excitent sur les pourcentages du chômage (falsifiés) oscillant entre 7,6 % et 7,7 % de la population active, les vrais chiffres révélant l’incapacité à vivre décemment en fonction d’un salaire sont les suivants : 47 millions d’Américains dépendent des coupons alimentaires. Quand Barack Obama est arrivé au pouvoir pour son premier mandat, ils n’étaient « que » 32 millions d’Américains. Le corps économique américain est complètement métastasé. Sous l’impulsion de Bernanke, le patron de la Fed (Federal Reserve Bank), on injecte chaque jour, dans le cadre du Quantitative Easing (assouplissement quantitatif), 4 milliards de dollars pour tenir à bout de bras une économie moribonde. Wall Street est devenu un immense casino et les États-Unis une « salle de shoot » à ciel ouvert. Si Bernanke débranche la perfusion, c’est l’effondrement ; s’il la maintient, c’est l’overdose. Deux manières de mourir.
Alors qu’en même temps, les économies chinoise et japonaise présentent des faiblesses de plus en plus visibles (contraction de la production manufacturière en Chine…), sans parler de l’UE et de l’euro, il faut garder à l’esprit que cet effondrement économique américain en cours et, par répercussions, planétaire (ainsi que celui du dollar) est un outil pour passer à la vitesse supérieure : les tentatives de création d’une gouvernance mondiale. Selon le bon vieux précepte ordo ab chao (« l’ordre naît du chaos »), il s’agit de faire table rase du passé pour reconstruire sur des bases nouvelles. Dans le cas américain, l’objectif est la création d’un bloc unifié nord-américain (North American Community) (4) faisant le pendant à l’UE. Pareil à un pont constitué de deux piliers, le marché transatlantique est appelé à devenir le tablier réunissant les deux rives de l’Atlantique.

Featured 5b6cdb205fa7402eb4d6971f35f15fae

Pierre Hillard15 articles

  • 6 885

Pierre Hillard est professeur de relations internationales à l’école supérieure de commerce extérieur de Paris. Historien de formation, diplômé de science politique et d’études stratégiques, spécialiste de l’Allemagne, des affaires européennes et de la question des minorités, il centre son étude sur le partenariat transatlantique et la gouvernance mondiale.





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé