La chute de la maison Sturgeon

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Quand le progressisme prime le souverainisme


La « fatigue » n’est-elle pas l’alibi parfait ? Depuis que la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern a quitté ses fonctions le mois dernier en prétextant une « grande fatigue », il n’est plus rare d’invoquer l’épuisement, la lassitude ou le coup de barre pour justifier une démission. Qui pourrait avoir l’insolence de questionner un motif aussi noble ? Comme si la fatigue était devenue pour les femmes ce qu’étaient hier encore pour les hommes les imparables « raisons familiales ».


C’est donc officiellement pour cause de fatigue que la première ministre indépendantiste écossaise Nicola Sturgeon a quitté la semaine dernière ses fonctions, à 52 ans à peine. Pourtant, personne ne fut dupe. Ceux qui suivent la politique écossaise et scrutent les sondages n’ont guère été surpris. D’autant que la démission de la charismatique dirigeante du Scottish National Party (SNP) n’est que le dernier exemple en date de ce qui arrive à nombre de partis dits progressistes portés par le vent de radicalisme sociétal qui souffle sur nos sociétés.


Considérée comme une star de la politique, Sturgeon connaissait depuis plusieurs mois une véritable descente aux enfers. Grâce à d’exceptionnels talents politiques, une belle énergie et deux victoires électorales consécutives, elle était pourtant parvenue à maintenir à flot la ferveur indépendantiste des Écossais. Ce qui n’est pas rien. Pour autant, figée autour de 45 %, celle-ci n’a pas vraiment progressé depuis le référendum de 2014. Même le Brexit, désapprouvé par 62 % des Écossais, n’a pas fait bouger les lignes. Quant au projet d’un second référendum, il se heurte toujours au refus catégorique de Londres et de la Cour suprême.


Mais l’essentiel n’est pas là. Pendant des mois, l’Écosse a été agitée par un curieux débat sur l’identité de « genre ». Le Parlement, où le SNP est minoritaire et gouverne avec les verts, s’est déchiré sur une loi permettant à tout citoyen âgé de 16 ans, sur simple déclaration, de faire inscrire le sexe qu’il désire sur ses papiers officiels alors que la loi britannique fixe cet âge à 18 ans et exige un diagnostic médical.


Le projet a soulevé l’opposition des organisations féministes traditionnelles regroupées sous la bannière For Women Scotland. Ce texte, disaient-elles, aurait permis à des prédateurs sexuels d’accéder à des espaces réservés aux femmes, mettant ainsi en cause leur sécurité. C’est ce que fit en 2017 la trans Karen White (auparavant nommée David Thompson), accusée d’agression sexuelle contre deux détenues d’une prison du West Yorkshire.


La créatrice de la série Harry Potter, J. K. Rowling, qui réside à Édimbourg, s’est jetée dans la bataille, affirmant que Nicola Sturgeon faisait fi des droits des femmes les plus élémentaires. Peu avant, Mme Sturgeon n’avait pas hésité à qualifier ses opposants de « misogynes, transphobes et racistes ». Des qualificatifs pour le moins définitifs alors que 65 % des Écossais se disaient opposés à cette réforme.


Tout cela serait demeuré théorique si la première ministre n’avait été obligée, un mois à peine après son adoption, de désavouer sa propre législation. Le 24 janvier dernier, la trans Isla Bryson (auparavant nommée Adam Graham) fut condamnée pour le viol de deux femmes. Alors que toute l’Écosse s’affolait à l’idée qu’un violeur avéré, qui se revendiquait maintenant du sexe féminin, soit incarcéré dans une prison pour femmes, Nicola Sturgeon dut céder à la pression populaire. Elle accepta finalement le transfert d’Isla Bryson dans une prison… pour hommes !


L’épisode culmina dans une scène surréaliste où la première ministre, pourtant connue pour sa rigueur intellectuelle, tenta maladroitement d’expliquer l’inexplicable. Interrogée par le journaliste Peter Adam Smith, d’ITV, elle affirma que « les femmes trans sont des femmes »… mais pas nécessairement « dans le contexte de la prison » ! Ainsi, « une femme trans est une femme, mais pas si elle doit aller en prison », a résumé l’animateur d’ITV stupéfait ! Malgré l’estime dont jouissait jusque-là Nicola Sturgeon, cette entrevue grotesque eut l’effet d’une bombe à fragmentation. D’autant que la loi a finalement été censurée par Londres.


Comment le SNP, qui se préparait à une élection référendaire en 2024, se remettra-t-il de cette démission ? Après quatre mandats consécutifs, la chute est rude et pourrait éloigner d’autant la tenue d’un nouveau référendum. L’épisode est néanmoins caractéristique de cette tendance qui pousse de nombreux partis de gauche à vouloir complaire à leur aile la plus radicale dont les revendications heurtent la plupart du temps le sens commun de la population. Dans de nombreux pays, on a vu ces partis s’aliéner les classes populaires en s’enfermant dans des combats sociétaux qui ne préoccupent qu’une infime minorité. Chez certains indépendantistes, comme au Québec et en Écosse, cette tendance est accentuée par la crainte viscérale d’être qualifié de conservateurs, de pas assez progressistes ou, pire, d’identitaires ! Incapables de se remettre en question, les voilà dans la peau du coyote de Road Runner qui continue à courir au-dessus du précipice longtemps après avoir quitté la terre ferme.


Jusqu’à ce que la réalité le rappelle à l’ordre. C’est ce qui vient d’arriver à Nicola Sturgeon.

 





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