Le fameux « test des valeurs » est maintenant officiel et mis en application depuis de début de l’année. On parle évidemment du test en ligne exigé des personnes qui font une demande d’immigration permanente au Québec dans la catégorie économique. Il est tellement officiel qu’il a un nouveau nom digne d’une bureaucratie: l’Attestation d’apprentissage des valeurs démocratiques et des valeurs québécoises exprimées par la Charte des droits et libertés de la personne.
Cette initiative est très loin de la promesse électorale de la Coalition avenir Québec (CAQ) qui visait l’ensemble des personnes immigrantes. Elle aurait exigé la réussite d’un tel examen trois ans après leur arrivée au Québec, sinon pas de résidence permanente et expulsion. Il s’agissait d’une promesse non applicable sur les plans constitutionnel et administratif. Une province n’a pas l’autorité d’accorder ou de retirer la résidence permanente ou d’expulser quelqu’un de son territoire – ce sont des pouvoirs exclusifs à un État-nation – et le Québec n’a pas accès aux données permettant le suivi des individus qui arrivent en vertu des catégories autres qu’économiques.
Il y a consensus que ce test est essentiellement symbolique, qu’il vise surtout à calmer une partie de l’électorat de la CAQ. Il existe pourtant un processus un peu plus pédagogique qu’une simple signature sur l’ancienne Déclaration sur les valeurs communes de la société québécoise. De plus, il est peut-être même préférable qu’une introduction aux valeurs et aux principes fondamentaux du Québec soit présentée avant l’admission plutôt que trois ans après celle-ci.
Ceci étant dit, il est ironique de constater qu'on fera passer le test à la plupart des personnes postulant pour une Certification de sélection du Québec (CSQ), bien après leur arrivée au Québec. En effet, depuis quelques années, la vaste majorité des nouvelles demandes traitées dans la catégorie « travailleurs qualifiés » proviennent des personnes déjà au Québec grâce à un permis de séjour temporaire accordé par le gouvernement canadien.
Pour les autres, il se déroulera bien avant leur arrivée puisqu’on peut compter actuellement une période d’au moins deux ans entre la soumission de la demande et l’arrivée au Québec.
Le test s’appliquera donc à des personnes qui ont eu amplement de temps pour apprendre les valeurs qui sous-tendent la société québécoise ou à des personnes qui vont avoir eu le temps d’en oublier le contenu !
Le Québec peut être fier du chemin parcouru en matière de valeurs partagées, dont la plupart sont enchâssées dans sa Charte des droits et libertés de la personne, une loi quasi constitutionnelle. Ce sont les droits et les principes de solidarité et de respect de l’autre qui découlent parfois de la nature même du peuple québécois et souvent acquis après de longues luttes. Ce ne serait pas une mauvaise idée de rappeler, de temps en temps, ces valeurs aux Québécoises et Québécois de la société d’accueil et à nos gouvernants. Elles forment une bonne contrepartie au discours populiste qui prévaut trop dans le monde d’aujourd’hui.
Il est légitime d’expliquer à des personnes qui veulent s’installer chez nous que nous tenons à ces valeurs. Se pose la question : Quel mécanisme serait le plus efficace pour le faire ? Est-ce qu’un échange sur les droits humains ne mériterait pas une rencontre entre êtres humains ? Est-il le temps de relancer le débat sur la pertinence des entretiens individuels dans le processus de sélection des personnes demandant d’immigrer au Québec ?
Par le passé, la grande majorité des personnes sélectionnées étaient reçues en entrevue par une conseillère ou un conseiller en immigration du gouvernement du Québec. Ces entretiens avaient surtout lieu lorsque les dossiers suscitaient des questions, soit sur le niveau de français ou sur la validité des documents soumis. Puisque les demandes d’immigration devaient être présentées à partir de l’étranger, du personnel formé et émanant de tous les secteurs du ministère – immigration, francisation, intégration, administration – effectuait des missions, souvent d’une durée de trois à cinq semaines, dans plusieurs coins du monde. Dès leur retour, grâce au partage de leur expérience avec leurs collègues, l’ensemble du ministère était sensibilisé aux parcours des personnes qui choisissaient le Québec, permettant une compréhension tangible de la mission de l’organisation.
Pourquoi a-t-on mis fin aux entrevues de sélection ? Plusieurs sont d’avis que la raison principale était l’austérité, bien que la sélection s’autofinance grâce à la tarification des services. L’argument environnemental, bien que légitime, n’était pas la principale préoccupation. Au même moment, le gouvernement canadien instaurait son système de demande en ligne et de déclaration d’intérêt et le Québec, toujours en concurrence avec le fédéral, a décidé de suivre ce modèle pour ne pas perdre de clientèle. Enfin, en 2010, le Vérificateur général a publié un rapport sur le programme des travailleurs qualifiés qui remettait en cause le niveau de discrétion autorisé aux conseillères et conseillers dans le processus de sélection.
Aujourd’hui le contexte réglementaire et technologique a complètement changé. Les demandes se font en ligne, peuvent maintenant avoir lieu « sur place » et les tests linguistiques standardisés sont obligatoires. Les arguments financiers et environnementaux pour éliminer les entrevues ne tiennent plus. Elles peuvent se dérouler au Québec ou, grâce à de nouvelles technologies, sur Internet. Mais le processus sans entrevue utilisé pour le Programme d’expérience québécoise a ouvert la porte à la fraude liée aux attestations de connaissance du français.
Aujourd’hui, les entrevues pourraient permettre d’atteindre les objectifs suivants :
L’entretien permettrait également de déterminer les besoins spécifiques des personnes pour les fins d’installation et d’intégration ou pour la poursuite de leur intégration au Québec.
On pourrait également inclure les personnes des catégories familiale et humanitaire. Le gouvernement caquiste dit vouloir négocier avec le gouvernement canadien le contrôle de la catégorie familiale. Il est difficile d’imaginer que le gouvernement fédéral cède sur cette question. Le rôle actuel du gouvernement québécois dans ces dossiers est d’évaluer la capacité financière des parrains résidant au Québec et de déterminer la durée de leur engagement envers les personnes qu’ils désirent parrainer. Un entretien direct avec ces parrains permettrait de renforcer, au besoin, l’importance de la langue française pour une intégration réussie, de présenter l’offre de service gouvernemental en francisation, de fournir de l’information à l’intention des personnes parrainées sur les valeurs de la société québécoise et de prendre en note les besoins particuliers d’intégration de ces personnes et leurs coordonnées pour pouvoir en faire le suivi.
Des consultations et débats seraient nécessaires pour déterminer les détails de cette proposition, mais pour des raisons notamment de promotion et de protection du français, de renforcement des avancées au Québec en matière de droits et libertés, de régionalisation et de détection de la fraude, il est temps de rétablir le contact humain dans la sélection des personnes immigrantes.