L’écrivain en pyjama séduit les immortels

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«On entre à l’Académie française au son des tambours de la Garde républicaine et on en sort les pieds devant.»

On entre à l’Académie française au son des tambours de la Garde républicaine et on en sort les pieds devant. Jeudi, c’est devant le président François Hollande assis au premier rang, le premier ministre du Québec Philippe Couillard et trois de ses prédécesseurs (Bernard Landry, Jean Charest et Pauline Marois) que l’écrivain Dany Laferrière a fait son entrée officielle dans ce qu’il n’hésite pas à qualifier de « plus prestigieuse institution littéraire du monde ».

Fait exceptionnel, en cette journée ensoleillée, la grande porte était ouverte sur le quai de Conti. Celle-ci n’est utilisée que lorsque le président est présent. Comme le veut la tradition, sous la coupole où s’était réuni un aréopage de personnalités politiques et d’écrivains français, haïtiens et québécois (dont Marie-Claire Blais, Naïm Kattan et Denise Bombardier), Dany Laferrière a prononcé l’éloge de son prédécesseur, Hector Bianciotti. En évoquant une rencontre imaginaire avec cet écrivain italo-argentin exilé en France pendant cinquante ans, c’est d’abord de son propre exil que Laferrière a entretenu ses auditeurs.

D’entrée de jeu, l’auteur du Cri des oiseaux fous a voulu se camper comme un écrivain de tradition américaine, désignant même son fauteuil, le numéro 2 qui a aussi accueilli Alexandre Dumas fils (arrière-petit-fils d’une esclave de Saint-Domingue), comme « le fauteuil de l’Amérique ». Pourtant, en quittant son Argentine natale, Bianciotti, grand admirateur de Paul Valéry, s’était voulu, lui, écrivain européen. Il poussa même l’exercice, à partir de 1985, jusqu’à écrire ses derniers livres, dont quelques-uns de ses plus beaux, en français. Une langue que Bianciotti avait l’ambition « de maîtriser mieux que quiconque », dit Laferrière.

Citant le poète Gaston Miron (« Québec ma terre amère ma terre amande/Ma patrie d’haleine dans la touffe des vents »), Dany Laferrière a présenté l’auteur de Compagnon des Amériques et celui de Ce que la nuit raconte au jour comme « les deux faces d’une même médaille Amérique. Vous [Bianciotti] êtes celui qui est parti, il [Miron] est celui qui est resté. »

Au passage, Dany Laferrière a salué ses prédécesseurs, Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor qui ont « inscrit la dignité nègre au fronton de Paris ». Et le nouvel immortel de conclure que « c’est un étrange animal que celui qui vit hors de sa terre natale. Sa condition d’exilé lui permet d’ourdir une littérature qui n’est ni tout à fait de là-bas, ni tout à fait d’ici, et c’est là son intérêt. »

Maalouf ne renvoie pas la balle

C’est l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf qui, comme le veut aussi la tradition, avait été désigné pour répondre à Dany Laferrière. L’auteur du Rocher de Tanios annonça d’entrée de jeu vouloir prendre au vol la balle que lui lançait Dany Laferrière. « Que de rendez-vous manqués ! », s’est-il exclamé en évoquant l’histoire malheureuse qui unit la France à la Nouvelle France, à Saint-Domingue, au Québec, au Canada et à Haïti.

Amin Maalouf n’a pourtant saisi qu’à moitié la perche qui lui était tendue. Dans un texte factuel et bourré de détails biographiques, il s’est contenté d’évoquer les tiraillements entre Haïti et la France à l’époque de la Révolution concernant l’abolition de l’esclavage. Un traumatisme dont « Haïti ne s’est jamais remis complètement », dit-il.

Étrangement, Amin Maalouf a trouvé le moyen d’oblitérer cet autre « rendez-vous manqué » entre le Québec et la France se contentant simplement de souligner que les Québécois parlent toujours français « par fidélité aux ancêtres émigrés du Vieux Continent. »

S’adressant directement à Dany Laferrière, Maalouf a conclu en affirmant que « cette posture de victime, que l’esprit de notre époque nous pousse à endosser, vous n’en avez pas voulu. […] Vous n’êtes pas dans le militantisme, mais dans la séduction. »

Une Académie «utile»

Après deux heures de discours, la distinguée assemblée s’est dispersée aux ordres de son secrétaire perpétuel, Hélène Carrère d’Encausse, le président se levant le premier comme le veut la tradition. Dans la cour du Palais de l’Institut, on était visiblement ravis du grand oral que venait de passer brillamment Dany Laferrière. Le ravissement semblait avoir aussi gagné le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, arrivé le matin même d’Italie.

« Les Québécois voient qu’un Québécois venu d’ailleurs profondément intégré dans notre communauté, mais qui garde son identité haïtienne très profondément en lui, peut également produire de la fierté chez les Québécois », a-t-il déclaré. Pour le premier ministre, même si elle est souvent décriée, l’Académie française, une institution quatre fois centenaire, demeure « une grande institution […] utile pour le symbole qu’elle représente. »

Philippe Couillard, qui a étudié au collège français (privé) Stanislas, dit souhaiter que ces discours inspirent les Québécois afin qu’on donne toute sa place à « la culture générale » dans nos écoles et « qu’on redécouvre le goût de la belle langue française ». Les discours de Dany Laferrière et d’Amin Maalouf seront publiés aux éditions du Boréal le 12 juin prochain.


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