L'entente entre Québec et Alcoa est indéfendable

Entente Québec - Alcoa




Le premier ministre Charest s'est engagé à livrer à Alcoa jusqu'au milieu du siècle près de 2000 mégawatts (MW) d'électricité à un prix qui ne sera même pas la moitié de ce qui nous en coûtera à ce moment pour remplacer cette même quantité d'énergie.

Assiégé depuis son arrivée au pouvoir par le puissant lobby de l'industrie de l'aluminium, le gouvernement Charest vient de céder en garantissant à Alcoa un approvisionnement à long terme d'électricité à un prix extrêmement avantageux.

Étonnant pour un gouvernement qui avait dénoncé et annulé des ententes similaires concédées en panique préélectorale par l'ancien premier ministre Bernard Landry. Une belle démonstration qu'en politique, comme en physique, les mêmes causes produisent généralement les mêmes effets.
Oublions les écrans de fumée des relationnistes de l'industrie et les prétendues retombées économiques des comptables-alchimistes. Une vérité toute simple demeure: le premier ministre Charest s'est engagé à livrer à Alcoa jusqu'au milieu du siècle près de 2000 mégawatts (MW) d'électricité à un prix qui ne sera même pas la moitié de ce qui nous en coûtera à ce moment pour remplacer cette même quantité d'énergie.
Dans sa dernière stratégie énergétique, le gouvernement du Québec chiffre en effet à 25 milliards de dollars le coût de la nouvelle capacité de production de 4500 MW qu'il entend mettre en chantier pour les années à venir. C'est donc un investissement de plus de 10 milliards que les abonnés d'Hydro-Québec devront supporter à même leurs tarifs pour continuer de livrer ces 2000 MW.

Or, un tel investissement implique un coût de production de l'électricité d'au moins 10 cents le kilowattheure (¢/kWh). Mais pas question pour les grandes alumineries de payer cette nouvelle fourniture à son coût marginal de production. Au mieux, on consent à payer éventuellement le tarif grande puissance, soit environ 4¢/kWh.
Le calcul est vite fait: cette perte de 6¢/kWh pour une puissance de 2000 MW produit un déficit annuel de plus d'un milliard de dollars. Pour absorber cette seule perte, il faudra majorer les tarifs de tous les consommateurs québécois d'au moins 5%.
On justifiera ces contrats en disant qu'Hydro-Québec disposerait actuellement d'un surplus d'énergie. Mais pourquoi s'engager sur des décennies pour régler un problème temporaire? Si nous avons vraiment trop d'électricité, pourquoi s'obstiner à tapisser la Gaspésie d'éoliennes géantes et se lancer dans de nouveaux projets hydroélectriques très coûteux? Pourquoi ne pas exporter temporairement ces surplus vers l'Ontario qui cherche désespérément de l'électricité pour fermer ses centrales au charbon?
Un contexte différent
La vente massive d'électricité aux alumineries pouvait peut-être se justifier au début des années 80 alors que nos coûts de production étaient très bas, que nous avions d'importants surplus et qu'il n'y avait pas de marché extérieur attrayant pour notre production. Mais aujourd'hui, tout est différent. L'électricité est devenue un produit coûteux à produire et qui se vend très cher.
Ailleurs en Amérique du Nord, son prix augmente en moyenne de 15% par année. Et ce n'est pas fini! Le pétrole coûte déjà plus de 100$ le baril. Imaginons un peu ce que seront les prix du pétrole et de l'électricité dans quelques décennies. Nous serons alors probablement bien malheureux d'avoir concédé à long terme nos richesses énergétiques aux géants de l'aluminium.
Pour ce qui est des emplois, la discussion est courte puisque Alcoa n'entend créer aucun emploi. Toute cette richesse ne sera concédée que pour maintenir, au mieux, les emplois actuels.
On a longtemps reproché au premier ministre Duplessis d'avoir littéralement donné le fer de la Côte-Nord aux grandes multinationales. L'entente que vient de conclure le gouvernement Charest avec Alcoa est encore pire. C'est comme si en plus de donner le minerai, nous devions aussi payer pour construire la mine, les voies ferrées et les installations portuaires, et ensuite assumer la moitié des coûts d'exploitation de toutes ces installations.
En fait, si le gouvernement avait plutôt offert de donner à Alcoa le site de la rivière Romaine (1555 MW) qu'Hydro-Québec s'apprête actuellement à développer, la multinationale aurait sans doute refusé. Les contrats annoncés hier sont beaucoup plus avantageux pour elle.
En somme, ce que nous devons conclure, c'est que nos dirigeants sont incapables d'élaborer une stratégie énergétique qui soit véritablement génératrice de richesse. Il est effectivement paradoxal de conclure que la société québécoise serait plus riche, à long terme, si nous n'avions plus de ressources hydroélectriques à mettre en production. Cherchez l'erreur...
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Jean-Marc Carpentier
L'auteur est vulgarisateur scientifique et analyste en énergie.


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