L’étrange, rude et magnifique semaine de François Legault

Droite québécoise - Force Québec



Mercredi 6 octobre. Patatras. TVA et SRC annoncent dans leurs bulletins de nouvelles l’existence du futur mouvement politique de François Legault, le baptisent Force Québec et font état d’une série de personnalités qui y seraient associées, au premier chef Joseph Facal.

Ce n’est pas du tout dans le plan de match de Legault de se révéler ainsi en désordre. Il préférait regrouper des signatures autour d’un texte qu’il a élaboré, montrer sa première brochette de réformistes lors d’une conférence de presse, puis écouter l’écho public d’une première salve ainsi contrôlée. Mais au jour un, il perd le contrôle.
Jeudi 7 octobre. Si bien qu’au jour 2, il doit affirmer dans Le Devoir: “On ne sait pas quelle forme cela pourrait prendre et si on va contribuer au débat public”. Et cela ne s’appellera pas Force Québec. Donc, les freins plaqués au maximum. Le titre du Devoir: Le mouvement de Legault, mort-né ? Dur.
Vendredi 8 octobre. Il faut corriger le tir. Montrer que le mouvement bouge encore. François Legault monte au front dans une entrevue au Journal de Montréal. Ce n’est pas mort: «On a des rencontres de prévues au cours des prochaines semaines. On essaie d’aboutir au cours des prochains mois». C’est long, les prochains mois.
Qui est avec lui ?«J’ai rencontré au cours des derniers mois un certain nombre de personnes pour discuter de la possibilité de contribuer au débat public. Il y a toutes sortes de personnes qu’on rencontre, de différents milieux, autant des fédéralistes que des souverainistes, qui sont évidemment déçus de la situation politique au Québec», précise-t-il.
Des noms ? Deux jours sont passés depuis la sortie inopinée de l’existence du mouvement. Quelques chroniqueurs — dont Alain Dubuc, J-Jacques Samson — en ont salué l’arrivée. Mais malgré tous les appels logés par les journalistes, aucune personnalité n’en a fait autant — sauf une: Grégory Charles.
Puis il y a cet autre nom, important, voire essentiel: Lucien Bouchard. La Presse du matin affirme:

Lucien Bouchard, qui était la bougie d’allumage des «lucides» de 2005, suit attentivement la démarche de son ancien ministre et jouerait un rôle important, comme intermédiaire avec le secteur privé, pour le financement d’un éventuel parti, a-t-on appris.

C’est le nom magique. Celui qui fait rêver (quoique, en février dernier, seulement 31% des Québécois affirmaient vouloir voter pour un nouveau parti dirigé par l’ex-premier ministre). Sa caution, au moins morale, au mouvement de François Legault consoliderait sa crédibilité, ouvrirait des portes.

Mais, re-patatras pour François Legault, Lucien Bouchard fait lire aux journalistes par une porte-parole ce vendredi 8 octobre le communiqué suivant, tranchant comme un couteau frais aiguisé:
M. Bouchard « ne joue aucun rôle dans cette démarche et il n’a pas l’intention d’y participer et encore moins d’agir comme collecteur de fonds».

De la part d’un homme qui a reçu avec bienveillance les suggestions des uns et des autres dans cette affaire depuis un an, il s’agit d’une douche glaciale. Re-dur.
Samedi 9 octobre. Où sont les fédéralistes ? Pour une coalition arc-en-ciel, il faut plus d’une couleur. Legault, ex-souverainiste. Facal, qui ne confirme rien — “je suis maître de ma parole” répond-il avec raison aux impétrants — l’est aussi. Les ex-alliés de Legault dans le caucus du PQ ne sont pas au rendez-vous, les Bérubé et Rebello. Mais côté cour fédérale, qui voit-on venir ?
On attendait Philippe Couillard. Il devait être le poids lourd qui équilibre la barque. “Compte sur moi, il n’y va pas” m’affirme avec assurance un membre du bureau du Premier ministre rencontré dans un corridor, sur le ton de celui qui a bien travaillé pour éviter cette éventualité.
Dimanche 10 et lundi 11 octobre. Repos. Bien mérité. Mais les téléphonistes de Léger Mise-en-marché (ma traduction) sont à l’oeuvre.
Mardi 12 octobre. Le cadeau tombe comme un fruit mûri en serre. François Legault séduit les Québécois, trompette l’empire Quebecor. En cas d’élections avec un parti dirigé par l’ancien ministre, ce dernier récolterait 30 pour cent des intentions de vote, contre 27 pour cent pour les péquistes, 25 pour cent pour les libéraux et 7 pour cent pour l’ADQ.
Erreur de calcul car l’irruption de Pas-Force-Québec signifierait l’absorption de l’ADQ. Donc il faudrait additionner, pour l’essentiel, les votes des deux formations, pour porter le parti Legault à près 37%.
Un coup de sonde qui donne la température de l’eau avant que qui que ce soit n’y plonge la main, évidemment. Un peu comme la popularité de Jean Charest, devenu chef du PLQ au printemps de 1998 avant d’avoir annoncé une seule position politique. Tous projettent leurs rêves sur la page blanche.
À l’automne, ayant du se prononcer sur les dossiers, Charest perdait toute son avance, et l’élection. Même Stéphane Dion, devenu chef du PLC, a eu une lune de miel au Québec. C’est dire comme nous sommes consommateurs de nouveauté, pour nous en lasser rapidement ensuite.
Qu’importe. Le sondage est important. Legault est au point maximal de la popularité du mouvement. Diantre, près de la moitié des électeurs de Québec Solidaire sont prêts à tromper Amir et Françoise et de flirter avec François ! (Allo: vous êtes à Québec Solidaire !) Gageons qu’ils n’ont pas encore entendu parler des hausses de tarifs d’électricité qui viennent avec leur nouvel amoureux. Ils débrancheront assez vite.
François Legault est assez intelligent pour savoir tout cela. Et c’est probablement en grinçant des dents qu’il lit le commentaire de Christian Bourque, de Léger:
«Quand tu peux profiter de l’attrait de nouveauté, il faut en bénéficier à plein, sinon ça va s’estomper. Il y a une crise politique au Québec, alors pendant que les émotions sont à fleur de peau, c’est le temps de sauter dans la mêlée.»

Accélérer, accélérer, facile à dire. Sauter, sauter, mais il faudrait un filet. Le texte est presque prêt. François est prêt. Mais il lui manque toujours son poids lourd fédéraliste. Ou sa brochette de personnalités fortes. Il ne veut pas manquer son entrée en scène. Du moins pas une deuxième fois…

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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