L'«idiot utile» de l'islamisme

A force de multiplier les gestes de soutien à la communauté musulmane de son pays, et malgré des mises en garde, le Premier ministre canadien s'est pris les pieds dans le tapis.

Dcd93b64da277c3a06a3441d03d16350

Encore les pieds dans le tapis

L'anti-Trump, ou du moins son double inversé, n'est pas américain mais canadien, et même le premier des Canadiens : Justin Trudeau, 44 ans, dirige le pays depuis la victoire du Parti libéral aux élections fédérales du 4 novembre dernier. L'un dit se méfier des immigrés, et tout particulièrement des musulmans, l'autre ne passe guère une journée sans vanter leur apport à la «communauté nationale» et multiplie les visites enthousiastes dans leurs mosquées, y compris les plus radicales. Le magnat de l'immobilier veut édifier un mur pour, dit-il, protéger son pays de «l'invasion mexicaine». Son cadet de vingt-six ans promet de faire tomber toutes les barrières supposées diviser «allogènes» et «autochtones». Trump incarne pour certains le vieux monde moisi, étriqué, replié sur des nostalgies d'un autre temps, et Trudeau, à l'inverse, une modernité scintillante, la main tendue vers l'autre, la jeunesse connectée et supertolérante. Il est des Canadiens que ravit cette comparaison, a priori guère flatteuse pour le candidat républicain à la Maison-Blanche, et les autorisant, pensent-ils, à contempler avec hauteur le puissant voisin dont ils aiment tant se démarquer. Ceux-là ont les yeux de Chimène pour le «chum» (pote) Trudeau, et adorent ainsi le voir figurer en superhéros aux côtés d'Iron Man dans un comics (publié uniquement en anglais...) de Marvel, la franchise nord-américaine de BD, vêtu d'un Marcel décoré d'une énorme feuille d'érable. Les médias, eux, en redemandent, car ils ont trouvé en lui le «bon client» si recherché, showman aussi prometteur que le fut son père.
La succession s'annonçait pourtant redoutable : Premier ministre libéral à deux reprises et pendant plus de quinze ans, intellectuel vibrionnant, fort en thème et en mondanités, aussi capable de tenir tête aux puissants que de traverser la Chine à vélo, ami de Castro et marié à une jet-setteuse portée sur les rockers et les acteurs, Pierre Elliott Trudeau domina longtemps de la tête et des pieds la vie politique canadienne. Justin a repris le flambeau tardivement, à la faveur de l'éloge funèbre qu'il prononça lors des funérailles de son père, en octobre 2000, mais depuis il met les bouchées doubles. Ainsi, alors qu'il n'est qu'une étoile montante du Parti libéral, en mars 2012 il n'hésite pas à s'exhiber dans un match de boxe, à vocation philanthropique face à un sénateur conservateur. L'événement est retransmis sur toutes les chaînes du pays.
Cannabis pour tous
Après feu Pierre Elliott, le deuxième étage de la fusée Trudeau est lancé et ne s'arrêtera plus. L'ancien moniteur de snowboard a le sens de la glisse et, malgré quelques cafouillages de débutant, aux dernières élections de 2015, il réussit à la fois à ringardiser le Premier ministre conservateur Stephen Harper et à marginaliser le candidat du Bloc québécois. Dans un Canada encore très marqué par l'emprise du clergé catholique, du moins au Québec, papa Trudeau avait décriminalisé l'homosexualité, légalisé le divorce et l'avortement. Qu'à cela ne tienne : pour Junior, ce sera cannabis pour tous. N'a- t-il pas lui-même tiré sur le pétard, comme il feint de s'en émerveiller candidement ? «Nous dînions avec des amis, nos enfants étaient chez leur grand-mère et l'un de nos amis a allumé un joint qu'il a fait tourner. J'ai pris une bouffée.» Pas une de plus, parole de scout... Pas de quoi «stupéfier» les dizaines de millions de consommateurs nord-américains, mais l'aveu renforce son image d'Obama blanc : la «coolitude» version Grand-Nord.
Avec Trudeau, écrit l'essayiste Mathieu Bock-Côté dans le Journal de Montréal, «le Canada devient un pays sexy. Le Canada est beau. Le Canada est merveilleux. C'est le pays de la diversité, de la modernité, de l'ouverture. C'est même le meilleur pays au monde. On nous le répète si souvent que ça doit être vrai. Et son Premier ministre est formidable». En réalité, ancien responsable jeunesse du Bloc québécois et qualifié localement de souverainiste, Mathieu Bock-Côté tient probablement le Premier ministre pour la huitième plaie d'Egypte et à coup sûr pour une pièce d'importance parmi les «idiots utiles» d'un islamisme en plein boom au Canada.
Contraignante laïcité
En quelques mois, et au nom de «la différence qui enrichit», Justin Trudeau a, il est vrai, donné beaucoup de gages à ceux-là mêmes qui poursuivent aujourd'hui en justice la militante laïque Djemila Benhabib (lire l'article, p. 38). Dès son intronisation, détournant l'idée du «libre choix», historiquement liée au combat en faveur de l'avortement et de la contraception, il s'engage à en faire bénéficier toutes les femmes musulmanes désirant porter le niqab. «C'est acceptable en tout temps et en tout lieu au Canada», avait-il déclaré lors de la campagne, pour mieux se différencier de Stephen Harper qui recommandait l'interdiction totale du port du voile intégral. Papa Trudeau souhaitait libérer la femme. Le fiston semble vouloir délivrer les musulmans des contraintes d'une laïcité supposée trop contraignante et restrictive. Il entretient avec eux une relation fidèle, presque assidue, n'hésitant pas, du temps où il était simple élu, à fêter le ramadan à la mosquée de Surrey, en Colombie-Britannique, vêtu du traditionnel qami blanc. Ou encore à mettre tranquillement les pieds dans celle d'Al-Sunnah al-Nabawiah, à Montréal, pourtant régulièrement suspectée d'accueillir des membres d'un réseau proche d'Al-Qaida. Il met tant de cœur à l'ouvrage qu'en 2013 le Congrès musulman canadien lui conseille de vérifier le matricule des organisations auxquelles il associe son nom : l'Islamic Society Of North America et sa division canadienne, dont il a accepté l'invitation, militent pour la polygamie et l'application de la charia...
Tempère-t-il son ardeur une fois parvenu aux plus hautes fonctions ? Bien au contraire. Cette année, à l'occasion du ramadan, il engage ainsi ses concitoyens à participer à ce mois «sacré et béni», leur expliquant doctement que le Coran est un livre révélé et Mahomet, un prophète. Pour beaucoup, c'est aller un peu au-delà des «accommodements raisonnables» avec les minorités dont l'application ne fait déjà pas l'unanimité au sein de la population. Mais, pour Trudeau, il s'agit juste d'aller «au-delà de la tolérance». La formule lui a servi au cours de l'été, au moment où quelques élus de la Belle Province, inspirés par les arrêts touchant une poignée de plages françaises, envisageaient d'interdire à leur tour le burkini dans leurs communes. Lui en a justifié le port au nom des «libertés de culte». Au grand dam des laïcs de toutes origines, tel l'écrivain algérien Karim Akouche, installé au Québec depuis 2008, où il dénonce inlassablement «l'angélisme béat d'une élite bien-pensante, acoquinée avec des doctrines qui rabaissent la femme, troquent la modernité et les valeurs universelles contre des pratiques moyenâgeuses». Mais, tout à son projet de transformer le vieux pays en paradis du multiculturalisme souriant et de «la laïcité inclusive» - en clair, réduite aux acquêts -, le Premier ministre n'entend rien des critiques et avertissements.
Lors d'une énième et récente visite dans une mosquée, les collaboratrices qui l'accompagnaient ont dû se voiler et entrer par une porte distincte. «Dans sa tête, dénonce l'anthropologue Daniel Baril, le multiculturalisme a comme corollaire le multiconfessionnalisme d'Etat puisque, pour lui, religion et culture se confondent.» Justin Trudeau aime répéter de jolis mots, avec beaucoup de conviction dans la mâchoire qu'il a très carrée : «acceptation, amitié, compréhension». La forme est douce ; le fond, beaucoup moins...


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé