L'implosion du Canada

Implosion veut dire désintégration d’un État par l’intérieur, sans violence physique, ou presque, pour la simple raison que l’État concerné, n’existant déjà plus ou presque plus dans les faits, finit par cesser d’exister de droit.

Actualité du Québec-dans-le-Canada - Le Québec entravé



Le terme implosion appliqué aux États est nouveau mais la réalité qu’il représente est ancienne. Implosion veut dire désintégration d’un État par l’intérieur, sans violence physique, ou presque, pour la simple raison que l’État concerné, n’existant déjà plus ou presque plus dans les faits, finit par cesser d’exister de droit. La prise de conscience d’un tel état de choses entraîne des transferts de pouvoirs et de compétences en faveur d’États naturels dont le poids politique ne permettait pas antérieurement d’agir en tant qu’États reconnus de plein droit.
Ne représentant plus rien dans le réel (de facto), l’État qui implose concède son existence juridique et constitutionnelle en faveur d’un ou plusieurs États montants. Comme toujours en matière d’État, la dévolution naturelle des pouvoirs entraîne une dévolution analogue des formes juridiques et des constitutions écrites. L’État existe d’abord par fait accompli, au terme d’une progression à la fois continue et discontinue de plusieurs siècles. Les formes constitutionnelles et juridiques qui viennent ensuite confirment ce qui existe déjà par principe et dans les faits. Autrement l’État est arbitraire et ne peut durer qu’aussi longtemps qu’il dispose des moyens de l’inféodation et de la coercition.
En conséquence, il est possible de prévoir l’implosion d’un État arbitraire assez longtemps d’avance. Par exemple, celle de l’URSS, qui s’est traduite en acte à partir de 1991, était prévisible dès 1970. Plusieurs auteurs l’ont compris longtemps avant l’éclatement de ce qu’il a été convenu d’appeler l’Empire soviétique. Pour les Républiques constituantes, devenues des États pleinement reconnus, il leur a fallu s’adapter à des conditions nouvelles, se prendre en charge et se gouverner elles mêmes, comme doivent le faire les peuples adultes et mûrs pour l’autonomie politique et économique.
Ces adaptations ne sont faciles pour personne. Les guerres de pouvoirs, d’intérêts et de clans surgissent et risquent de se prolonger. À la fin, un nouvel ordre de choses s’installe à demeure et lorsqu’on regarde en arrière, c’est pour rétablir des liens de coopération avec les autres, sans inféodation ni soumission servile. Ce processus naturel, aidé par la géographie et les communications, est encore en marche dans tout l’ancien empire des Tsars et des Soviets, car rien ne se produit spontanément en matière d’État.
Un autre exemple est celui de l’ex-Yougoslavie. La désintégration de l’URSS a inspiré les populations du Danube et des Balkans, inféodées au pouvoir de Belgrade, à se prendre en charge à leur tour. Ces peuples, en majorité, possédaient déjà les assises de leur propre État, (comme le Québec actuel). Auparavant, ils avaient déjà été inféodés à l’Empire des Habsbourg et avaient été obligés de se soumettre, de gré ou de force, n’ayant pas les moyens de s’affranchir. La grande Guerre 1914-18 a été pour ces peuples l’occasion d’une première libération, insuffisante, compte tenu de la complexité géopolitique des régions du Danube et des Balkans (Balkan est un mot turc qui veut dire montagne). Néanmoins, le processus d’adaptation à des conditions nouvelles dans l’espace et dans le temps est en train de s’accomplir, non sans difficultés certes, non sans ingérence de l’extérieur, pour le meilleur et pour le pire, mais des progrès sont visibles et prévisibles et personne ne reviendra en arrière.
Presque un siècle plus tard, le processus suivant lequel les peuples du Danube et des Balkans se prennent lentement en charge dans un esprit de coopération, de tolérance et d’acceptation mutuelle, est toujours en marche et finira par trouver sa formule, de sorte que tous les États de ces régions vont finir par se reconnaître et vivre en paix. Rome ne s’est pas fait en un jour et il n’existe aucune formule miracle en géopolitique, seulement des principes ou axiomes qui ont fait leurs preuves lorsqu’on s’est donné la peine de les mettre en pratique. L’essentiel consiste à se reconnaître mutuellement, ce qui veut dire se reconnaître comme peuple, Nation et État. Cette condition fondamentale est nécessaire à la paix et à l’exercice normal des États impliqués et à leur effectivité. Il ne s’agit pas de s’aimer au sens affectif ou sponsal du terme, mais de se reconnaître et se faire reconnaître et c’est l’essentiel.
Un troisième exemple est celui de la Grande Bretagne. Moins visible, et par conséquent moins spectaculaire, celui-ci attire peu d’attention, surtout au Canada et au Québec. Après un millénaire de guerres entre Anglo-Saxons, Écossais, Irlandais et Gallois, le gouvernement britannique a décidé que chaque peuple des îles Britanniques se prendra en main et s’occupera de gérer ses propres affaires. Le gouvernement de Londres est en train de transférer peu à peu ses pouvoirs d’État à l’Écosse, l’Irlande du Nord et le Pays de Galles, afin que ces États renaissants puissent se donner des constitutions qui fonctionnent sans désordre et assurer la stabilité politique des îles britanniques. Sans doute, le gouvernement anglais doit aussi prévoir l’implosion de la Grande Bretagne, confrontée à la croissance des Etats régions et à l’abolition probable de la Monarchie.
Certes, il ne sera pas facile de faire marche arrière après plusieurs siècles d’inféodation au gouvernement de Londres. De plus, comme les Anglais ont jadis décidé la disparition des capitales nationales des peuples irlandais, écossais et gallois, remettre ces capitales en place et leur redonner leur rôle ne peut être qu’une entreprise à long terme. La « dévolution » se réalise et s’accomplit, lentement, il faut dire, car on ne renverse pas facilement un pouvoir qui se maintient en place depuis des siècles par la force d’inertie des institutions établies et dont on prévoyait qu’elles dureraient à perpétuité.
Des milieux d’affaires ont réagi défavorablement à cette politique, qui les oblige à ne plus considérer la Grande Bretagne comme une chasse gardée homogène et facile à contrôler pour leurs intérêts. D’autre part, des segments de populations, en Écosse, Irlande du nord notamment et au Pays de Galles, sont peu préparés à se prendre en charge, par peur de conséquences économiques défavorables. Mais la preuve du contraire est faite et l’efficacité des États modestes ne fait plus aucun doute, notamment dans l’Islande voisine, la Norvège, le Danemark, la Suède et la Finlande, de même que dans les Pays Baltes (Lituanie, Lettonie et Latvie).
En effet, compte tenu de leur niveau d’instruction très élevé, des communications nouvelles et des principes reliés à l’effectivité des États, les États naturels de taille optimale sont mieux gouvernés que les grosses unités politiques, qui obéissent à la loi de la masse, ou loi de la pesanteur. Par sa taille et le rapprochement des populations et de leurs gouvernants, un État naturel et optimal, est plus apte et capable de mettre en pratique les principes universels qui gouvernent l’agir de tous les États : appréciation rigoureuse et correcte des contextes et des situations qui se présentent; détermination et maintien d’objectifs praticables et réalisables en termes de temps et d’espace; maintien du moral; concentration et économie de l’effort et des moyens; simplicité et souplesse; coopération; coordination; administration et logistique. Un État naturel et optimal peut mettre ces principes en pratique avec un minimum de difficultés.
Aux États-Unis, un processus analogue porte le nom de STATEHOOD. Il signifie que les états américains, après une progression continue pendant plus de deux siècles, soit depuis l’indépendance américaine de 1776 jusqu’à nos jours, ne peuvent plus subsister avec des pouvoirs réduits qui dépassent à peine celui d’une province. Beaucoup d’états américains se considèrent de plus en plus comme des États avec la majuscule et demandent que les pouvoirs leur soient transférés en conséquence. La Constitution des États-Unis est dotée de mécanismes souples qui permettent ces transferts de pouvoirs et beaucoup d’états se gouvernent effectivement comme des États et font affaire avec l’étranger sans passer par Washington. En plus de leurs délégations à l’étranger, suivant leurs intérêts et leurs moyens, ces États disposent de leurs propres milices territoriales, appelées National Guards.
Au Québec, nous devons suivre de près l’évolution des pouvoirs aux États-Unis, particulièrement au cours des trente dernières années. Les grands média évitent ces questions trop peu favorables aux pouvoirs oligarchiques et centralisateurs. Raison de plus pour entreprendre d’importantes études sur les « power shifts » aux États-Unis. Une première prise de conscience à cet effet date de 1975, avec la parution d’un ouvrage qui porte précisément pour titre : Power Shift : The Rise of the Southern Belt and its challenge to the Eastern Establishment. L’auteur, Kirkpatrick Sale, a publié plusieurs autres ouvrages depuis sur des questions analogues. Une deuxième édition en format de poche de son ouvrage sur le déplacement des rapports de forces aux États-Unis a été publiée en 1976 chez Paperback.
Un autre ouvrage dans le même sens et qui nous intéresse date de 1981. Écrit par Joël Garreau, journaliste au Washington Post, l’ouvrage porte pour titre : The Nine Nations of North America (Houghton Mifflin. Boston). Très répandu dans les universités américaines, le sujet fait l’objet d’études de plus en plus poussées sur les jeux de forces et d’intérêts qui déplacent les bases des pouvoirs à l’intérieur des États-Unis. Ajoutons que les présidents américains eux-mêmes ne peuvent négliger ces vagues de fond qui surgissent un peu partout sur le territoire américain et autorisent en conséquences les transferts de pouvoirs sur demande. Au cours de sa Conférence au Forum International des Fédérations au Mont Tremblant le 8 octobre 1999, le président Clinton a mentionné entre autres qu’il avait lui-même autorisé ces transferts de pouvoirs. Cette remarque du président Clinton faite dans sa conférence de l’après midi, a été escamotée dans les reportages télévisés au cours de la soirée. Néanmoins, la venue au monde de nouveaux États est réelle et Ottawa ne peut plus l’ignorer, mais l’ignore quand même et l’ignorera jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Contrairement aux États-Unis et la Grande Bretagne, la Constitution canadienne n’offre aucune possibilité de transfert de pouvoirs vers les provinces, peu importe leurs progressions vers des statuts naturels plus évolués, qui en feraient des États avec la majuscule, de fait et de droit (de facto et de jure). Au contraire, cette Constitution rigide est organisée de manière à piéger davantage le pouvoir au centre, à Ottawa, afin d’en faire un État encore plus unitaire que ne l’étaient l’URSS et la Yougoslavie.
Jamais personne à Ottawa n’a parlé de « dévolution » ou de « statehood », ni même de la possibilité d’une implosion de l’État central canadien, dont on croit qu’il restera en place à perpétuité. Des lois comme le Clarity Bill imposent une inféodation définitive aux provinces, en commençant par le Québec, foyer national d’un peuple et assise de son État naturel. Dans les faits, dans la réalité des temps actuels, compte tenu de la progression continuelle des provinces canadiennes vers les statuts naturels d’États à reconnaître de droit comme de fait (de jure comme de facto), compte tenu également du fait que le Canada est une expression géographique et un véritable continent, alors l’implosion d’Ottawa est possible à plus ou moins brève échéance. Entre deux États superposés, dont l’un est arbitraire et l’autre naturel et optimal, la coexistence ne peut durer qu’un temps.
L’implosion politique d’un État arbitraire marque le terme d’un processus naturel (sui generis) qui n’a rien à voir avec une révolution, une rébellion, une insurrection ou un coup d’État. Un État cesse d’exister parce qu’il ne représente plus ce qu’il représentait. C’est le cas d’Ottawa, capitale artificielle, arbitraire et unitaire, constituée pour donner un pouvoir politique à une oligarchie qui veut posséder toutes les richesses de l’espace continental canadien.
C’est ce qui vient d’arriver à la Belgique, qui a implosé, en ce sens que le gouvernement de Bruxelles a cédé ses pouvoirs d’État à la Wallonie et aux Flandres, devenues des pays par le fait même. Quant à la capitale Bruxelles, elle est devenue une Cité État et se cherche de nouveaux rôles et de nouvelles fonctions économiques et politiques pour demeurer en existence, alors que la Wallonie et les Flandres s’assument peu à peu en tant qu’États neufs dans l’échiquier complexe du monde actuel.
Les raisons pour lesquelles la Belgique a implosé sont simples : la Wallonie et les Flandres ont atteint la dimension d’États naturels de taille optimale. Elles sont aptes et capables de se prendre en charge et se gouverner elles-mêmes en tant qu’États, y compris l’envoi de délégations à l’étranger et l’organisation de leur propre sécurité intérieure et défense territoriale. Les têtes dirigeantes de la Belgique ont compris que la capitale Bruxelles, ne représentant plus ce qu’elle représentait, il était normal qu’elle cède ses pouvoirs aux Flandres et à la Wallonie. Il n’y a rien d’extraordinaire ni d’inusité dans ce processus naturel, en symbiose avec les dimensions linguistiques et culturelles des parties en cause.
Ottawa ne le voit pas de cette manière. La politique du United Canada est caractérisée par la rigidité et la fixité des discours officiels et des intérêts particuliers qu’elle entend protéger. Le reste est euphémisme. Les temps ont changé. Ni le Québec ni les provinces ne sont des espaces à inféoder comme à l’époque coloniale, impériale et post-impériale au cours de laquelle le pouvoir orangiste et loyaliste s’est constitué et centralisé à Ottawa.
Québec est un foyer national et un État naturel. Les autres provinces ne sont plus des provinces comme on l’entendait autrefois sous l’Empire Britannique. Si on en juge par les nouveaux États qui ont surgi seulement en Europe depuis les débuts du Vingtième siècle, toutes les provinces de l’espace continental canadien peuvent se prendre en charge en tant qu’États. Quant à Ottawa, il devra se trouver de nouvelles fonctions. Comme Bruxelles qui est devenue une Cité État et se cherche un avenir dans un monde différent par rapport à ce qu’il était à l’époque coloniale.
Qu’Ottawa ne représente plus ce qu’il représentait est assez facile à vérifier. Les abus de pouvoirs sont monnaie courante chez les politiciens en place. Une oligarchie échappe aux taxes et impôts et impose sa loi dans tout l’espace continental canadien. La corruption est fréquente et il est évident que le système ne profite qu’à quelques élus au détriment des autres. La démocratie subit des entorses assez sérieuses et contraires au droit des peuples à disposer d’eux mêmes, comme c’est le cas avec la Loi C-20. Il est évident que quelqu’un veut le pouvoir pour le pouvoir et l’argent pour l’argent, en exploitant Ottawa comme autrefois l’Empire britannique.
L’exploitation des peuples est l’expression d’un mépris qui ne peut durer qu’un temps. La grogne et les colères populaires finissent par se traduire en actes que les corps policiers et les forces armées, souvent aussi révoltés que le peuple, ne pourront plus réprimer. S’il veut éviter une guerre civile, Ottawa devra céder d’avance des pouvoirs qui lui seront arrachés, de gré ou de force. Reculer, céder et concéder d’avance pour éviter les confrontations, c’est ce qu’on appelle se faire violence pour éviter la violence. Et se faire violence est le fait des esprits mûrs et responsables.
Le Canada est appelé à imploser. L’oligarchie en place, qui contrôle presque toutes les richesses du Canada et cherche le pouvoir politique absolu, ne semble pas disposée à céder comme il se doit. Il est évident qu’elle se cherchera des expédients, notamment chez les intellectualistes pour fausser la conscience populaire. L’argent aidant, ces experts en rationalisations savantes et commodes, avec ou sans doctorat, sont faciles à trouver. Ce procédé ne fera qu’aggraver les problèmes. Le temps venu, est-ce que l’oligarchie se montrera assez responsable pour relâcher son emprise sur la politique d’Ottawa et laisser le Québec et les provinces accéder au statut d’États reconnus sans provoquer de guerre civile?

René-Marcel Sauvé, géographe

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René Marcel Sauvé217 articles

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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].





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5 commentaires

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    3 juillet 2010

    En attendant la fin du Canada on a assisté en 2009 à la fin du Canada de Trudeau:
    http://www.vigile.net/La-fin-du-Canada-de-Trudeau
    JCPomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    15 janvier 2009

    L'implosion du Canada - De la vanité d’un État d’esprit canadianisateur -
    En faisant la synthèse des remarquables observations de M. René Marcel SAUVÉ et de celles non moins remarquables de Montaigne (Essais, livre III, chapitre IX, De la vanité) telles que rapportées par M. Robert Barberis-Gervais ( merci à lui ), nous pourrions expliquer non pas seulement la survie actuelle de l’État du Canada, mais aussi, a contrario ce qui pourrait expliquer son implosion future telle que décrite par M. Sauvé ou provoquée par l’inévitable fondation de l’État démocratique du peuple souverain du Québec.
    D’un côté, comme le pensait Montaigne, « Aime l’État tel que tu le vois être », semble être la position des fédéralistes québécois, Pierre Elliott Trudeau en tête avec à sa suite ses héritiers politiques et biologiques. Ils semblent avoir à bon droit adopté l’auguste et sage position politique et philosophique de Montaigne. Quelles noblesse et grandeur d’âme. Ce qu’on n’a pas manqué de leur attribuer. Tout porte à croire que l’État tel qu’il est doit, comme tel, être appuyé tel qu’on le trouve puisque « l’excellente et meilleure police ( gouvernement ) est à chacune nation celle sous laquelle elle s’est maintenue » … Ce pourquoi ils ne cessent de nous dire que « le changement donne seul forme à l’injustice et à la tyrannie. » Le changement de statut pour le Québec ne sera pas ce que les souverainistes espèrent. « Entreprendre à refondre une si grande masse et à changer les fondements d’un si grand bâtiment, c’est à faire à ceux qui veulent amender les défauts particuliers par une confusion universelle. »
    Les quelques défauts de l’État du Canada que nous voudrions corriger ne peuvent qu’engendrer une confusion universelle. « Le bien ne succède pas nécessairement au mal : un autre mal lui peut succéder, et pire. Toutes grandes mutations ébranlent l’État et le désordonnent. C‘est comme dit Platon, chose puissante et de difficile dissolution qu’une civile police ( gouvernement ). » La sécession du Québec et cette « difficile dissolution », ne seraient que de « grandes mutations ( qui ) ébranlent l’État et le désordonnent ». L’État, même branlant, « tient même par son antiquité, comme les vieux bâtiments qui vivent et se soutiennent de leur propre poids. » Ainsi, selon Montaigne, tous les signes de l’implosion du Canada ne seraient que des épiphénomènes qui ne menacent pas en fait sa survie. Voir même, ils sont le signe que l’État du Canada pourra perdurer, ce pourquoi il faut l’appuyer. Ce qui ressemble bien au parti-pris politique fédéraliste, et leur confiance quant au résultat de tout ce branle-bas de combat. Les maladies de l’État du Canada, s’il en est des États comme « des corps qui se purgent et remettent en meilleur état par longues et grièves maladies, lesquelles leur rendent une santé plus entière et plus nette que celle qu’elles leur avaient ôté », le Canada est en train non pas d’imploser, mais de s’imposer. « La contexture d’un si grand corps tient à plus d’un clou. » Ce pourquoi, « Aime l’État tel que tu le vois être ». En l'occurrence, « Aime » le Canada... Ce qui me semble bien être tout ce sur quoi se fonde la noblesse supposée des canadianisateurs de tous acabit, des plus grossiers aux plus subtils, fin et cultivés.
    Ce qu’a fait Pierre Elliott Trudeau, paré de la noblesse de cette grande lignée de penseurs, de Platon à Virgile en passant par Montaigne. Il a aimé l’État tel qu’il la vu être. Il n’a fait que le rapatrié en l’état, même s’il était républicain, comme on a pu le penser, il a reproduit l’État monarchique tel qu’il était.
    « Aime l’État tel que tu le vois être »
    J’aime bien cette notion malgré tout ce qui m’incline au contraire. Comment dès lors, si on endosse cette pensée politique, penser pouvoir atteindre l’excellence à laquelle pensaient et pensent se hisser les fédéralistes s’il faut « aimer l’État tel » qu’on le voit être dans l’État actuel du Canada ? Comment se peut-il que « l’excellente et meilleure police (gouvernement) » que serait « à chacune nation celle sous laquelle elle s’est maintenue » soit bien l’État dans lequel on se trouve « maintenus », tout en demeurant fidèle au peuple souverain du Québec ? Ce que croyait être Pierre Eliott Trudeau et ce que croient toujours être ses héritiers fédéralistes, toujours bien actifs et fiers de l’être, alors que nous pensons qu’ils erraient et qu’ils errent.
    Pour y parvenir, il faut peut-être rompre avec l’idée de révolution, de la coupure. Rompre avec l’idée moderne du remplacement de ce qui serait ancien, devant être supplanté par ce qui serait nouveau. Ce que Montaigne a fait en choisissant « d’aimer l’État tel qu’il le voyait être ». Toute la question résiderait dans ce que l’on « voit ». Qu’est-ce que l’on voit au juste ?
    Si l’on ne voit que l’État du Canada actuel, il n’y a pas d’issue selon Montaigne. On doit aimer cet État. Par contre, peut-on voir autre chose ? Que ne verraient ni les souverainistes ni les fédéralistes, d’où l’ascendant et l’emprise des fédéralistes sur les souverainistes parce que ces derniers défendent et aiment l’État « tel que tu le vois ». Les souverainistes ont été incapables et seraient incapables de modifier cette « masse » du Canada qui s’impose de par son seul poids historique.
    En fait, le statu quo s’imposerait parce que Montaigne a raison et que tous deux, fédéralistes et souverainistes ne voient que la même chose, de part et d’autre d’un même mur, soit, l’État du Canada. Les fédéralistes l’aiment et les souverainistes ne l’aiment pas. Selon Montaigne, les souverainistes seraient perdants… forcément.
    J’opine que Montaigne a raison dans ce cas çi, et cela nous donne tort seulement dans la mesure où les souverainistes ne voient que l’État du Canada. Or, on peut voir autre chose et fonder son action sur autre chose. Les fédéralistes l’aiment, ce qui contribue à son maintien, et les souverainistes et les indépendantistes le détestent, ce qui contribue aussi à son maintien, puisque selon Montaigne et « comme dit Platon, chose puissante et de difficile dissolution qu’une civile police ( gouvernement ). Elle dure souvent contre des maladies mortelles et intestines, contre l’injure des lois injustes, contre la tyrannie, contre le débordement et ignorance des magistrats, licence et sédition des peuples. » L’État du Canada dure malgré tout, malgré tout ce qu’on lui reproche, l’unilatéralisme, les « débordements » commanditaires, « l’ignorance des magistrats » de la Cour suprême qui « comme la tour de Pise penche toujours du même côté » ( Maurice Duplessis ), malgré « la licence et sédition des peuples » des propagandistes de Gesca, ou de celle des « séparatissss », selon celui qui définit ce qu’est la « sédition ».
    Pour y parvenir, il faut me semble-t-il se référer à ce qui dans l’État actuel le fait tenir « même par son antiquité, comme les vieux bâtiments qui vivent et se soutiennent de leur propre poids. » Qu’est-ce qui dans l’État actuel se maintient depuis des lustres et a du poids ? Ce n’est pas l’État du Québec, il n’a de poids, de légalité, de légitimité, qu’en vertu de la Constitution du Canada, qui selon nous est illégitime à défaut d’être illégale. Il ne s’agit pas de donner à l’État du Québec un poids qu’il n’a pas, il est question de renverser l’ordre constitutionnel du Canada que nous n’aimons pas. Que pourrions-nous aimer de l’État actuel ?
    Il est question d’aimer l’État tel qu’il se trouve dans son antiquité. Quel est cet État antique que nous pourrions aimer ? Pour le voir, il faut se référer à la notion d’État ontologique du Québec tel que défendu par Jean-Claude Pomerleau dans un précédent titre de Vigile.
    Après Québec 2008 - Québec 2009 - 13 sept. 1759-2009 -

    La Conquête VS L’Acte de naissance d’un peuple sans Souverain
    Nous en avons discuté et par delà ce qui nous opposait je retiens ce qui suit.
    L’État ontologique du peuple souverain du Québec
    Ce que nous pourrions aimer c’est l’État du peuple souverain du Québec. Un peuple distinct du peuple de France né lors de la Conquête par l’abdication de fait du Souverain de France, Louis XV, qui abdique son devoir premier de Souverain qui le fait devoir protéger son peuple de l’envahisseur. Ce qui fait du peuple de Nouvelle-France conquise, le peuple du Québec, un peuple sans Souverain, sans État souverain, mais un peuple souverain. Un peuple orphelin d’État. Mais un peuple qui s’est toujours en quelque sorte constitué hors l’État d’occupation militaire, hors les États qui se sont imposés à lui depuis, de l’Acte d’Amérique du Nord Britannique, à la Constitution unilatérale de 1982. Un peuple qui vit dans un État souverain ontologique bien à lui, disposant de tous les pouvoirs propre à sa souveraineté de peuple sans Souverain. C’est cet État que nous pouvons aimer, c’est cet État ontologique distinct de tout autre État, distinct de l’État de France, distinct de l’État britannique, qui depuis 250 ans le 13 septembre 2009 prochain, « s’est maintenu ». C’est cet État que nous aimons et qui est « chose puissante et de difficile dissolution ». C’est cet État qui dure « contre des maladies mortelles et intestines, contre l’injure des lois injustes, contre la tyrannie, contre le débordement et ignorance des magistrats, licence et sédition des peuples. » C’est bel et bien cet État ontologique du Québec qui dure malgré ce qu’a déployé contre lui l’État d’occupation militaire britannique consécutive à la Conquête et les États qui se sont succédé depuis sans jamais appeler le peuple démocratique et souverain du Québec à les valider et légitimer. Pourquoi, parce que ces États qui n’aimait pas l’État ontologique du peuple souverain du Québec tel qu’ils le voyaient être, ont voulu le supplanter.
    Les États qui se sont succédé pour gouverner le peuple souverain du Québec, avatars décadents d’un Empire Conquérant déliquescent, ne sont que « grandes et longues altercations de la meilleure forme de société et des règles plus commodes à nous attacher » et ne sont « qu’altercations propres seulement à l’exercice de notre esprit ». Le Canada est un État d’esprit qui n’a « aucune vie hors de là ». Un état de fait qui « donne seul forme à l’injustice et à la tyrannie. » Ce pourquoi il doit sans cesse déployer de l’énergie, des ressources humaines et financières, de la propagande commanditée ou pas pour s’imposer de force et d’autorité. Ce pourquoi il doit proférer des menaces de représailles et s’abstenir d’appeler le peuple souverain du Québec à le légitimer et valider comme il se devrait. Et pour cause, cet état de fait n’emporte pas l’adhésion du peuple souverain du Québec qui lui aime l’État ontologique « tel qu’on le voit être » dans les faits, dans les faits de la culture politique qui est la nôtre depuis la Conquête.
    Voilà donc ce que l’on « voit être » selon sa disposition à envisager ce que l’on voit dans une véritable perspective historique qui est la nôtre et qui ne soit pas limité à la vision britannisante et canadianisatrice de l'Univers, cet Empire « où le soleil ne se couche jamais ». Si ce que Platon, Virgile, Montaigne nous enseignent est vrai, ce que nous voyons n’est que pure invention de l’esprit d’un Conquérant qui n’a pas su « Aimer l’État tel qu’ils le voyaient être » ici.
    Ils n’ont pas aimé l’État que nous aimions. L’État autonome d’un peuple distinct de la France. Car si le peuple de Nouvelle-France s’est dans l’État, manifesté lors de la Conquête, distinct du peuple de France par l’abdication de Louis XV de son devoir premier de Souverain de nous protéger de l’envahisseur, il s’est sociologiquement et sociétalement constitué en tant que peuple distinct et autonome de la France, bien avant le 13 septembre 1759. Ce peuple de Nouvelle-France a été considéré par maints observateurs et par lui-même comme capable d’assurer sa survie hors l’État de France. Livré à lui-même, il n’a pas reçu d’aide conséquente de la France. Il vivait autonome de sa propre industrie et culture. Il vivait seul et se voulait vivre sans le secours de la France. N’eut été des visées britanniques conquérantes l’État d’ici était aimée parce que viable et autonome. C’est cet État que les Britanniques n’ont pas « aimé tel que tu le vois être », et qui est toujours vivant et qui dure.
    « Tout ce qui branle ne tombe pas. La contexture d’un si grand corps tient à plus d’un clou. Il tient même par son antiquité, comme les vieux bâtiments qui vivent et se soutiennent de leur propre poids. Or, tournons les yeux partout, tout croule autour de nous. En tous les grands États, soit de Chrétienté, soit d’ailleurs, que nous connaissons, regardez-y : vous y trouverez une évidente menace de changement et de ruine. Comme l’écrit Virgile : « Ils ont aussi leurs infirmités et une pareille tempête les menace tous. Les astrologues ont beau jeu à nous avertir, comme ils font, de grandes altérations et mutations prochaines ; leurs divinations sont présentes et palpables, il ne faut pas aller au ciel pour cela. (...)
    Pour moi, je n’entre point en désespoir, et me semble y voir des routes à nous sauver. »
    Pour moi, je n’entre pas davantage en désespoir. Il me semble moi aussi « y voir des routes à nous sauver » …
    L’une d’elles consisterait à « voir » et « Aimer l’État tel que tu le vois », comme nous y invite Montaigne. À voir et aimer ce peuple démocratique et souverain du Québec. À voir et aimer « La contexture d’un si grand corps » qui « tient à plus d’un clou. » Ce qui désespère l’État du Canada qui s’épuise « à refondre une si grande masse et à changer les fondements d’un si grand bâtiment, » il désespère d'avoir « à faire à ceux qui veulent amender les défauts particuliers par une confusion universelle. » Voilà bien ce qui en résulte, la « confusion universelle », celle dans laquelle nous nous trouvons et qui nous fait croire que l’État du Canada est bien « l’État tel que tu le vois ».
    Or autant cet État du Canada n’est pas éternel, il a bel et bien un commencement. Son commencement sur les ruines de l’État de France, ne tient pas compte de l’État qui préexiste. Cet État qui est une « si grande masse » et qui n’a pu se refondre dans la britannique Conquête, et qui ne peut toujours pas se refondre dans l’État actuel de l’unilatéralisme actuel. Pourquoi ? Parce que comme nous le disent les anciens, cet État ontologique du peuple souverain du Québec « tient même par son antiquité, comme les vieux bâtiments qui vivent et se soutiennent de leur propre poids. » C’est le poids d’un peuple supposé sans histoire ( Rapport Durham ), pas étonnant qu’on se soit employé à néantiser son histoire, le poids de son histoire, jusqu’à la nier.
    Ainsi, d’un autre côté, on peut comprendre la philosophie de Montaigne tout autrement que ne l’ont appliquée les fédéralistes et les canadianisateurs. Montaigne déclare : « l’excellente et meilleure police est à chacune nation celle sous laquelle elle s’est maintenue » ( Polis : Cité - Wikipédia )
    À « chacune nation »…
    Au fait, de quelle nation s’agit-il ici ? S’il est question du peuple du Québec, la meilleure « police », la meilleure organisation de la vie de la Cité, serait « celle sous laquelle est s’est maintenue ». La question est de déterminer ce qui a pu en constituer le maintien. Est-ce la tutelle britannique de la Conquête et de l’occupation militaire ? Non pas puisqu’elle se « maintenait » déjà sous le Régime français et ce, sans que la France lui apporte de soutiens conséquents. Si la Nouvelle-France pouvait survivre seule après un siècle de colonisation, tant mieux, sinon tant pis pour ces « quelques arpents de neige » ( Voltaire - Paris 1694 11 21 - 1778 05 30 ). Si la Nouvelle-France pouvait vaincre seule l’envahisseur ( ou à peu près ) tant mieux, sinon tant pis. Est-ce le Canada actuel ? Non pas, pour les mêmes raisons et pire, parce que cette maintenance s’est faite alors contre les conditions adverses ménagées par la tutelle qu’on a voulue au contraire capable de détruire cet État ontologique, cet État de fait, par l’assimilation du peuple du Québec au peuple britannique. Or, justement parce qu’il est question de « si grande masse » dont on ne peut, même 250 ans plus tard transformer « les fondements d’un si grand bâtiment ». Le peuple démocratique et souverain du Québec n’adhère toujours pas à l’État du Canada, soumis à l’approbation du peuple, il n’aurait pas pu s’imposer, il n’y parvient toujours pas. Pas de manière valide et légitime.
    La République française, elle, a pu le faire, la Révolution a pu avoir raison de la monarchie, parce que le peuple souverain de France a nommément et directement approuvé le 28 septembre 1958 la Constitution de la Ve République grâce à De Gaulle. Le Canada n’a jamais nommément appelé le peuple à valider ce que d’autorité l’État se succédant à lui-même a imposé au Québec en vertu des pouvoirs qu’un Empire monarchique de droit divin Conquérant s’est arrogés après le 13 septembre 1759 et a imposé dans les fortifications de Québec et par la suite dans toute la Nouvelle-France.
    Ainsi, Montaigne se trouve à expliquer à la fois les assises philosophiques et politiques des fédéralistes et canadianisateurs et à la fois expliquer ce qui menace ces fondements et l'impossibilité dans laquelle se trouve le Canada de se voir nommément validé par le peuple souverain et démocratique du Québec.
    Ce qui se trouve aussi à expliquer comment se déploie les affinités électives de tel peuple souverain qui en embrassant ce qui est le plus profondément inscrit dans notre tradition se trouve malgré les apparences à participer à la « masse » et à cette antiquité qui assure notre survie. L'ADQ, n'adhère pas à l'État du Canada actuel, elle est passéiste dit-on. Mais elle aime « l'État tel que tu le vois », cet État du peuple souverain du Québec qui se veut autonome. Une nuance à peine visible de l'indépendance, du moins à la vue des canadianisateurs qui ne comptent pas bouger en ce sens...
    « Aimer l’État tel que tu le vois être » me semble bien être la bonne politique. Cet État est celui du peuple démocratique et souverain du Québec tel qu’il le veut fonder librement et sans menaces de représailles, pour lui et pour son territoire.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 janvier 2009

    Très instructif et intéressant, M.Sauvé. Votre article, expliqué de façon simple mais non simpliste, permet de mieux comprendre l'évolution des États. J'ai lu plusieurs de vos articles et j'en apprends beaucoup, ça me permet de faire des liens. Malheureusement ou heureusement, je trouve que vous êtes à peu près le seul à parler de tel sujets. Il devrait y avoir plus de gens comme vous M. Sauvé!

  • Archives de Vigile Répondre

    9 janvier 2009

         Merci monsieur Barberis-Gervais.  Ce que vous proposez est fascinant. J'ignorais les essais de Montaigne dont on en dit souvent beaucoup de bien. Sorti¸de l'hôpital, je me lance dans l'histoire des jeux d'intérêts  et des déplacements de rapports de forces en Europe de l'Est,notamment entre la Russie de Pierre le Grand, la Suède hostile et dangereuse de Charles Xll les Tatares de Crimée et de la Volga,la Turquie des Sultans, la Pologne et la Lituanie. Ajoutez l'Angleterre,qui travaille à l'expansion de son commerce par les détroits  Scandinaves jusqu'à la Baltique, Je postule que ce commerce,comprenant le bois et les fourrures russes, a joué un rÔle   dans le fait que l'Angleterre était au fond peu intéressée  au Saint Laurent.  Je cherche des réponses car je veux comprendre.  Salutations  JRMS

  • Archives de Vigile Répondre

    9 janvier 2009

    M. Sauvé,
    la lecture de votre texte m’a rappelé le chapitre IX du livre III des Essais où Montaigne écrivant vers 1590 réfléchit dans le contexte d’une forme d’Etat si débordée par la longue licence des guerres civiles et s’étonne que l’Etat français sous le Roi se maintienne. C’est sans doute le désordre ambiant des guerres de religion qui le pousse à prendre une position conservatrice. Il écrit:
    Aime l’Etat tel que tu le vois être:
    S’il est royal, aime la royauté;
    S’il est de peu, ou bien communauté
    Aime-le aussi, car Dieu t’y a fait naître
    Il ajoute cette réflexion que je vous soumets pour que vous puissiez l’intégrer à votre analyse. Il développe cette idée qui pourrait vous contrarier que le changement ou l’innovation est dangereuse aux Etats qui seraient plutôt inertes à cause de leur grande masse. On pense à la Constitution de Trudeau difficile à modifier et au mal canadien difficile à guérir. Je cite Montaigne.
    Ces grandes et longues altercations de la meilleure forme de société et des règles plus commodes à nous attacher, sont altercations propres seulement à l’exercice de notre esprit; comme il se trouve ès arts plusieurs sujets qui ont leur essence en l’agitation et la dispute, et qui n’ont aucune vie hors de là. (...)
    Non par opinion mais en vérité, l’excellente et meilleure police (gouvernement) est à chacune nation celle sous laquelle elle s’est maintenue. Sa forme et commodité essentielle dépend de l’usage. Nous nous déplaisons volontiers de la condition présente. (...)
    Rien ne presse un Etat que l’innovation: le changement donne seul forme à l’injustice et à la tyrannie. (...) Entreprendre à refondre une si grande masse et à changer les fondements d’un si grand bâtiment, c’est à faire à ceux qui veulent amender les défauts particuliers par une confusion universelle. Le bien ne succède pas nécessairement au mal: un autre mal lui peut succéder, et pire. Toutes grandes mutations ébranlent l’Etat et le désordonnent.
    C‘est comme dit Platon, chose puissante et de difficile dissolution qu’une civile police (gouvernement). Elle dure souvent contre des maladies mortelles et intestines, contre l’injure des lois injustes, contre la tyrannie, contre le débordement et ignorance des magistrats, licence et sédition des peuples. (...)
    Tout ce qui branle ne tombe pas. La contexture d’un si grand corps tient à plus d’un clou. Il tient même par son antiquité, comme les vieux bâtiments qui vivent et se soutiennent de leur propre poids. Or, tournons les yeux partout, tout croule autour de nous. En tous les grands Etats, soit de Chrétienté, soit d’ailleurs, que nous connaissons, regardez-y: vous y trouverez une évidente menace de changement et de ruine.Comme l’écrit Virgile: Ils ont aussi leurs infirmités et une pareille tempête les menace tous.
    Les astrologues ont beau jeu à nous avertir, comme ils font, de grandes altérations et mutations prochaines; leurs divinations sont présentes et palpables, il ne faut pas aller au ciel pour cela. (...) Pour moi, je n’entre point en désespoir, et me semble y voir des routes à nous sauver.
    Qui sait si Dieu voudra qu’il en advienne comme des corps qui se purgent et remettent en meilleur état par longues et grièves maladies, lesquelles leur rendent une santé plus entière et plus nette que celle qu’elles leur avaient ôté?
    (Essais, livre III, chapitre IX, De la vanité)
    Salutations.
    Robert Barberis-Gervais, Vieux-Longueuil, 9 janvier 2009