Depuis la période printemps-été de cette année, – à peu près depuis la démission de DSK de la direction du FMI et la désignation de Christine Lagarde à sa succession, – avec les diverses phases paroxystiques de la même crise qui ne cesse plus depuis l’automne 2008, le FMI a pris une attitude spécifique très critique de l’action des directions politiques, notamment aux USA et en Europe. Le FMI renouvelle cette position hier, en même temps qu’il communique ses nouvelles prévisions trimestrielles, largement modifiées vers le bas, ou vers la chute. Il s’agit, selon le FMI, d’une “nouvelle phase dangereuse” où les risques d’un nouvel effondrement, d’une nouvelle récession, voire pire, sont à nouveau très actifs. (Si tant est qu’ils n’ont jamais cessé de l’être ?)
… Mais ce qui nous intéresse, certes, c’est moins l’aspect technique, les prévisions, etc., que l’attitude du FMI vis-à-vis des directions politiques, – dont, une fois de plus, aucune n’est épargnée. Voici des éléments de cette attitude, dans The Independent du 21 septembre 2011.«The International Monetary Fund yesterday warned that the global economy is entering a “dangerous new phase” and called on politicians around the world to take decisive action to avoid large parts of the world slipping into another recession. […]
»Unveiling the report in Washington yesterday, Olivier Blanchard, the chief economist of the IMF, stressed that the present disappointing growth rates will only materialise if global leaders implement their present policy commitments to reduce deficits and to reform their economies. […]
»Mr Blanchard warned European leaders to “get their act together” and resolve the crisis. The first step, he said, should be the rapid implementation of the July deal in Brussels to expand the powers of the European Financial Stability Facility.»
Précisons encore notre intérêt, en écartant les spéculations sur les événements à venir, les valeurs respectives des voies suivies ou préconisées par les uns et les autres, pour constater le renforcement de cette position antagoniste du FMI par rapport aux directions politiques d’une part, la politique (chaotique pour le moins, encombrée d’échecs, de compromis, etc.) suivie par les directions politiques, qui ne correspond manifestement pas aux vœux du FMI, d’autre part. Dans la mesure où ces positions antagonistes ont tendance à se confirmer, on peut donc constater un désaccord net entre le FMI et les directions politiques. On peut constater d’autre part le peu de conséquences, pour les uns et les autres, le FMI et les directions politiques, sur les positions des uns et des autres. Personne n’a une prédominance sur personne, et la notion de leadership, par puissance affirmée ou par influence prépondérante, n’a plus aucune réalité. Nous pensons qu’on peut commencer à sortir de cette situation générale quelques enseignements, ou suggestions d’enseignement.
L’enseignement principal découle du caractère évident d’incontrôlabilité de la situation, de ce que nous décrivons par ailleurs, également, comme une sorte de rupture d’incompréhension entre “les ‘élites’ au service du Système et le Système lui-même” («Observée d’une façon plus synthétique, la situation est celle d’une incertitude psychologique grandissante qui se développe entre les soi disant “élites” au service du Système, et le Système lui-même ; la confusion de ces “élites” grandit devant le constat que le Système s’autonomise de plus en plus et ne parvient plus à générer les conditions d’un redressement stable»). Il en résulte une atomisation et une dissolution des positions respectives et intégrées de ces “élites”, avec une réduction à mesure de leur puissance et de leur influence. Dans le cadre de leurs activités-Systèmes de plus en plus contradictoires parce que de plus en plus privées de références-Système sûres, ces “élites” n’ont plus de légitimité-Système, non pas parce que personne ne parvient plus à acquérir cette légitimité mais parce que cette notion semble déserter de plus en plus irrésistiblement ces acteurs institutionnels, à mesure de cet éloignement, ou de cette incompréhension de l’action du Système, en même temps que cette même notion semble avoir entamé elle-même un processus de dissolution. (Le paradoxe étant que la notion fondamentale de légitimité, – et non plus son simulacre, dit légitimité-Système, – serait éventuellement en train de migrer vers des situations symbolique de contestation qui, au contraire, pourraient acquérir une légitimité, – comme le mouvement “occuper Wall Street”. Dans ce cas, la notion quantitative, – “occuper Wall Street” ou tout autre mouvement de cette sorte en est privé, – ne nous intéresse plus, puisque la légitimité reviendrait vers des situations d’un seul intérêt qualitatif.)
Dans le domaine de l’opérationnalité, il se déduit de cette situation que plus aucune force, ou organisation-Système, ne parvient plus à s’approcher d’une position de leadership nécessaire à une structure répondant au besoin du Système, calquée sur les idées de l’“idéal de puissance” qui soutient (soutenait) le Système dans sa phase de surpuissance. Dans le cas qui nous occupe, il n’y a effectivement aucun leadership. Les directions politiques tiennent les rênes du pouvoir et n’en font rien que tenter de répondre à des événements incontrôlés, avec la plus puissante de ces directions publiques (les USA) se dissolvant à une vitesse extraordinaire, à l’image de son président ; les organisations extérieures, transnationales, sans aucun lien démocratique et sans aucune légitimité d’aucune sorte, d’une légitimité démocratique à une légitimité-Système, comme le FMI dans ce cas, peuvent s’affirmer d’une voix puissante mais uniquement dans le rôle critique et contestataire qui ne leur assure aucune autorité de leadership (de direction active). Ces organisations sont d’autant plus assurées et affirmées dans leurs critiques, qu’elles sont complètement irresponsables dans le sens légal du terme, d’autant plus qu’elles perdent de plus en plus leurs attaches occultes avec la direction politique dominante en complète dissolution (les USA).
Cette évolution correspond à la dynamique générale de ce que nous avons nommé la “dissolution du monde”, qui implique un désordre grandissant dans l’orientation et surtout dans le sens profond des relations internationales, ainsi que dans la hiérarchie de ces relations où plus aucune référence (puissance, influence) n’est capable de s’affirmer. Cette dynamique va directement dans le sens inverse de certaines conceptions qui sont entretenues et réaffirmées dans ces temps troublés, sur un “ordre mondial”, ou un “gouvernement du monde” ou tout autre organisation dans ce sens ; paradoxalement, ces conceptions sont réaffirmées à cause du désordre et de l’absence de leadership qui solliciteraient leur affirmation, alors qu’au contraire ce désordre et cette absence de leadership sont la conséquence de l’impossibilité de la mise en œuvre de ces conceptions. Il n’y a plus de cadre structurant suffisant pour supporter de telles ambitions, si tant est qu’il y en ait jamais eu, et l’on peut considérer que la situation était bien plus favorable à cette sorte de projet tant dans les années de Guerre froide que dans celles de l’immédiat après-Guerre froide. (C’est le dérapage et l’orientation vers la Chute du leadership US à partir de 1996 qui marqua la fin de cette période d’“ouverture” à de tels concepts.) C’est d’ailleurs dans ces années-là que diverses organisations ou concepts dans ce sens ont vu le jour, du Bilderberbgdans les années 1950, à la Trilatérale dans les années 1970, au Washington Consensus selon John Williamson du début des années 1990 (avec le Council of Foreign Relations [CFR] de bout en bout). L’ère de ces éventuelles opportunités est close : le Système a désormais échappé à tout contrôle et les diverses puissances qui lui sont liées ont perdu de ce fait leurs assises conceptuelles, ce qui faisait leur lien commun, cette légitimité-Système qui pouvait les assurer, dans certaines circonstances qui leur seraient favorables, d’une autorité sur les autres.
la “dissolution du monde”
La crise et la non-gouvernance du monde (cas du FMI)
Personne n’a une prédominance sur personne, et la notion de leadership, par puissance affirmée ou par influence prépondérante, n’a plus aucune réalité.
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