Les Québécois francophones, minoritaires, ont tendance à aborder les questions démographiques à travers le prisme de la langue, soucieux de savoir si le français fait des progrès ou perd du terrain face à la langue dominante du continent, l'anglais.
C'est à travers ce même prisme que l'on a accueilli les données sur la langue du recensement de 2006. Le fait que la proportion de francophones au Québec passe en cinq ans de 81,4% à 79,6% et que ceux-ci soient minoritaires dans l'île de Montréal a semé tout un émoi. On a décrit ça comme un recul. Cette façon de réagir, dans ce qu'on pourrait appeler une logique de loi 101, est en retard de 25 ans sur la réalité.
On est à côté de la plaque quand on y voit une menace de type linguistique. Car ces statistiques ne permettent pas de déceler un quelconque recul du français au profit de l'anglais. La proportion des anglophones baisse elle aussi, l'école fait son travail, la proportion des immigrants allophones qui choisissent le français est en hausse très nette, surtout chez ceux qui sont arrivés depuis 1971.
Le recensement décrit plutôt une accélération spectaculaire de l'immigration au Québec, ce qui est un signe de dynamisme. Entre 2001 et 2006, le Québec a accueilli 194 000 immigrants, 77% de plus que pendant les cinq années précédentes. Ce revirement majeur pose de très gros défis, mais ceux-ci n'ont rien à voir avec les menaces linguistiques traditionnellement associées à l'immigration.
Il faut faire un petit effort de cohérence. On ne peut pas à la fois être en faveur d'une immigration vigoureuse et s'indigner de sa conséquence naturelle. Dans notre société au faible taux de natalité, une augmentation importante des immigrants, dont la langue maternelle est rarement le français, amène automatiquement une augmentation de la proportion des allophones et une baisse de celle des francophones. C'est une réalité arithmétique implacable.
Et c'est encore plus marqué dans la zone métropolitaine où se concentre l'immigration. Dans l'île, ceux dont la langue maternelle est le français sont passés sous la barre des 50%, à 49,8%, parce que 90% des immigrants, 165 000 personnes, s'y sont installés depuis cinq ans, pendant que 45 000 francophones s'en allaient vers des banlieues périphériques. Un chiffre qui ne veut d'ailleurs pas dire grand-chose parce qu'il oublie trop de facteurs.
La vérité, c'est que ce «recul» va se poursuivre, et sans doute s'accentuer. Si l'immigration continue à progresser, la proportion des francophones continuera à reculer. Et on ne peut pas faire grand-chose pour l'empêcher. Cela ne veut pas dire qu'il faut être indifférent. Cette immigration importante peut créer des tensions, on l'a vu, et elle impose des défis importants d'intégration économique, sociale et linguistique.
Mais on ne peut pas dire, comme l'a fait le chef du PQ, Pauline Marois, qu'«aucun recul n'est acceptable». Cette affirmation est parfaitement absurde. Même si Mme Marois réussissait à imposer son train de mesures, comme le renforcement de la loi 101, les exigences linguistiques pour obtenir la citoyenneté, elle ne parviendrait pas à faire remonter d'un poil le fameux 79,6% au Québec ou le 49,8% à Montréal!
En effet, même si les immigrants adhèrent au français avec encore plus d'enthousiasme, même s'ils passent avec brio des tests linguistiques, même s'ils écoutent Le Banquier, ils resteront des allophones dans les statistiques linguistiques, parce que l'abandon de sa langue maternelle est un processus lent.
Il est techniquement possible d'augmenter la proportion des francophones au Québec et dans l'île de Montréal. Mais il faudrait prendre les grands moyens: freiner carrément l'immigration, choisir des immigrants dont la langue maternelle est le français, s'arranger pour que les politiques natalistes s'adressent aux «de souche», décourager l'usage par les allophones de leur langue maternelle à la maison, forcer les immigrants à quitter Montréal (il y a de la place à Hérouxville), empêcher les francophones de s'établir en dehors de l'île. Des exemples qui montrent, par l'absurde, que c'est un mauvais combat et une mauvaise façon de poser le problème.
Il est vrai que Mme Marois a eu un certain succès en exploitant ces thèmes. Notre sondage CROP d'hier a montré qu'elle a réussi à ravir trois points de pourcentage à l'ADQ en allant sur son terrain. Mais à quel prix? Quand on creuse un peu, on découvre que le fait de dire que la baisse du poids des francophones n'est pas acceptable n'est rien d'autre qu'une façon déguisée de dire que l'augmentation de l'immigration n'est pas acceptable. C'est en fait la logique de l'exclusion et la démagogie de la peur.
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