La liste secrète

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


Dans le merveilleux dossier des accommodements raisonnables, nous avons tous notre petite liste personnelle. La liste des aménagements qui nous semblent dénués de sens commun, qui excèdent notre seuil de tolérance, qui dépassent la ligne que, selon nous, une société ne doit pas franchir.


Si je me fie au sondage SOM, publié il y a un peu plus d'un mois et dans lequel mes compatriotes rejetaient tous les accommodements religieux, mon seuil de tolérance est manifestement assez élevé. Le port d'un kirpan symbolique ne me dérange pas, et je n'y ai jamais vu une menace à la sécurité, je ne crois pas qu'il faille interdire le port du voile à une petite fille dans un match de foot, et je m'inquiète encore moins du fait qu'on ait modifié la recette des bines dans une cabane à sucre pour accueillir des musulmans dévots. Ce n'est pas un accommodement raisonnable, mais une transaction commerciale qui a un résultat heureux, celui de familiariser de nouveaux venus avec une de nos coutumes.
Dans mon échelle d'évaluation personnelle, il y avait cependant un incident que je trouvais particulièrement agaçant. Et c'est le CLSC montréalais qui a interdit aux hommes d'assister à des cours prénataux pour ne pas heurter les coutumes de musulmans qui n'acceptaient pas la présence d'hommes auprès de leurs épouses enceintes.
C'était le cas type, selon moi, d'une initiative malheureuse d'une administration publique sans doute bien intentionnée, qui contrevient à deux grands principes. Le premier, c'est qu'en voulant satisfaire une exigence religieuse, on brime d'autres personnes en les privant d'un service qu'ils désirent et auquel ils ont droit. Le second, c'est que cette concession va à l'encontre de tous les efforts de notre système de santé pour encourager la participation active des pères dans l'évolution de la grossesse, de l'accouchement et des soins aux nouveau-nés. C'était nier 40 ans de progrès.
Curieusement, même si j'ai abordé assez souvent le dossier des accommodements, je n'ai jamais écrit sur cette décision malheureuse du CLSC de Parc-Extension. Dieu merci!
Parce que cette histoire, pourtant largement diffusée, était fausse. Le CLSC de Parc-Extension n'a pas exclu des hommes de cours prénataux pour répondre à des pressions religieuses. Ce n'est pas ça qui est arrivé. Le chat est vraiment sorti du sac avec un documentaire de la cinéaste Karina Goma, Un coin du ciel, portant sur Parc-Extension et son CLSC, dont j'ai d'abord pris connaissance dans une chronique de ma collègue Rima Elkouri.
Karina Goma était là quand le scandale a éclaté, et a bien vu le décalage entre la réalité et la fièvre médiatique, et c'est pour ça qu'elle a déposé son film comme mémoire à la commission Bouchard-Taylor. Il ne s'agissait pas de cours prénataux, mais de réunions entre mères immigrées souvent isolées, vulnérables, des groupes de soutien et d'entraide, animés par des bénévoles, et qui n'ont rien à voir avec les cours prénataux classiques que connaissent tous les couples, où des infirmières informent, font faire des exercices et initient les papas québécois aux mystères de la respiration.
La démarche ne répondait pas à des pressions religieuses, mais constituait une belle initiative d'accompagnement et de soutien dont se dote une société civilisée pour faciliter le processus difficile d'intégration des nouveaux venus. Les cours prénataux normaux, tout ce temps-là, sont donnés par les deux autres CLSC regroupés dans le CSSS de la Montagne, ceux de Côte-des-Neiges et de Centre-Ville.
Mais pourquoi le scandale alors? D'abord, un article faux du Journal de Montréal, ce ne sera pas le premier dans ce dossier. Ensuite, une nouvelle rapidement reprise, notamment par Mario Dumont, pour en dénoncer le caractère déraisonnable. Et après, il était trop tard. Le CSSS a bien essayé de nier, d'expliquer ce qui s'était vraiment passé, mais la vague était trop forte pour s'embarrasser de la réalité des faits. Même la présidente de la CSN a proposé une charte de la laïcité pour que l'on ne puisse plus interdire les hommes dans des cours prénataux. Le «scandale» du CLSC était devenu une légende urbaine, ou plutôt, une légende rurale.
Je ne suis pas tombé dans le panneau, mais j'aurais bien pu. J'ai péché en pensée. Et j'en suis extrêmement gêné.
Car ces phénomènes d'amplification sont l'un des éléments de la dynamique de l'intolérance. C'est en médiatisant des personnages marginaux, mais excessifs, comme l'imam Jaziri, en créant des événements là où il n'y en a pas, comme le vote voilé, on en additionnant des événements, souvent mineurs, parfois vrais, parfois faux, que l'on finit par créer une grosse bulle qui nourrit l'indignation et la peur.
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