La droite est partout au Québec

La liberté individuelle ne s'exerce pas seulement en dépit de l'État, mais à travers celui-ci ou, du moins, une forme ou une autre de mise en action des décisions prises démocratiquement.

La Dépossession tranquille



Le «vieux fond bleu» dont M. Leduc parle dans sa lettre ne s'est jamais éteint au Québec.
La droite n'est jamais disparue du paysage politique québécois. Le Parti québécois (PQ) de René Lévesque, dès sa fondation, a intégré à la fois le Mouvement souveraineté-association (MSA), le Ralliement national (RN), d'obédience conservatrice, et le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) dont l'orientation idéologique n'était pas figée, mais dont on a retenu aujourd'hui la tendance de gauche qui s'en dégageait.
On peut sans aucun doute rappeler le «préjugé favorable au travailleur» du parti à cette époque, mais on ne peut en aucun cas oublier les affrontements qui ont caractérisé le deuxième mandat du PQ (provoqués par la loi 70 réduisant de 20% les salaires des employés de l'État ainsi que la loi 111, surnommée loi-matraque, prévoyant le congédiement, la perte de salaire, la perte d'ancienneté et l'interdiction de manifester pour les enseignants du secteur public). Il faut dire que les réformes néolibérales étaient dans l'air du temps avec l'émergence du tandem Ronald Reagan-Margaret Thatcher aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les années 80.
Ce premier «virage» n'annonçait pourtant qu'une multitude d'autres réformes allant dans le même sens. En 1985, c'est le Parti libéral du Québec qui est revenu à la charge sous les commandes de Robert Bourassa. Rompant avec la formule corporatiste qui avait été si chère au PQ, le PLQ s'est débarrassé des sommets où les citoyens étaient invités à s'exprimer. Nombreuses ont été les critiques, à cette époque, face au démantèlement organisé de l'État québécois et de la prise en main par les entrepreneurs privés des objectifs économiques publics.
Si certains disent que l'initiative entrepreneuriale est mieux servie par la «liberté» du marché, c'est finalement libéré des enjeux de société que le secteur privé souhaitait mettre de l'avant sa vision du développement. L'objectif est, au final, de laisser tomber les services publics et donc, du même coup, son financement par le biais des capitaux privés qui bénéficiaient pourtant autant de la formation des citoyens que de la santé. Le rapport Gobeil a donc mis sur la touche le «modèle québécois» qui exprimait un certain souci envers les conséquences sociales du développement économique. Le gouvernement en place n'a pourtant pas réussi à «néolibéraliser» complètement l'espace québécois devant le tollé suscité.
Ce que ces changements ont impliqué, c'est la mise au pas des forces populaires opposées à certaines initiatives aux conséquences désastreuses. On peut manifestement établir un parallèle avec le dossier des gaz de schiste, tout comme on pourrait le faire à propos des projets de développement énergétiques en général et des projets miniers.
Les libéraux de M. Bourassa, en accord avec le PQ (pourtant, décrit comme étant à gauche par M. Leduc) ont signé l'Accord de libre-échange (ALE) ainsi que l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), ce qui revient à constitutionnaliser le paradigme du laisser-faire dans une structure extra-étatique. On croyait pourtant la droite opposée à l'adoption de règles structurant le marché...
Le retour du PQ aux rênes du pouvoir ministériel n'a pas été, non plus, l'occasion de tirer l'État vers la gauche. Il était plutôt l'occasion de tirer sur l'État. Après le référendum de 1995, Lucien Bouchard, voulant renouer avec un certain héritage péquiste, s'est servi de la formule néo-corporatiste (grâce aux fameux sommets) pour imposer un agenda aux groupes venus contester le retrait sans ambages de l'État. En faisant de l'atteinte du déficit zéro une nécessité absolue, il est arrivé à faire accepter de multiples compressions aux syndicats, aux groupes sociaux, aux étudiants, au secteur de la santé, etc. On connaît aujourd'hui les conséquences du retrait massif de l'État notamment dans le secteur de l'éducation et dans celui de la santé, deux services qui sont désormais considérés comme des «dépenses d'épiceries» par le gouvernement en place, mais qui sont pourtant fondamentalement des investissements d'une importance cruciale.
Il serait tout à fait aberrant, aujourd'hui, d'affirmer que la droite est absente au Québec. Au contraire, elle est partout. Il ne suffit que de regarder la composition de l'Assemblée nationale. Le PLQ se fait le chantre du retrait de l'État et de la promotion du principe de l'utilisateur-payeur, contraire à celui de solidarité sociale. Le PQ, quant à lui, tente de revisiter la social-démocratie à l'image du virage à droite des partis socialistes en Occident (les travaillistes anglais, le Parti socialiste français, les démocrates de Bill Clinton, etc.). Quant à l'Action démocratique du Québec (ADQ), on peut indubitablement considérer qu'ils ont pris le parti «abolitionniste».
Le «vieux fond bleu» dont M. Leduc parle, finalement, n'aura réussi ni à promouvoir l'émancipation individuelle, ni à promouvoir une identité québécoise. La liberté individuelle ne s'exerce pas seulement en dépit de l'État, mais à travers celui-ci ou, du moins, une forme ou une autre de mise en action des décisions prises démocratiquement. L'identité québécoise dont la droite ferait la promotion, elle, n'est pas nécessairement la plus ouverte. Il semble plutôt que la société québécoise soit aujourd'hui à la recherche d'elle-même tant elle ne parvient plus à se diriger. Il est d'ailleurs complètement aberrant de voir le nom de Duplessis cité en exemple par l'auteur pour mettre en valeur son option idéologique. On se souvient non seulement de la censure, centrale dans le régime de l'ancien premier ministre, mais aussi de la répression de la société civile (syndicats, militants, groupes sociaux) ainsi que de l'instrumentalisation de la volonté autonomiste provenant de la société.
Le Réseau Liberté-Québec se présente, à la lumière de ces informations, comme un groupe oeuvrant à la phase finale d'un virage à droite qui a déjà prouvé qu'il comportait des conséquences catastrophiques à la fois pour la solidarité, l'identité, le développement et la démocratie au Québec.
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Xavier Dionne
Candidat à la maîtrise en science politique à l'UQAM, l'auteur répond à l'opinion «Réveiller le vieux fond bleu québécois» de Guillaume S. Leduc, publiée sur Cyberpresse le 15 septembre.


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