Pendant que je rédigeais cette note, M. Le Hir publiait la sienne: Le retour en force du nationalisme. J'ai alors hésité à publier la mienne, parce qu'on disait beaucoup la même chose. Tout à coup, je trouvait ma note redondante. Toutefois, vers la fin, j'apporte une vision qui pourrait être complémentaire. J'ai donc décidé d'y aller quand même, et de vous infliger cette lecture.
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Je viens de terminer la lecture du livre La fin de la mondialisation. On en sort avec une vision du contexte mondial dans lequel le Québec évolue qui fait réfléchir.
L'auteur fait l'analyse des grands cycles économiques qui ont parcouru la planète depuis 1492. Je vous cite quelques extraits:
"De façon curieuse, ces cycles ont une durée de vie relativement constante: de 70 à 80 ans. Avec deux phases bien distinctes, ponctuées l'une et l'autre par des crises. Et tout d'abord une phase où le désir de liberté triomphe, qui se traduit par la disparition des règles et des limites, y compris celle des frontières. C'est la phase de la mondialisation.
Ce demi-cycle dure une quarantaine d'années. Il change peu à peu l'économie mondiale en libérant les forces du marché et l'individualisme. Timidement au début. Puis, il conquiert les esprits et flatte les rêves de richesse et de puissance.
Cette phase libérale se caractérise par plusieurs signes. Le premier est l'abaissement des frontières, avec la réduction des droits de douane et la liberté de mouvement des capitaux. C'est-à-dire la possibilité, pour un épargnant, de transférer à l'étranger tout ou partie de son patrimoine, ou d'investir dans des titres ou immeubles situés n'importe où sur la planète. À cela il faut ajouter les migrations internationales, qui progressent fortement."
...
"Comme l'État s'endette, le voilà pénalisé dans ces périodes, à la même enseigne que les autres emprunteurs. Il est conduit à céder une partie de son patrimoine, de ses propriétés: On privatise beaucoup dans les temps libéraux. Tant pour des raisons financières qu'idéologiques. On est alors convaincu que le privé et le marché font mieux que l'État.
Autre symptôme, le gonflement de la sphère financière. Immanquablement, les avancées de la mondialisation déclenchent l'essor des industries de l'argent. Lorsque le capital ignore les frontières, mille spéculations s'offrent à l'investisseur. La valeur des entreprises cotées en bourse atteint son plus haut, mesurée en pourcentage de la richesse produite.
Tout le monde communie dans une orgie de crédit, par plaisir ou par nécessité. Le risque financier est délibérément ignoré. Et les déséquilibres s'accumulent en silence... Avec une progression d'autant plus continue qu'elle est jugée inoffensive.
Ces périodes se terminent toujours de la même façon, par un krach retentissant. Les faillites financières et morales s'accumulent. Trous dans les bilans et scandales de corruption se multiplient pendant la crise, qui dure une dizaine d'années pendant lesquelles le monde peine à se réorganiser, cherche des solutions, travaille à éteindre l'excès de dettes héritées qu'on traîne comme un boulet et qui ralenti la croissance.
L'autre moitié du cycle s'ouvre alors, qui dure elle aussi quelques décennies. C'est le désir de protection qui domine, pulsion exactement contraire à celle de la phase précédente. Avec la restauration des règles et des frontières, parfois accompagnée d'épisodes de nationalisme aigu.
Dans ces périodes protectionnistes, on rétablit généralement les frontières, avec des tarifs douaniers ou des restrictions aux échanges. La finance est tenue en laisse, avec un ensemble de règles tirées de la crise qui a suffisamment frappé les esprits pour représenter un danger à éviter. Et les salariés profitent d'un rapport de force qui leur est bien plus favorable, car les entreprises sont confinées dans l'espace national. C'est l'État qui prend la main, décidant davantage, intervenant dans l'économie à la fois comme actionnaire et comme régulateur, taxant davantage.
Une longue période de croissance intervient alors, jusqu'à ce que l'excès des contraintes sclérose l'économie. C'est la crise qui revient, réveillant le désir de liberté et la pulsion individualiste, au détriment de l'ordre social... La mondialisation renaît, et avec la tentation de braver les mers et les steppes.
===== Fin des extraits du livre
L'auteur (François Lenglet) estime que notre dernière phase de protectionniste a débuté après la deuxième guerre mondiale, sous les accords de Bretton Woods. Sur ce socle ferme naissent les Trente Glorieuses. Il identifie les premiers signes du retour du libéralisme avec la révolte des étudiants de Paris en Mai 1968. Les choses s'accélèrent en 1979/1980 avec l'arrivée en scène de Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Durant les années 1990/2000 le libéralisme est triomphant. Pratiquement plus personne n'y fait obstacle. en 2007, de gros nuages noirs se pointent. La fin de la phase de mondialisation s'annonce. La période de décadence peut durer une dizaine d'années. On est en 2014, et tout va bien...
Voilà, où on en est! Que penser de tout cela dans le contexte du Québec? Je vous fais part de mes réflexions. J'invite les vôtres.
Toute la planète est dans un tourbillon néolibéral. Le Québec n'y échappe pas. Nos gouvernements (quel que soit le parti au pouvoir) n'ont que peu d'emprise pour gérer l'économie de la province. Nous sommes exposés à tout vent, sans aucune protection. C'est le grand capital qui dicte ses conditions et nos actions.
Dans ce contexte, il est un peu injuste de condamner le PQ parce qu'il pencherait un peu trop à droite. Il n'a pas vraiment le choix. Il ne peut que suivre la vague, tout comme le PLQ faisait de 2003 à 2012, ou qu'il fera s'il gagne la prochaine élection.
Dans l'ère de libéralisme et de prospérité actuelle, le projet de souveraineté n'a pas vraiment la cote. Tout le monde peut avoir son iPhone et sa télévision 80 pouces. Alors, qu'est-ce que la souveraineté pourrait apporter de plus? Je caricature, mais, à peine.
Lorsque le krach se produira, une longue période de misère s'ensuivra. C'est dans ce genre de période que de grands bouleversements se produisent. Peut-être que là s'ouvrira une fenêtre d'opportunité pour réaliser la souveraineté du Québec. Parce que pour sortir du marasme, il faudra rétablir les frontières économiques. On pourrait alors en profiter pour rétablir de nouvelles frontières politiques.
La fin de la mondialisation
Nous arrivons à la fin d'un cycle
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5 commentaires
Archives de Vigile Répondre
24 mars 2014Je ne conteste pas le capitalisme, M. Haché. Je fais simplement remarqué que le capitalisme fonctionne par cycle. On passe du néo-libéralisme au protectionnisme, puis de retour à la case départ. Lorsque l'on va trop loin dans un sens, une bulle éclate, puis le pendule repart dans l'autre direction.
Apparemment, nous serions présentement près de l'apogée de la phase néo-libérale.
C'est toute la planète qui est pris dans ce tourbillon. Remis dans ce contexte, on peut mieux comprendre certaines décisions controversées du PQ. Ils n'ont pas vraiment le choix. Ils font face à des forces qu'ils ne contrôlent pas.
Dans l'apogée néo-libérale, il y a une euphorie où l'on arrive à penser que la prospérité ne peut que se poursuivre, et même s'accentuer. Dans un tel contexte, un projet politique tel que l'indépendance du Québec fait peur et n'a pas vraiment la cote.
Quand la bulle va éclater, et que les temps durs vont aller en s'accroissant, la population en viendra peut-être à endosser un projet audacieux. Parce que durant ces périodes difficiles, les état-nations ont tendance à se replier sur eux-mêmes afin de se reconstruire.
L'indépendance du Québec serait-il donc un projet conjoncturel dont le temps n'est pas encore venu, mais qui approche rapidement?
Si cela est le cas, il faudrait peut-être repenser notre stratégie pour se préparer en conséquence.
Marcel Haché Répondre
24 mars 2014Évidemment, mon précédent commentaire concernant Couillard s’adressait au texte de Richard Le Hir.
Mais pour être poli et relancer Gaston Carmichael pour son texte si perspicace, j’aimerais lui suggérer cette idée que le capitalisme a longtemps surmonté ses contradictions, que malgré tous les cycles, des millions d’hommes en Asie et en Afrique compte accéder à ce Système et qu’ils pourraient bien réussir à relancer d’innombrables autres cycles…
Si c’était le cas, sait-on jamais, l’Amérique aurait simplement perdu une guerre, la dernière grande guerre ne s’étant pas terminée avec la fin des hostilités.
Marcel Haché Répondre
24 mars 2014Je crois que vous avez raison Richard Le Hir…
Quand même, ce Couillard, quel plein de vous savez quoi !
Archives de Vigile Répondre
23 mars 2014Bonjour M. Morneau,
"vous oubliez quelques facteurs qui risquent fortement de mettre à mal l’hypothèse des cycles : d’abord la crise énergétique qui se pointe à l’horizon, les changements climatiques et l’épuisement des ressources."
Je ne comprend pas comment ces facteurs remettent en cause l'hypothèse des cycles. Pour moi, ils en font parti.
Après un cycle de libéralisme suit un cycle de protectionnisme. Mais entre les deux, il y a une période transitoire (qui peut durer une dizaine d'années ou plus) où différents facteurs se conjuguent pour créer "la crise". Ces facteurs peuvent être ceux que vous nommez, ou une crise financière, ou un virus comme le ebola qui se répand sur la planète, etc...
C'est une remise à zéro (reset) de l'économie. Puis, arrive un événement majeur qui vient rebrasser les cartes. et servir de déclencheur pour redémarrer l'économie.
La grande dépression de 1929 s'est étirée jusqu'en 1939. Puis la grande guerre fut l'événement qui a permis le démarrage d'un nouveau cycle de prospérité (protectionnisme)
Tout indique que nous nous approchons de notre "1929". Peut-être que c'est ce dont nous avons besoin pour donner un répit à notre planète. Parce que veut, veut pas, la décroissance risque d'être aigu.
Archives de Vigile Répondre
23 mars 2014Votre texte est très intéressant. Toutefois, à l'instar du texte de M. Le Hir, vous oubliez quelques facteurs qui risquent fortement de mettre à mal l'hypothèse des cycles : d'abord la crise énergétique qui se pointe à l'horizon, les changements climatiques et l'épuisement des ressources. Le système économique actuel est basé sur une croissance illimitée. Or aucune population ne peut croître indéfiniment. La planète est déjà surexploitée et ce n'est pas la technologie qui va nous sauver. Mais vous avez raison : de grands bouleversements s'en viennent. Au Québec, il faudrait protégez intégralement les terres agricoles qui sont irremplaçables. Au niveau économique, il faudrait viser la décroissance. Des sujets tabous vont devoir faire l'objet de débats collectifs : la stabilisation de la population et son corollaire, l'immigration.