La France fera-t-elle revenir l’Europe sur son accord controversé avec le Canada?

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L'affaire n'est pas dans le sac

Après des mois de silence embarrassé, le gouvernement français est enfin sorti du bois dans l'un des dossiers les plus brûlants du moment sur la scène européenne : la question de l'arbitrage privé dans les grands accords de libre-échange négociés par l'Union européenne avec le Canada (CETA) et les Etats-Unis (TTIP ou Tafta).
Le 21 janvier, dans un communiqué commun avec ses homologues allemands, le secrétaire d'Etat au commerce extérieur,Matthias Fekl, a appelé à revenir sur le texte du CETA, pourtant finalisé à l'automne 2014, pour « apporter des réponses aux préoccupations exprimées » sur le chapitre le plus controversé de l'accord, qui instaure un mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etats (ISDS).
L'ISDS en bref :
Ce mécanisme présent dans de nombreux accords internationaux d'investissement instaure des tribunaux d'arbitrage censés protéger les entreprises victimes d'abus de droit perpétrés par les Etats où elles s'installent. Dans la pratique, plusieurs décisions ont tendu à remettre en cause les législations environnementales, sociales ou sanitaires des Etats qui allaient à l'encontre des intérêts de certaines entreprises. L'Allemagne a ainsi été attaquée pour avoir décidé de sortir du nucléaire, et l'Australie pour sa politique antitabac.

Rapport de force
Problème : la Commission européenne, qui a négocié pendant plusieurs années avec les Canadiens, n'a pas la moindre intention de remettre l'ouvrage sur l'établi. « Nous pensons que le CETA est excellent, y compris sur le chapitre ISDS », explique au Monde l'un de ses porte-parole.
« C'est tant mieux que Paris et Berlin engagent le rapport de force avec la Commission, se félicite l'eurodéputé écologiste Yannick Jadot, farouche opposant de ces accords de libre-échange en général, et de l'ISDS en particulier. Même si c'est un peu tardif… »
Voire trop tardif ? Pendant que, lors de la phase ultime des négociations, à la fin de l'été 2014, le ministre de l'économie allemand, Sigmar Gabriel, pestait publiquement contre l'ISDS, la France restait silencieuse. Matthias Fekl attendait que la Commission rende ses conclusions sur la consultation publique menée l'an dernier, « par respect pour ses contributeurs », explique-t-on du côté de son cabinet : c'est chose faite depuis le 13 janvier.
Paris et Berlin seront-ils suffisamment persuasifs pour convaincre la Commission européenne de revenir plusieurs mois en arrière ? « On ne se place pas dans l'hypothèse d'un blocage » (au cas où la commission refuserait de changer sa position), assure le cabinet de Matthias Fekl, qui met également dans la balance un argument de poids : « De toute façon, le Parlement européen et le Parlement français n'accepteront jamais le texte en l'état ». Or, leur approbation est indispensable pour que le traité entre un jour en vigueur.
Une position amoindrie ?
A force de souligner « l'avancée sans précédent » entreprise par la France et l'Allemagne, le gouvernement français en ferait presque oublier qu'il a totalement évacué l'option réclamée par une bonne partie de la société civile et des partis européens : supprimer tout bonnement l'ISDS du traité UE-Canada et de tous les accords européens à venir plutôt que de se contenter de le réformer. C'était encore la position de la prédécesseure de M. Fekl au portefeuille du commerce extérieur, Nicole Bricq, en janvier 2014:

« La France n'est pas favorable à l'inclusion d'une clause de règlement des différends entre investisseur et État dans l'accord. »

« On considère qu'il faut mettre en place des standards européens pour le XXIe siècle », explique-t-on désormais au cabinet de Matthias Fekl. La France agit-elle là par pur pragmatisme, convaincue qu'un rejet pur et simple de l'ISDS ne serait de toute manière pas accepté par les 14 Etats européens qui y sont résolument favorables ?
« Pourquoi la France ne pourrait-elle pas se lever et dire non, même si elle est seule ? » s'interroge Yannick Jadot. Lionel Jospin avait bien dit non à l'AMI [accord multilatéral sur l'investissement, négocié par les pays de l'OCDE et abandonné en 1998], le Luxembourg et les Pays-Bas ont bien refusé la fin des paradis fiscaux ! »
Un bon connaisseur du dossier avance une autre explication : « En réclamant un agenda de réforme de l'ISDS trop ambitieux, Paris et Berlin espèrent peut-être placer la barre trop haut pour que les Canadiens acceptent : cela pourrait créer un blocage et régler la question de l'arbitrage, sans trop mouiller la France et l'Allemagne. »


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