Le conseil lancé à ses membres par le président de la FTQ, Daniel Boyer, de prendre leurs cartes de membresdu PQ pour bloquer la voie de la chefferie à Pierre Karl Péladeau – dont la candidature prochaine est le secret de Polichinelle de l’année -, laisse songeur.
S’il est tout à fait légitime aux leaders syndicaux et même de leur devoir, de représenter les intérêts de leurs membres dans les débats de société qui les concernent, se mêler directement d’une course à la chefferie, quel qu’elle soit, est fort mal avisé.
S’il est vrai que certaines courses ont plutôt des airs de couronnement anticipé ou ne sont que de longs concours de vente de cartes de membres, appeler à «noyauter» le processus ne fait qu’ajouter à un exercice démocratique déjà suffisamment imparfait.
S’il est vrai que la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) – dont la réputation est déjà fortement mise à mal par la commission Charbonneau -, eût été plus sage de se garder ici une petite gêne, son président a tout au moins le mérite d’annoncer ses intentions à visière levée. Lorsqu’on sait l’influence indue et réelle qu’exercent parfois des lobbys nettement plus invisibles dans le processus d’élection d’un chef de parti – quel que soit le parti -, c’est déjà ça de pris.
Cela dit, la «transparence» de M. Boyer ne justifie pas pour autant une telle ingérence dans une course à la chefferie d’un parti politique.
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Petits rappels historiques…
Question de remettre la chose dans son contexte, rappelons ici que ça tout de même fait déjà un bail que les rapports entre la FTQ et le PQ passent d’une grande proximité au désamour selon les circonstances du jour et surtout, selon qui dirige le PQ… et la FTQ…
De quelques rappels historiques pertinents.
Malgré la fondation du PQ dès 1968, la FTQ présidée par Louis Laberge n’appuie le PQ de René Lévesque qu’en 1976 en chemin vers sa première victoire électorale du 15 novembre. Au fédéral, la FTQ appuie depuis longtemps le NPD.
Quatre ans plus tard, ayant aussi constaté le caractère progressiste de la gouverne péquiste jusque-là, la FTQ appuie aussi le OUI lors du référendum de 1980.
C’est également sous le régime péquiste que la FTQ met sur pied son Fonds de solidarité – devenu depuis une véritable puissance financière dont l’actif net dépasse aujourd’hui les dix milliards de dollars. Son premier président sera d’ailleurs l’homme d’affaires Claude Blanchet, également l’époux de Pauline Marois.
Tenue dans la foulée de l’effervescence post-Meech, à l’élection fédérale de 1993, c’est le coup de théâtre. La FTQ donne son appui au Bloc québécois de Lucien Bouchard et abandonne son soutien historique du NPD.
À l’élection québécoise de 1994, la FTQ appuie le PQ de Jacques Parizeau. En 1995, la centrale syndicale lance la consigne de voter OUI au référendum.
Sous la gouverne néoconservatrice de Lucien Bouchard à la tête du PQ et du gouvernement, la FTQ présidée alors par Henri Massé accepte néanmoins d’appuyer la quête au déficit-zéro lancée par le nouveau premier ministre.
À l’élection de 2007, onze ans plus tard, la FTQ appuie à nouveau le PQ, cette fois-ci dirigé par André Boisclair qui, le soir du scrutin fait chuter son parti à 27% des voix. Cet appui, la FTQ le donne même si en début d’année, le nouveau chef péquiste promettait de mettre fin à la relation qu’il disait «copains-copains» entre le PQ et les syndicats. La FTQ s’oppose toutefois à l’engagement du programme péquiste à tenir possiblement un référendum rapide s’il est élu. La même année, M. Massé prendra même la peine de se distancer de ce qu’il appelle lui-même le discours de la «gaugauche»…
Entre-temps, après l’élection des libéraux de Jean Charest en 2003, la FTQ s’oppose durement à sa «réingénierie» de l’État. La FTQ s’en prend aussi fortement à l’Action démocratique du Québec de Mario Dumont.
Après 2007, dorénavant sous la présidence de Michel Arsenault, la FTQ continue d’entretenir sa proximité avec le Parti québécois et plus particulièrement avec sa nouvelle chef, Pauline Marois.
À la commission Charbonneau, dans la foulée d’un «deal» allégué entre le Fonds de solidarité de la FTQ et Claude Blanchet, des écoutes électroniques révéleront même qu’en 2009, M. Arsenault et Mme Marois avaient eu des rencontres privées au très sélect et très privé Club 357c.
Or, malgré ses liens de proximité, en vue de l’élection générale de 2008, Michel Arsenault retire l’appui de la FTQ au PQ. Il lance que la centrale n’appuie aucun parti. Idem pour l’élection de 2012.
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Tout sauf PKP…
À l’élection de 2014, la candidature surprise du grand patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, fait carrément déborder le vase de la FTQ.
Dès le 9 mars, la centrale de 600 000 membres émet un communiqué où la FTQ dit «s’étonner» de la candidature «de l’un des pires employeurs que le Québec ait connu», dont le bilan «en termes de relations de travail est une catastrophe».
La dernière sortie du président de la FTQ, Daniel Boyer, va donc tout à fait dans le même sens. C’est par contre à la fin du mois que la centrale décidera formellement si elle entend tenter ou non de «bloquer» la voie à PKP. Ce matin, chez Paul Arcand, M. Boyer disait que «bloquer» est «un bien grand mot»… «Si on veut que nos valeurs et nos revendications» soient portées», ajoutait-il, sans être pour autant un «mot d’ordre» de le bloquer, auparavant, il faudra avoir un débat à savoir «si on s’en mêle ou on s’en mêle pas». «Je suis moi-même un indépendantiste«, ajoutait-il, «mais je veux un Québec social-démocrate».
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Un avertissement
Même s’il est mal avisé pour le patron d’une grande centrale de se mêler directement d’une course à la chefferie, sa sortie n’en constitue pas moins un avertissement. Autant à Pierre Karl Péladeau qu’au Parti québécois. L’appel qu’il lançait hier à PKP de «dialoguer» au lieu de répliquer sur sa page Facebook l’était aussi d’une certaine manière.
Cet avertissement est que depuis le dernier référendum, pour plusieurs «alliés» anciennement «historiques» du PQ, leur appui est devenu changeant et circonstanciel. Le «non appui» de la FTQ au PQ aux élections de 2008 et 2012 en est un exemple parmi d’autres.
Sous la gouverne de Lucien Bouchard, de 1996 à 2001, sourdement et lentement, le PQ a d’ailleurs perdu de nombreux appuis à sa gauche. Des appuis qu’il n’a jamais pleinement récupérés sous ses successeurs.
Lorsque PKP répond à Daniel Boyer sur sa page Facebook en empruntant la formule connue de Bernard Landry – l’indépendance est «ni à gauche, ni à droite, elle est enavant» – il avance une perspective certes partagée par une partie des souverainistes, mais qui, dans les faits, ne fait pas l’unanimité au sein de ce qu’il reste du mouvement souverainiste élargi.
Face aux politiques d’austérité du gouvernement Couillard et à l’appui de la CAQ sur lequel le premier ministre peut compter sur cette question fondamentale, combien de membres du PQ voudront, eux aussi, non seulement se donner un chef capable de mener la prochaine bataille électorale, mais aussi capable de retourner à un positionnement plus social-démocrate? Les prochains mois sauront donner la réponse, inconnue pour le moment, à cette question.
D’autant plus qu’à trop vouloir «gruger» dans les talles caquistes en adoptant elle-même un discours économique plus à droite et plus affairiste, Pauline Marois a déjà fait ample démonstration qu’un tel positionnement ne faisait qu’éroder encore plus une base péquiste déjà fortement fragilisée.
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Le débat «gauche-droite» occupera aussi une partie du terrain de la course, mais comment? Ça reste à voir…
Au-delà des formules, ce constat voulant qu’il ne suffira pas de répéter comme une incantation que l’indépendance est «ni à gauche, ni à droite», le député de Saint-Jérôme et futur candidat à une chefferie dont il en est le meneur, semble néanmoins l’avoir fait lui-même.
À preuve, sa sortie de la fin septembre contre l’austérité du gouvernement Couillard.
Sa sortie plus récente favorable à élargir encore plus le rôle du privé dans le système de santé lui a toutefois valu de faire oublier la première…
Et surtout, elle lui a valu quelques rappels à l’ordre empressés de la part de certains des candidats déjà déclarés à la chefferie, dont Bernard Drainville et Jean-François Lisée.
Dans cette course, les Drainville, Lisée, Martine Ouellet, Alexandre Cloutier et Pierre Céré rivaliseront entre eux pour se «distinguer» du meneur sur la question de la souveraineté. Mais ils tenteront aussi de s’établir à son opposé, comme «la» voix la plus «progressiste» de la brochette de candidats.
Bref, couronnement ou pas, le débat «gauche-droite» a de fortes chances d’occuper, lui aussi, une partie du terrain de la course. Et d’autant plus dans la mesure où il semble bien que la plupart des candidats à la chefferie finisse par renvoyer la tenue hypothétique d’un autre référendum à la proverbiale semaine des quatre jeudis…
Bref, comme ce sera en plus une longue, très longue, course, que le PQ jouera fort possiblement sa survie à l’élection de 2018 et que depuis presque vingt ans, il a de toute manière l’habitude de traiter l’option même d’un référendum comme un pénible boulet électoral, il faut s’attendre à ce que la souveraineté ne soit pas l’unique objet des rivalités entre les candidats. Loin s’en faudra.
Or, pour le moment, au-delà de quelques déclarations à la pièce et qui paraissent même parfois contradictoires, le nouveau positionnement final sur l’axe gauche-droite de PKP «le politique» demeure encore et toujours une énigme. Idem pour le processus et l’échéancier référendaires.
Un mystère qui, d’ici la fin du mois, devrait commencer à s’élucider avec sa candidature officielle.
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