La grande question africaine

Là où on aurait le plus de raisons de se révolter, presque rien ne se passe.

Tribune libre

Les révoltes tunisienne et égyptienne, même si nos grands médias ne l'admettent que du bout des lèvres et à contrecoeur, nous font prendre conscience d'un fait longtemps nié, longtemps ignoré chez nous: le fait que la majorité des pays africains sont toujours contrôlés par des dictateurs qui, contrairement à d'autres tel que Staline, ne prennent même pas la peine d'aveugler leur peuple par quelconque mouvement que ce soit, se contentant d'agir en petits chefs mafieux, conservant argent et énergie à rester au pouvoir, sur fond de médiocrité générale.
Pire encore (et là où nos médias se sentent le plus mal à l'aise) est le fait que ces mêmes petits chefs sont mis au pouvoir et sont entretenus par nos gouvernements et grandes multinationales, leurs objectifs étant bien connus, que ce soit l'accès illimité à des ressources minières et pétrolières privatisées ou encore le bon vieux "cheap labor" dans les manufactures de misère.
C'est donc pour cette raison que ces deux révoltes citoyennes sont vues d'un bon oeil par une majorité d'entre nous (sauf aux yeux des maîtres: les commentaires négatifs de certains journalistes américains conservateurs tels que ceux de Fox News trahissant le copinage entre chefs dictatoriaux et soi-disant "démocratiques").
C'est ici où je veux en venir avec ma grande question africaine: alors qu'en moins de deux semaines une partie du monde arabe s'est révoltée contre ses dictateurs vendus aux intérêts financiers étrangers, n'ayant jamais contribué au bien de leurs citoyens, comment se fait-il que là où les mêmes problèmes sévissent au plus fort dans le monde, en Afrique noire, on ne voit pas de mouvements citoyens semblables? Pourtant, les raisons de se révolter sur ce continent ne manquent pas: on peut y voir quitter chaque jour des camions remplis pour des dizaines de milliers de dollars en minerai ou pétrole qui iront remplir les comptes de multinationales et du "président" dans quelconque paradis fiscal, croisant en sens inverse de plus petits véhicules d'organisations humanitaires remettant aux citoyens africains des petits pains pour compenser ce vol flagrant de ressources collectives dénationalisées.
Le résultat est prévisible: des gens privés de services dus, de gratuité scolaire, d'opportunité de vie, risquant la prison sale ou la tombe s'ils osent traiter leur gouvernement d'incompétent, poussant chez nous certains à se complaire dans de vieilles idées de supériorité raciale en les traitant de "tiers-mondistes", la misère artificiellement entretenue par nos mêmes entreprises étranglant nos syndicats étant alors remplacée par la conviction qu'il s'agit plutôt d'une incompétence d'origine génétique...
À l'exception notable des révoltes en Côte-d'Ivoire et au Togo contre des présidents autocrates et d'un groupe indépendantiste au Nigéria sabotant parfois les installations pétrolières étrangères, il règne en Afrique noire un inexplicable à-plat-ventrisme devant les intérêts occidentaux, alors que pour à peine la moitié des injustices subies, le monde arabo-musulman serait malgré tout prêt à crier à l'injustice, à l'exploitation.
Pourtant, ce phénomène ne touche pas tous les peuples noirs de ce monde: on le constate par le grand nombre de groupes afro-américains pour l'égalité des chances aux États-Unis et surtout par le peuple haitien qui, même après que leur pays, le plus pauvre des Amériques, fut écrasé sous les décombres de Port-au-Prince suite au tremblement de terre, voulut malgré tout avoir son mot à dire sur les actions parfois douteuses d'organismes étrangers sur son sol.
De ce que je viens de vous dire, je n'ai rien inventé sur cette absence d'activisme plus agressif, plus efficace, qui se démarquerait de celui des propagandistes de la pitié (du genre charité chrétienne), où on gagnerait à faire comme en Tunisie ou en Algérie: je parle parfois à des gens d'origine arabe et africaine et je peux remarquer chez les premiers l'engagement politique à en découdre avec tout ce qui peut profiter de leur pays d'origine. Par contraste, chez les seconds, il y a très souvent cette absence de "colère politique", une dépolitisation ressemblant de beaucoup à celle de nos nouvelles générations de jeunes. Si quelqu'un peut apporter une réponse valable à ce que je viens d'écrire, il est le bienvenu!
Yannick St-Jacques, étudiant en relations internationales et droit international à l'UQAM, Montréal.


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 février 2011

    Y'a pas de pétrole en Tunisie et en Égypte (enfin pas vraiment la peine). Y'a pas de manufactures non plus (enfin pas vraiment la peine, les manufactures sont en Asie)
    Y'a du pétrole en Lybie. Et Dieu sait si les Américains ont tout fait pour se débarasser de Khadafi. Y'a du pétrole au Vénézuéla et Dieu sait si les Américains font tout pour s'en débarasser. Y'a du pétrole en Iran, et Dieu sait si les Américains ont tout fait pour se débarasser des Islamistes. Bref, on surestime énormément le pouvoir des Américains, une superpuissance en plein déclin (d'ailleurs la crise éqyptienne nous le rappelle terriblement)
    Pourquoi les Noirs ne se révoltent pas? Ca c'est une vieille question. Une partie de la réponse repose sur la sous-scolarisation des masses africaines. Les Tunisiens sont les plus scolarités du monde arabe et les Égyptiens ont une masse assez scolarisée pour organiser une révolte. L'Afrique noire semble bien loin de cela.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 février 2011

    Entre le 19ème et le 20 ème siècle, les européens ont pillé les ressources et les richesses de l’Afrique. Les crimes coloniaux sont nombreux : division des ethnies par des frontières artificielles, ségrégation raciale, assassinats, déportations, travaux forcés, expropriations … Les routes et autres infrastructures ont été construites dans le but de favoriser le pillage et le transport des matières premières, mais aussi de faciliter l'acheminement des forces armées. Leur construction a été faite par les africains soumis trop souvent à de véritables travaux forcés. L'esclavagisme a fait la prospérité des grandes villes comme Bordeaux, Nantes, La Rochelle, Saint-Malo etc. et de véritables fortunes ont été bâties ! Lire ce bref article ci-dessous
    http://2ccr.unblog.fr/2010/12/05/afrique-terre-de-pillages/