La justice à deux faces

Tribune libre


La justice à deux faces
Par Frédérick Millette
Ottawa, lundi 7 décembre 2009. Vingt militants de l’organisation Greenpeace escaladent les murs d’un bâtiment de la Colline du Parlement, au nez et à la barbe des services de sécurité canadiens. Les vingt militants sont arrêtés et, dès mardi matin, quatorze d’entre eux sont remis en liberté à la condition de s’abstenir de communiquer les uns avec les autres et de ne pas se rendre sur la Colline du Parlement. Ils ne reçoivent aucune amende! Parmi les six personnes figure une Torontoise qui refuse les conditions pour des raisons personnelles. Les cinq autres personnes refusent les conditions parce qu'elles travaillent ensemble au Québec, pour Greenpeace. Dans le cas de ces six personnes, la justice canadienne remplace donc la condition de ne pas communiquer les uns avec les autres par une interdiction de prendre part à une manifestation.
Ottawa, mardi 8 décembre 2009. Six militants du groupe People for Climate Justice occupent la salle de réunion du Comité permanent de l’environnement et du développement durable après une dénonciation de l’attitude du gouvernement canadien dans le dossier de l’environnement. Les agents de sécurité du Parlement les arrêtent et les livrent à la GRC. Ils leur demandent de quitter la Colline et leur donnent une amende de 65 $ pour être entrés sans autorisation.
Montréal, mardi 10 novembre 2009. Près de 300 personnes manifestent pacifiquement sur la rue de Bleury, devant la caserne du régiment des Black Watch. À la demande des autorités fédérales sans doute profondément vexées, les manifestants sont agressés sauvagement par l’escouade tactique de la police de Montréal. Leur crime est de dénoncer la visite du prince Charles, que le gouvernement fédéral a transformé en geste politique pour narguer le peuple québécois. Les matraques s’abattent sur les manifestants sans défense, y compris sur un homme de soixante-quinze ans. La police les frappe tantôt sur la tête, tantôt dans les testicules. Elle casse et déchire pancartes et drapeaux. Un homme de soixante-quinze ans goute à la matraque. D’autres manifestants se font casser les lunettes. Symbole de la répression fédérale, l’image d’un manifestant le visage ensanglanté fait le tour du monde. Trois manifestants sont plaqués au sol, menottés et trainés au poste de police, où ils reçoivent une amende de 500 $ chacun pour refus de libérer la voie publique.
Résumons. Vingt-six militants écologistes prennent d’assaut le Parlement du Canada. Pas un seul ne se fait taper dessus. Six d’entre eux écopent d’une amende de 65 $. Quelques semaines auparavant, trois-cents militants indépendantistes manifestent pacifiquement dans la rue et se font matraquer. Les amendes sont de 500 $. Quelle conclusion faut-il en tirer? Quand on ne remet pas en question l’ordre établi et qu’on milite pour l’environnement, le pouvoir fédéral se montre compréhensif. Mais, si on descend dans la rue pour dénoncer les manœuvres d’Ottawa contre le Québec et pour refuser l’occupation fédérale, on a droit à la répression intégrale. Jamais la sécurité du prince n’a été menacée, le 10 novembre, mais il fallait nettoyer la rue de la gangrène séparatiste.
Prendre d’assaut le Parlement du Canada et, par le fait même, inviter les extrémistes de tout poil à faire de même ne mérite rien d’autre qu’une petite réprimande… à condition bien sûr de ne pas être des séparatistes. La justice canadienne a deux faces : la face vertueuse, qu’elle n’hésite pas à montrer pour préserver sa réputation, et la face répressive, qu’on apprend à connaitre lorsqu’on est un Québécois et qu’on se tient debout.


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