La langue, sésame de l'intégration

Connaître la langue de son pays d'accueil comme préalable à l'immigration: le débat est lancé.

Citoyenneté québécoise - Conjoncture de crise en vue

Stéphanie Germanier - Quels efforts exiger des immigrants pour pouvoir partager avec eux plus qu'un territoire? C'est la question que nombre de pays européens, la Suisse y compris, se posent aujourd'hui. Car l'immigration lointaine ou issue de l'asile cause de nouveaux problèmes aux Etats qui s'étaient, jusqu'il y a quelques années, focalisés sur la force de travail des immigrés et non sur leur intégration.

Plusieurs voisins européens répondent aujourd'hui aux difficultés de dialogue et de cohabitation entre les populations par les mots sélection, test de langue ou cours d'intégration. A l'image des Pays-Bas, qui exigent désormais des immigrés extra-européens d'avoir réussi un examen écrit de langue et de culture néerlandaise (ci-dessous). La Suisse est loin de vouloir franchir ce pas qui vise davantage à durcir l'accès à l'immigration qu'à promouvoir l'intégration.

Et pourtant, la Confédération fait un petit pas vers la pratique du «contrat d'intégration». Une ordonnance entrant en vigueur ce mercredi prévoit que, dorénavant, les cantons pourront obliger les étrangers à suivre un cours de langue ou d'intégration pour qu'ils puissent bénéficier d'une autorisation ou d'une prolongation de leur titre de séjour. Une mesure potestative que les cantons ne s'empresseront pas d'appliquer. «Nous manquons déjà de structures et de places dans les cours de langues», rappelle Robert Cuénod, le délégué à l'Intégration du canton de Genève. Même écho du côté du Valais où l'on se demande qui paiera. Car les modalités de financement restent pour l'heure peu claires entre la Confédération et les cantons. Une controverse que connaît aussi l'Allemagne (ci-dessous).

L'ordonnance qui permet aux cantons de faire usage du filtre de la langue pour délivrer des permis de séjour offre aussi la possibilité de promouvoir «l'intégration au mérite». Ceux qui seront devenus «de bons Suisses» seront récompensés par un permis C après cinq ans au lieu de dix.

«Cette nouvelle pratique vise réellement à favoriser l'intégration des personnes et n'est pas assimilable à un durcissement de la loi», précise Dominique Boillat. Le porte-parole de l'Office fédéral des migrations (ODM) rappelle aussi que la dernière mouture de l'ordonnance anticipe la nouvelle loi sur les étrangers, actuellement attaquée par un référendum. Cette dernière donne pourtant pour la première fois une base légale à l'intégration. Jusqu'à présent, la loi se contente de définir le mandat de la Commission fédérale des étrangers et le financement des projets promus par celle-ci.

Selon Etienne Piguet, professeur à l'Institut de géographie de l'Université de Neuchâtel, ni l'ordonnance ni la nouvelle loi ne vont bouleverser les pratiques dans le domaine de l'intégration: «C'est surtout symbolique. En incluant dans la loi sur les étrangers un article sur l'intégration, la Suisse devient de fait un pays d'immigration.»

La Suisse pourrait-elle un jour emboîter le pas à ses voisins les plus restrictifs en matière d'exigences linguistiques ou culturelles? Beaucoup pensent que non. Et surprise, même l'UDC n'y croit pas. «L'intégration concerne les immigrés et pas l'Etat. On ne peut pas obliger quelqu'un à faire ce qu'il ne veut pas», commente Gregor Rutz, secrétaire général du parti. Une prise de position qui ne signifie de loin pas que les agrariens ont renoncé à leurs principes restrictifs concernant la politique migratoire. Mais, partisans de la naturalisation par le peuple, ils comptent plutôt sur la sélection naturelle des «bons» immigrés. «La naturalisation est la fin du processus d'intégration. Si une personne a fait des efforts elle sera récompensée», explique Gregor Rutz.

Cheffe du service des étrangers en Valais, Françoise Gianadda ne croit pas non plus à l'intégration par la contrainte. «Nous encourageons les communes, premiers paliers de l'intégration, à mettre en place des structures pour accueillir leurs immigrants, mais nous n'obligerons personne à faire quoi que ce soit», relate-t-elle. Et de poursuivre: «Ni l'ordonnance, ni la nouvelle loi n'apportent de bonne solution pour l'intégration car elles ne définissent pas ce concept. Que doivent accepter les migrants de notre culture? Il faudrait d'abord le déterminer pour pouvoir leur offrir davantage de chances de s'y intégrer.»

Au fond, la Suisse n'aurait pas besoin de mesures coercitives d'intégration car elle ne connaît pas de problèmes aigus et qu'elle limite déjà fortement l'immigration extra-européenne dans la nouvelle loi sur les étrangers. C'est en tout cas la conclusion à laquelle arrive Etienne Piguet.

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Encadré(s) :

L'Allemagne décrète un socle minimum d'allemand

Depuis une année, Berlin met l'accent sur l'intégration par la maîtrise de la langue.

Yves Petignat

Une connaissance suffisante de la langue allemande est le premier pas vers l'intégration. Longtemps débattue en Allemagne cette évidence a fini par s'imposer dans une loi sur l'immigration votée par le parlement en 2004 et entrée en vigueur le 1er janvier 2005.

L'an dernier, pour la première fois, plus de 115 000 étrangers, hors communauté européenne, désireux de séjourner durablement en Allemagne ont été contraints de suivre un cours de langue allemande qui s'étale sur 600 heures. Des écoles spécialisées ou des associations d'éducation des adultes donnent cet enseignement. La facture a longtemps été une pomme de discorde entre l'Etat fédéral et les Länder, retardant le projet. Finalement, le pouvoir central a admis de passer à la caisse. Son effort, en 2005, a atteint 188 millions d'euros.

La participation aux cours est un succès. Les années précédentes, une vingtaine de milliers d'immigrants seulement demandaient un appui linguistique. «Une année de cours, est-ce suffisant, notamment pour des personnes pratiquement illettrées?» s'interroge pourtant Jan Knopf, le porte-parole de Maria Böhmer, la chargée de mission à l'Intégration. Une première évaluation de l'expérience commence.

L'administration chargée d'attribuer les titres de séjour évalue et décide qui a besoin de suivre le cours. S'il manque d'assiduité, l'intéressé peut avoir des problèmes pour obtenir son titre de séjour. «Il est difficile de sanctionner quelqu'un qui a déjà une famille ou envisage de se marier en Allemagne», admet Jan Knopf.

Seuls les nouveaux arrivants sont soumis à l'exigence d'un minimum de connaissances en allemand. Les immigrés déjà établis y échappent. «C'est un problème, notre offre reste très insuffisante», concède Jan Knopf. De leur côté, les enseignants déplorent que toujours plus d'enfants de la troisième génération d'immigrés commencent la scolarité obligatoire sans notions d'allemand. Parce qu'ils n'ont pas fréquenté l'école maternelle, parce que leur mère, confinée au foyer, ne maîtrise que sa langue d'origine. Le débat politique allemand se déplace donc vers ce nouveau défi.

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Londres et Paris serrent aussi la vis

François Modoux

La Grande-Bretagne a longtemps été le modèle libéral par excellence en matière d'immigration. Elle accueille à bras ouverts les étrangers du monde entier qui représentent une main-d'oeuvre irremplaçable pour son économie très dynamique. En 2004, le nombre de nouveaux étrangers a atteint le record absolu de 582 000. A Londres, une personne sur trois est née à l'étranger.

Les attentats du 11 septembre, puis plus récemment ceux du 7 juillet 2005 ont changé le climat. Sur la défensive, le premier ministre Tony Blair a dû concéder qu'il y avait 570 000 immigrés clandestins dans son pays. Il a été forcé d'introduire un plan ambitieux de renvoi des requérants d'asile déboutés.

Tony Blair a aussi serré la vis en matière de naturalisation. Des obstacles ont été dressés sur le chemin de la citoyenneté britannique. Des cérémonies, incluant la prestation de serment à la reine, ont été introduites. Un test de connaissances du pays est obligatoire depuis novembre dernier. Les candidats reçoivent un petit livre à potasser; les examens proposent ensuite 14 questions à choix multiples. Certaines sont simples («Qui est le chef d'Etat du pays?»); d'autres plus compliquées («Quand le droit de vote à 18 ans a-t-il été accordé à tous?») Enfin, la notion de «citoyenneté» est désormais enseignée à l'école, souvent par des policiers qui se rendent dans les classes.

La France n'est pas en reste. Ces derniers mois, une vague sécuritaire a déferlé sur le pays, soufflée par le ministre de l'Intérieur et chef de l'UMP (le parti du président Jacques Chirac), Nicolas Sarkozy. La politique migratoire pourrait s'en trouver durcie à l'avenir. Le dernier tour de vis est contenu dans le projet de loi que Nicolas Sarkozy a présenté début janvier à l'occasion de ses voeux pour 2006. Son objectif est de sélectionner à l'avenir les étrangers («immigration choisie») en distinguant les «bons» - les diplômés qu'il s'agit d'attirer en leur octroyant une carte de séjour dite de «capacité et de talent» - des autres que la France ne serait plus en mesure d'accueillir, notamment celles et ceux, moins qualifiés, venus à titre du regroupement familial. Candidat à la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy veut faire de sa politique dissuasive un argument pour ce grand rendez-vous. Il met aussi l'accent sur son intention de renvoyer dans leur pays toujours plus d'étrangers séjournant en France en situation irrégulière. Il a en revanche (provisoirement?) renoncé à l'idée de quotas d'immigration, un instrument que Rome utilise désormais pour réduire l'immigration extra-communautaire en Italie.

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Les Pays-Bas imposent des tests de langue

Les candidats extra-européens à l'immigration obligés d'apprendre le néerlandais.

François Modoux

Aucun pays européen n'est allé aussi loin que les Pays-Bas. Le 19 janvier dernier, le parlement néerlandais a finalement serré la vis à l'immigration comme le réclamait la ministre chargée de la politique d'intégration, Rita Verdonk. Dès le mois de mars, les étrangers désireux d'émigrer vers les Pays-Bas se verront imposer, dans leur pays d'origine, un test payant qui visera à vérifier leur connaissance de la langue et de la culture néerlandaises.

Le projet était controversé au sein même de la coalition de centre droit au pouvoir. Reporté à plusieurs reprises, il a fini par être ratifié par le parlement national. L'objectif annoncé est de restreindre l'immigration extra-européenne vers les Pays-Bas. Parmi les candidats, nombreuses sont les femmes désireuses de rejoindre un compatriote et de se marier. La société néerlandaise a découvert que trop souvent, ces ménages d'immigrés vivent sans aucune ambition d'intégration. L'exigence de se familiariser avec le néerlandais avant même de poser le pied en Hollande est soudain apparue comme une bouée de sauvetage contre la ghettoïsation rampante de certains quartiers.

Les citoyens de l'Union européenne sont forcément dispensés du test, en vertu de la libre circulation. Les Pays-Bas ont aussi décidé d'exempter du test d'«entrée en citoyenneté» les Suisses, les Américains, les Canadiens, les Japonais et les Néo-Zélandais.

Les candidats à l'immigration visés proviennent surtout du Maghreb, de Turquie et des Antilles. Jusqu'à 20 000 candidats par année pourraient tenter le test, estime la ministre. Ses adversaires font valoir qu'il est très difficile d'apprendre, à l'étranger, une langue comme le néerlandais, et impossible de fixer le niveau requis de maîtrise linguistique.

La ministre a rallié à son projet une majorité d'élus désireux de réduire l'immigration. Présentée parfois comme la «femme la plus haïe du pays», Rita Verdonk a aussi plaidé pour un «code national» inspiré d'une pratique en vigueur à Rotterdam: le néerlandais est parlé de façon exclusive dans les rues. Elle a admis de ne pas en faire une obligation fixée dans la loi, mais seulement une recommandation.

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Le Temps, no. 2476
Temps fort, mercredi, 1 février 2006





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