Jean-François Lisée, ancien journaliste et conseiller des Parizeau, Bouchard et maintenant Marois, nous avait habitués à des livres d'enquête touffus. À l'aube de la cinquantaine, il propose, dans une plaquette d'une centaine de pages (néanmoins dense), une révolution du «nous» qui se traduit par des propositions audacieuses. Et parfois controversées: pensons à cette citoyenneté québécoise liée à la maîtrise de la langue. Entretien.
Québec -- Lorsqu'elle a réhabilité, dans un discours, le «nous» québécois majoritaire francophone, Pauline Marois a promis que, plus tard, elle mettrait de la chair autour de l'os. Par le dépôt de deux projets de loi -- dont les deux autres partis ont refusé de discuter --, elle a tenté de remplir sa promesse. Mais la controverse a éclaté. La population s'est montrée très perplexe, du moins dans ce qu'un sondage récent a laissé voir. «On savait que ça allait venter, mais autant que ça, non», disait récemment un proche de la chef péquiste. Avec le sociologue Jacques Beauchemin, Jean-François Lisée a été un des conseillers qui ont convaincu Mme Marois de faire cette proposition. [Dans Nous (Boréal), une plaquette dense->9862], pleine de propositions -- dont plusieurs audacieuses --, Lisée persiste en présentant l'analyse derrière cette proposition.
L'ancien conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard estime que la société québécoise, à l'instar de plusieurs sociétés d'Europe -- il cite souvent l'Angleterre des Blair et Brown --, est récemment entrée dans un «moment majoritaire». Quand? Probablement avec cette histoire somme toute anecdotique des «vitres givrées» du YMCA. Là, on a atteint le «tipping point» (référence au livre de Malcolm Gladwell). On a basculé dans le «moment majoritaire», plongeant dans la crise des accommodements dits raisonnables et un changement de «paradigme».
Ainsi, après plusieurs décennies à se préoccuper surtout de corriger, de compenser et de «redresser les choses» pour les minorités, la majorité a décidé de penser à elle. D'où le retour au «nous». Et à l'acceptation de notre passé chrétien, dont Lisée parle à plusieurs occasions dans sa plaquette.
Bien sûr, cela ne signifie pas que les minorités ne seront plus l'objet d'attention, insiste Jean-François Lisée. De toute façon, le «moment minoritaire» a laissé beaucoup de structures et de législations pour les protéger. Mais il est plutôt temps de rompre avec une «naïveté» qui a imprégné une certaine social-démocratie et la «révolution des droits» (pour reprendre un titre de Michael Ignatieff), plaide-t-il.
En entrevue, Jean-François Lisée répète constamment qu'il est temps de devenir «sérieux», et ce, sur plusieurs questions brûlantes: «C'est fini, la naïveté dans notre volonté d'intégration des immigrants. Fini la naïveté, aussi, dans nos frais de scolarité. Il faut commencer à être sérieux, rigoureux. À l'école, c'est fini, la naïveté avec la pédagogie [il réclame un moratoire de dix ans sur l'implantation de la réforme au secondaire]. C'est le temps d'être sérieux, d'avoir des résultats.»
Intégration
Pour en «finir avec la naïveté» et bien intégrer les immigrants, les mesures possibles sont nombreuses, soutient Lisée. D'abord, le Québec a besoin d'agir sur le «fondamental», sur le «symbolique», en se donnant une constitution et une citoyenneté le plus vite possible. Car d'ici 20 ans, si les plans du gouvernement Charest se réalisent, «il y aura un million de futurs "nous" qui vont s'installer au Québec. Ce n'est pas rien: on est sept millions et demi au Québec. Il y a une personne sur sept de plus qui va arriver. C'est le temps d'être plus sérieux dans notre générosité. Plus clair entre nous. Et plus clair pour eux. Pour que leur intégration réussisse».
Être sérieux commandera d'abord de dépenser tous les deniers qu'il faut pour le faire: «Je trouve que c'est scandaleux que le Québec n'ait pas consacré à la francisation toutes les sommes venant du fédéral à cette fin», «scandaleux qu'on n'ait pas encore réglé la question de la reconnaissance des diplômes», martèle-t-il. «On n'a pas été assez exigeants avec nous. Et on n'a pas été exigeants avec ceux que j'appelle les futurs nous.»
En 2001, lorsqu'un projet de citoyenneté québécoise avait été proposé, M. Lisée s'était dit d'accord. Toutefois, rappelait récemment notre collègue Michel David, l'ex-conseiller de Lucien Bouchard avait adressé une mise en garde au gouvernement Landry: «Il y a cependant plusieurs façons de mal s'y prendre et de susciter beaucoup de méfiance chez les non-francophones. L'une d'entre elles est de lier cette citoyenneté au français de façon trop exclusive.» Mais n'est-ce pas ce que le PQ propose dans son projet de loi 195?
«Le climat est cependant complètement nouveau», écrit-il dans son livre. En entrevue, il précise l'objection: faire de la maîtrise du français une condition d'obtention de la citoyenneté ne revient pas à dire que «le citoyen du Québec est seulement francophone». À ses yeux, il faut en finir avec ce «mauvais objectif linguistique» qui consiste à dire que le Québec doit devenir aussi «francophone que l'Ontario est anglophone». En exigeant une maîtrise du français, on favorise l'égalité des chances, insiste-t-il.
Au fond, souligne-t-il, c'est ce que René Lévesque et Camille Laurin ont dit et fait en 1977. S'adressant à de nouveaux arrivants imaginaires, Lisée résume: «Nous sommes sérieux dans notre volonté d'avoir une majorité francophone plurielle. Et nous sommes sérieux dans notre volonté de faire en sorte que vous, qui vous joignez à nous, ayez des vies qui soient des succès parce que vous aurez acquis la langue commune et, par nos écoles, vous aurez acquis nos valeurs communes.»
La phrase est belle. Mais il reste que l'idée de la citoyenneté liée à la maîtrise de la langue provoque des accusations d'ethnicisme. «C'est parce que nous sommes des souverainistes québécois», répond M. Lisée. Les institutions et les partis qui dénonçaient la loi 101 au moment de son adoption disent aujourd'hui que le problème est «réglé grâce à cette même loi». Même «Jean Chrétien et Stéphane Dion ont affirmé que la loi 101 était une grande loi canadienne», rappelle-t-il.
Viser l'équilibre
Pour mesurer dorénavant son «succès linguistique», le Québec devrait viser à préserver, au cours des décennies à venir, l'équilibre linguistique atteint au tournant du siècle, croit Lisée. Une situation dans laquelle les francophones se sentent en sécurité parce que majoritaires. Où la minorité anglophone a une masse critique qui lui permet d'avoir ses institutions. Et des minorités culturelles qui ont une véritable vie italo-montréalaise, helléno-montréalaise, etc. «Ça, c'est le Québec qu'on aime. Mais chacun de nous a peur de le perdre, actuellement.»
Pour maintenir cet équilibre, il faudra beaucoup d'immigrants. Dans son livre, il pourfend Mario Dumont pour la façon dont il a abordé la question: «Un mauvais leader [qui s'est saisi] d'un événement d'actualité ou d'un motif de mécontentement pour l'enfourcher sans se soucier du dommage causé ou de sa capacité à conduire la société vers un équilibre nouveau.»
Dans Nous, Lisée raffine des propositions qu'il avait déjà présentées dans Sortie de secours (Boréal, 2001). Il faudrait à son sens commencer dès les prochaines années à accueillir le maximum d'immigrants étudiants (25 000 à terme) afin qu'ils peuplent ces cégeps et ces universités bientôt sous-utilisés. Il propose aussi des méthodes pour retenir le plus possible les jeunes Québécois, notamment les étudiants en médecine.
Et si lui plongeait en politique active pour réaliser tous ces projets? «Pour l'instant», c'est non. Il a ses enfants: un garçon, une fille, et un centre de recherche, le CERIUM, qui ont besoin de lui. Mais plus tard? Il ne dit pas non.
- source
«Fini, la naïveté!»
Conseiller de Pauline Marois, Jean-François Lisée présente une série de mesures pour réussir le «moment majoritaire»
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