La lente agonie du français hors Québec

Chronique de Charles Castonguay



Où en est le français à l’extérieur du Québec en ce 40e anniversaire de la Loi sur les langues officielles du Canada? L’enseignement du français comme langue seconde dans les écoles du Canada anglais a certes connu quelque succès. Cela sert trop souvent, cependant, à masquer le recul de l’usage du français comme langue première au foyer.
Au moment où Pierre Elliott Trudeau faisait adopter ses politiques de bilinguisme et de multiculturalisme, à la fin des années 1960, la population francophone hors Québec réussissait encore à remplacer ses générations. Les jeunes enfants francophones étaient aussi nombreux au recensement de 1971 que les jeunes adultes de langue maternelle française.
Mais l’ancienne société canadienne-française s’est depuis évaporée. Et la disparition de la traditionnelle surfécondité des femmes francophones a mis en évidence les ravages qu’entraîne le cancer de l’assimilation.
À l’heure actuelle, c’est-à-dire au recensement de 2006, le déficit entre les générations francophones s’élève à 44 %. Autrement dit, parmi les francophones à l’extérieur du Québec, les jeunes enfants sont presque moitié moins nombreux que les jeunes adultes. Le profil selon l’âge de la population de langue maternelle française hors Québec (voir notre figure) montre qu’en fait, la relève s’effrite de façon régulière depuis maintenant 40 ans.
Touchées tout autant par la sous-fécondité, les trois autres principales populations de langue officielle au Canada se portent néanmoins mieux. Beaucoup mieux dans le cas de la majorité anglophone hors Québec dont le déficit actuel entre les générations n’est que de 4 %.
Beaucoup mieux également en ce qui concerne la minorité anglophone du Québec dont le déficit n’est aussi que de seulement 4 %.
Quant à la majorité francophone du Québec, son déficit ne s’élève tout de même qu’à 16 %.
Cela s’explique par le profit que chacun de ces groupes tire de l’assimilation. La sous-fécondité des populations de langue anglaise du Québec et du reste du Canada se trouve presque totalement compensée par l’anglicisation de jeunes parents allophones qui élèvent leurs enfants en anglais, ce qui fournit à ces deux populations de nombreux enfants additionnels de langue maternelle anglaise.
Ce mécanisme de compensation fonctionne moins bien pour la majorité francophone du Québec qui francise proportionnellement moins de jeunes adultes allophones.
Le pouvoir d’assimilation du français parmi les allophones à l’extérieur du Québec est, par contre, négligeable. En outre, nombre de jeunes parents francophones s’y anglicisent, produisant du coup des enfants de langue maternelle anglaise.
Par conséquent, si au Québec le nombre de jeunes enfants de langue maternelle française s’est réduit du quart entre 1971 et 2006, dans le reste du Canada il s’est réduit de moitié : on y comptait 67 220 enfants de langue maternelle française âgés de 0 à 4 ans en 1971 contre seulement 33 892 en 2006. Vu autrement, si le Québec comprenait 85 % des jeunes enfants francophones du Canada en 1971, il en rassemble 90 % aujourd’hui.
La réduction de la relève est le plus marquée dans les provinces autres que le Nouveau-Brunswick, où l’anglicisation des francophones sévit moins qu’ailleurs, ainsi que l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique qui accueillent force francophones du Québec et de l’étranger. Par exemple, au cours des 35 années en cause, les jeunes enfants francophones sont passés de 2 325 à 816 en Nouvelle-Écosse et de 4 065 à 1 435 au Manitoba.
Nonobstant la Loi sur les langues officielles de Trudeau, le taux d’anglicisation des adultes francophones âgés de 35 à 44 ans, qui témoignent le mieux du pouvoir d’assimilation qu’exerce l’anglais au cours d’une vie, a progressé depuis 1971 dans huit des neuf provinces hors Québec. Le Nouveau-Brunswick fait seul exception. Le pourcentage de francophones qui, parvenus à l’âge de 35 à 44 ans, ont adopté l’anglais comme langue première à la maison s’y est quelque peu réduit, passant de 12 % en 1971 à 9 % en 2006.
Cette réduction est attribuable au pouvoir politique des Acadiens. Forts du tiers de l’électorat, ils ont obtenu la bilinguisation officielle du Nouveau-Brunswick en 1969, suivie d’une quasi-reconnaissance en tant que peuple.
Cependant, sous-fécondité et anglicisation y agissent tout de même de concert et se soldent par un déficit actuel de 35 % entre les générations francophones. De sorte que la population de langue française au Nouveau-Brunswick évolue désormais à la baisse. La population parlant le français comme langue première à la maison, par exemple, y est passée de 223 265 en 1991 à 213 885 en 2006, soit une réduction de 4 % en 15 ans.
Dans les trois autres provinces de l’est du Canada, l’assimilation et le défaut de remplacement des générations se sont accrus depuis 1971 pour atteindre tous deux 50 % ou plus en 2006. La population de langue d’usage française au foyer se trouve par conséquent en chute libre dans chacune d’elles, passant entre 1971 et 2006 de 2 295 à 740 à Terre-Neuve, de 4 405 à 2 755 à l’Île-du-Prince-Édouard et de 27 220 à 17 870 en Nouvelle-Écosse.
L’Ontario comprend un peu plus de la moitié de la population de langue française hors Québec. Le taux d’anglicisation des 35-44 ans de langue maternelle française y augmente lentement mais sûrement à chaque recensement, passant au total de 38 % en 1971 à 44 % en 2006. Le déficit actuel entre les générations francophones y est également de l’ordre de 40 % et la population ontarienne qui parle le français comme langue principale au foyer s’est réduite de 14 %, glissant de 352 465 en 1971 à 304 721 en 2006.
Dans chacune des quatre provinces de l’Ouest, l’assimilation des 35-44 ans s’élève en 2006 au-dessus de 60 %. D’autre part, le déficit actuel entre les générations francophones est de 40 % au Manitoba et de plus de 50 % dans les trois autres provinces. De 1971 à 2006, la population de langue d’usage française est donc passée de 39 600 à 20 515 au Manitoba et de 15 930 à 4 320 en Saskatchewan.
Cependant, l’Alberta et la Colombie-Britannique, qui sont des provinces d’immigration, attirent en particulier de nombreux francophones, notamment du Québec et de l’étranger, de sorte que la population de langue d’usage française se maintient autour de quelque 20 000 en Alberta et augmente, même, en Colombie-Britannique où elle est passée de 11 505 en 1971 à 17 555 en 2006.
Ces deux dernières provinces ne demeurent pas moins de véritables cimetières pour le français, langue première, dont la population ne se renouvelle qu’à coup de sang frais en provenance d’ailleurs.
En effet, en Alberta, le taux d’anglicisation des francophones âgés de 35 à 44 ans et natifs de l’Alberta était en 2006 de 88 %. En Colombie-Britannique, le taux d’anglicisation des francophones du même âge, nés dans la province, était de 83 %.
Seulement 22 % des jeunes adultes francophones en Alberta étaient natifs de leur province, comparativement à 38 % qui étaient nés au Québec et 8 % à l’étranger. En Colombie-Britannique, les parts correspondantes étaient de 13 % nés dans la province contre 48 % nés au Québec et 13 % à l’étranger.
Il faut savoir de plus que les taux d’anglicisation des francophones de 45 à 54 ans nés au Québec et nés à l’étranger s’élevaient en Alberta à 65 et 67 % respectivement et, toujours en 2006, à 72 et 61 % respectivement en Colombie-Britannique. Ce qui revient à dire que dans ces provinces, les immigrants francophones, en particulier, en viennent dès la première génération à renforcer la population de langue anglaise davantage que celle de langue française.
Une situation semblable prévaut dans toutes les régions du Canada qui ne comptent pas une viable population francophone de souche à laquelle de nouveaux arrivants de langue française trouveraient intérêt à se greffer.
Plus précisément, outre qu’au Québec, évidemment, ce n’est qu’au Nouveau-Brunswick ainsi que dans l’est et le nord de l’Ontario qu’une majorité d’immigrants francophones persistent à parler le français comme langue d’usage au foyer.
Autrement dit, ailleurs qu’à Montréal, Moncton, Ottawa ou Sudbury, promouvoir une immigration de langue française pour renflouer les populations francophones défaillantes équivaut à mettre un cataplasme sur une jambe de bois.
Or, c’est justement la politique que poursuit le gouvernement du Canada depuis le Plan d’action pour les langues officielles parrainé en 2003 par l’ex-ministre Stéphane Dion, visant à maintenir les minorités francophones à flot « coast-to-coast-to-coast ». Le comble, c’est que le gouvernement québécois collabore à cette fumisterie maintenant que le Québec a « réintégré le giron de la francophonie canadienne », pour reprendre la suave expression de l’ex-ministre Benoît Pelletier.
De toute évidence, pour que le français au Canada en bénéficie pleinement et de façon durable, il convient au contraire d’orienter fermement l’immigration francophone vers le Québec et le Nouveau-Brunswick ou, à la limite, vers l’est et le nord de l’Ontario. Quant au reste du Canada anglais, cette ressource est trop rare et précieuse pour servir de soins palliatifs.


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