Le fiasco de l’immigration francophone hors Québec

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Les fédéraux, des sépulcres blanchis

Cela fait maintenant un demi-siècle qu’au lieu d’appuyer le caractère français du Québec, le Canada prétend fortifier le français par des interventions qui se limitent pour l’essentiel aux autres provinces. Ottawa fait preuve de tant d’obstination à cet égard que force est de conclure qu’il préfère compromettre la viabilité du français au Canada plutôt que de permettre à une société distincte, de langue française, de s’épanouir en son sein.


Une réformette


Le gouvernement Trudeau vient justement de rejeter, pour une troisième fois, la proposition du Bloc québécois d’obliger tout candidat à la citoyenneté canadienne domicilié au Québec de faire preuve d’une connaissance appropriée du français. Et ce, malgré que le recensement de 2021 ait confirmé de manière décisive que tout comme ailleurs au Canada, l’anglicisation du Québec, aussi, est bel et bien en marche. Il s’agit du même Trudeau qui s’était engagé, dans un discours du trône encore chaud, à venir en aide au français non seulement dans les autres provinces, mais également au Québec. Que d’hypocrisie ! Three strikes and you’re out!


En contrepartie, Ottawa nous offre une réformette de la Loi sur les langues officielles qui laissera la clause Durham de la charte de Trudeau père poursuivre son œuvre d’assimilation en réduisant le droit à l’école française hors Québec à « là où le nombre le justifie » (1). Trudeau fils a beau s’engager ensuite à accroître l’immigration francophone à destination du Canada anglais, le tout revient à diriger le français droit dans le mur.


L’effet de la clause Durham se constate là où elle sévit, soit à l’extérieur du Québec et du Nouveau-Brunswick. Dans les huit autres provinces et trois territoires en question, l’anglicisation des francophones, langue maternelle, est passée de 33 % au recensement de 1971 à 52 % en 2021. La population de langue d’usage française y a chuté en même temps de 477 000 à 383 000, alors que celle de langue anglaise a bondi de 13,1 à 22,6 millions. Ce qui pousse encore plus fermement les minoritaires francophones subsistants à s’angliciser. Un cercle parfaitement vicieux.


Quant à l’immigration francophone hors Québec, Ottawa en fait déjà la promotion depuis 2003. Il s’agit d’immigrants qui connaissent le français ou, s’ils connaissent aussi l’anglais, sont plus à l’aise en français. Cela revient pour l’essentiel soit à des immigrants de langue maternelle française, originaires de France, Belgique, etc., soit à des immigrants allophones francotropes, c’est-à-dire de langue maternelle arabe, créole, rwandaise, etc., les plus susceptibles de ne connaître que le français ou de le maîtriser mieux que l’anglais.


Une politique mort-née


Or, dans une étude parue en 2002, Jack Jedwab (!) a constaté que la moitié des immigrants de langue maternelle française hors Québec finissaient par adopter l’anglais comme langue d’usage. Ce à quoi les données du recensement de 2001, parues en 2003, ont ajouté que parmi les 4,6 millions d’allophones hors Québec, dont près de 700 000 francotropes, un microscopique 6 780 avait choisi le français comme langue d’usage, comparativement à près de 2 millions d’anglicisés. Bref, la politique d’immigration francophone hors Québec, lancée en 2003, était d’entrée de jeu mort-née.


En ce qui concerne les immigrants de langue maternelle française hors Québec, j’ai relevé par la suite que selon le même recensement, leur degré d’anglicisation se conforme à celui de la minorité francophone dans leur région d’accueil (2). De façon générale, à l’extérieur du Nouveau-Brunswick et des parties de l’Ontario où l’anglicisation des francophones de souche était encore inférieure à 50 %, la plupart des immigrants de langue maternelle française s’anglicisaient. Quoi de plus naturel, quand parler l’anglais dans l’intimité du foyer est devenue la norme chez les francophones de souche eux-mêmes ?


Priorité au Québec et au Nouveau-Brunswick


L’anglicisation des Franco-Ontariens s’est toutefois accrue depuis 2001, au point qu’aujourd’hui, le bon sens commande de concentrer l’immigration de langue maternelle française au Québec et au Nouveau-Brunswick, les seules provinces qui comptent encore des sociétés d’accueil francophones viables. Persister à éparpiller cette immigration pour entretenir l’illusion de populations francophones vivaces partout au Canada ne reviendrait qu’à continuer à gaspiller une ressource aussi rare que précieuse.


D’autre part, en ce qui concerne l’immigration allophone susceptible de se franciser, la politique d’Ottawa tourne à vide. Sur 7,2 millions d’allophones hors Québec, dont 1,3 million de francotropes, le recensement de 2021 n’a énuméré qu’un toujours microscopique 12 450 francisés, comparé à près de 2,7 millions d’anglicisés. Rien pour renflouer de manière significative les minorités francophones défaillantes. Sauf peut-être au Nouveau-Brunswick, où la part du français dans l’assimilation des allophones s’élève à 7 %, alors qu’elle vacille entre zéro et 0,6 % dans les autres provinces. 


Résumons. À l’extérieur du Nouveau-Brunswick, la majorité des immigrants de langue maternelle française hors Québec choisissent de s’angliciser, tandis que les allophones, qu’ils soient immigrants ou non, qu’ils connaissent le français ou non, qu’ils soient francotropes ou non, n’y adoptent quasiment jamais le français comme langue d’usage. En somme, ailleurs qu’au Nouveau-Brunswick, l’immigration francophone hors Québec alimente la population de langue anglaise bien davantage que celle de langue française.


Foin, donc, des élans délirants d’Émilie Nicolas (voir « La bonne cible », Le Devoir, 9 juin dernier). Si l’on vise à renforcer de façon efficace la population de langue française du Canada, il convient d’orienter l’immigration francophone vers le Québec et le Nouveau-Brunswick. C’est folie furieuse de s’en servir comme palliatif pour masquer l’assimilation sans retour des francophones dans les autres provinces. À moins d’avoir pour but de garantir que l’anglicisation tranquille du Canada se poursuive, tout en faisant accroire, aux Québécois encore tiraillés par l’idéal d’un Québec indépendant, que le français pète le feu coast to coast to coast. Et tout en anglicisant, en prime, une partie de la francophonie internationale… Tiens, tiens. Que voilà un beau programme, mon cher Durham. Euh, Justin.


C’est tout de même remarquable. Cinquante ans de données de recensement sur la langue d’usage à la maison. Cinquante ans que le poids du français, langue d’usage, recule au Canada. De 25,7 % en 1971 à 19,8 % en 2021. Sans que cela ne tire le moindre regret d’un premier ministre canadien. Ni même une seule larme du plus larmoyant d’entre eux.


Refuser, par trois fois, d’appuyer de si peu le français comme langue commune du Québec. Proposer si peu pour consolider le français ailleurs au Canada. Reconduire une politique linguistique qui s’est à tel point avérée un fiasco.


Il me semble que cela a assez duré.


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(1)  Voir notre chronique précédente «Le français au point de non-retour».

(2)  Voir « Francophone Immigration Beyond the Bilingual Belt: Wasting a Precious Resource » Inroads, no 23, 2008.