FÉDÉRALISME

La marine canadienne prise en otage

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Le malheur de la Davie : dépendre des contrats d’Ottawa, sous forte influence politique de Irving


C’est en janvier 2015, environ dix mois avant sa déroute, que le gouvernement Harper a adjugé d’un coup l’acquisition de tous les navires dont le Canada pourrait avoir besoin au cours des vingt-cinq années suivantes et même plus, selon ce que l’on a qualifié alors de « stratégie maritime ». Étrange stratégie dont, évidemment, la première caractéristique était de ne rien confier aux chantiers maritimes les plus importants, qui se situent justement au Québec. Et vous, logiquement, achèteriez-vous en un seul contrat toutes les autos que vous allez posséder pendant les prochaines années ? La capacité des fournisseurs de respecter l’échéancier et les estimations ne semble pas non plus avoir fait partie des critères de sélection.


Alors, presque sept années plus tard, où en sommes-nous dans cette brillante politique d’acquisition, une aventure de quelque 100 milliards ? On a notamment donné au chantier maritime des Irving l’exclusivité de la fourniture de 15 frégates de la marine canadienne au coût alors estimé de 26 milliards, trois jours avant de lui accorder également l’exclusivité de la fourniture des navires de garde côtière. Tout ce qui semble s’être concrétisé depuis est l’octroi d’un contrat de conception à la firme Lockheed Martin en février 2019, quatre ans plus tard, en fait quatre ans trop tard, alors que la valeur estimée du contrat était passée à 60 milliards de dollars et la date de la première livraison fixée à 2031, 16 années après l’adjudication du contrat. La marine canadienne aurait eu tout à gagner à adjuger elle-même ce contrat de conception à Lockheed Martin quatre à six années plus tôt et n’avait nullement besoin d’Irving pour le faire. Quant aux quelques navires de la garde côtière déjà en service, les médias ne se montrent guère élogieux sur leur qualité.


Avec le peu de ressources dont dispose le chantier Irving, si tout va bien, et ce, extrêmement bien, la dernière livraison aurait lieu, nous dit-on maintenant, en 2041, presque trente années après la rédaction du devis technique. Autrement dit, au rythme où la technologie évolue, notre marine prendra alors livraison d’une belle antiquité toute neuve ! Il en sera de même de toute façon pour toutes les frégates livrées à partir de plus d’une douzaine d’années ! Et personne, dans notre gouvernement, n’a laissé voir la moindre réaction !


On comprend déjà qu’en 2041, les frégates existantes lancées au cours des années 1990 auront alors atteint l’âge vénérable de 40 à 50 années de service, ce qui, encore une fois, constitue une aberration totale au rythme auquel évolue la technologie. En fait, il faudrait se demander si, pendant une certaine période de transition, le Canada disposera encore véritablement d’une marine de guerre.


Jouer avec le feu


Il faut voir la vérité d’en face : depuis toujours, le Canada joue avec le feu avec le peu de moyens qu’il se donne pour protéger son si vaste territoire. Le Canada est-il vraiment en mesure d’assurer sa souveraineté sur ses eaux territoriales ; d’empêcher des puissances étrangères de s’installer carrément quelque part, ou de s’y débarrasser de leurs déchets radioactifs, ou encore d’empêcher que des passeurs débarquent en moins de deux de 500 à 1000 immigrants clandestins dans un village inuit isolé du Nunavut ou du Labrador ?


Les talents de professeur de théâtre de notre premier ministre ne suffiront pas éternellement à faire croire aux grandes puissances du monde que le Canada prend réellement au sérieux la défense de son territoire et qu’il aurait, semble-t-il, les moyens de le défendre. Il serait prudent de mieux répartir immédiatement la construction de ces navires en fonction de la capacité des chantiers pour en accélérer la mise en service et de procéder sans perdre de temps à la conception de la prochaine génération de navires. Absolument personne n’y perdrait, même pas le chantier Irving, manifestement si puissant politiquement !


On ne peut pas compter uniquement non plus sur notre aviation, dont les appareils réparés avec les pièces récupérées des vieux appareils achetés des Australiens pourraient finir par manquer !

 




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F. Pierre Gingras6 articles

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Spécialiste en génie industriel et auteur d'une étude sur le sujet publiée hier par l'Institut économique de Montréal, l'auteur a travaillé pendant 31 ans à la conception d'ouvrages hydroélectriques chez Hydro-Québec





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