La mesure du défi budgétaire

Budget Québec 2010

Dans la recherche de solutions à l'impasse budgétaire du gouvernement du Québec pour les prochaines années, il me semble utile de montrer l'ampleur du défi qui nous attend en mettant en relation l'évolution des déficits prévus, la croissance des revenus et des dépenses ainsi que le niveau de notre endettement.
La stratégie du gouvernement est basée sur un scénario financier quinquennal pour la période 2009-2010 à 2013-2014. Dans ce scénario, on constate que le déficit pour l'année en cours atteindrait 3,9 milliards de dollars, qu'il augmenterait à 4,8 et 5,6 milliards au cours des deux années suivantes et qu'il se stabiliserait par la suite à 6 milliards. Pour apprécier ce scénario, il est utile de retourner en arrière et d'analyser l'évolution récente de la situation financière, sans tenir compte toutefois de la technique de la réserve budgétaire qui a été utilisée pour compenser les variations des résultats d'une année à l'autre.
Ainsi, en 2007-2008, le budget enregistre un surplus de 1 milliard de dollars, mais l'année 2008-2009 connaît un revirement important, car le budget se solde par un déficit de 2 milliards, ce qui constitue une détérioration de 3 milliards d'une année à l'autre. Avant recours à la réserve budgétaire, on prévoit sur la même base pour 2009-2010 un déficit de 4,2 milliards de dollars, soit une nouvelle détérioration de 2,2 milliards. La situation financière du gouvernement s'est donc dégradée de 5,2 milliards de dollars en deux ans.
Baisse des coûts
Cette dégradation s'explique par deux facteurs: d'une part, de 2006-2007 à 2009-2010, les revenus autonomes diminuent progressivement de 49,7 milliards à 47,4 milliards et, d'autre part, les dépenses de programme augmentent de 51,7 à 60 milliards de dollars. L'évolution divergente que connaissent ces deux éléments cruciaux du budget a été en partie compensée par une baisse des coûts du service de la dette découlant de la baisse des taux d'intérêt et de la croissance des transferts fédéraux faisant suite aux discussions sur le déséquilibre fiscal. Mais le résultat net de cette évolution est que nous faisons face désormais à un trou financier. Il s'agit de la première cause de l'impasse à laquelle on fait maintenant face.
Pour les années suivantes du scénario budgétaire, à savoir 2010-2011 à 2013-2014, on voit une reprise de la croissance des revenus autonomes, mais elle est accompagnée cette fois d'une stagnation des transferts fédéraux et d'une croissance du service de la dette dont les coûts bondissent de 6,1 milliards en 2009-2010 à 9,4 milliards en 2013-2014.
Pour essayer de stabiliser le déficit à environ 6 milliards, l'objectif de croissance des dépenses de programme à partir de 2010-2011 est fixé à 3,2 % alors que la moyenne des trois années précédentes est de 5,1 %. Devant la hausse incontournable des dépenses de santé qui est de l'ordre de 5,5 % et l'évolution des dépenses d'éducation qui augmentent annuellement d'environ 3,5 %, les crédits des autres ministères devront être complètement gelés durant les quatre prochaines années pour respecter la limite globale de 3,2 %, situation qui se traduirait évidemment par une baisse des services compte tenu de la hausse des prix et des salaires.
Il n'y a évidemment aucune marge de manoeuvre dans ce scénario financier qui est basé sur des hypothèses fragiles compte tenu des incertitudes de la conjoncture économique. Les risques touchant à la fois l'évolution des revenus et des dépenses pourraient avoir un impact combiné significatif sur le déficit à court terme. Par exemple, en ce qui concerne seulement les dépenses, si leur croissance moyenne était de 4,2 %, soit 1 % de plus que l'objectif de 3,2 %, en se rappelant qu'elle fut de 5,1 au cours des dernières années, la prévision du déficit serait en 2013-2014 de 8,6 milliards au lieu de 6 milliards. Cela donne une idée de l'ampleur des risques, surtout à la veille du renouvellement des conventions collectives.
L'endettement du gouvernement
L'endettement est l'autre aspect inquiétant de l'impasse financière du gouvernement. Au 31 mars 2009, la dette brute était rendue à 151,4 milliards de dollars, ce qui équivalait à 49,9 % du PIB du Québec. Quel que soit le concept de dette utilisé (brute, directe ou nette), le Québec est de loin la province la plus endettée au Canada. Sauf la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve à 33 %, toutes les autres provinces ont une dette brute inférieure à 30 % du PIB. Si le Québec était à ce niveau de 30 %, la dette brute serait seulement de 90 milliards de dollars et le service de dette coûterait en proportion 2,5 milliards de moins pour l'année en cours. On ne pourra jamais avoir une fiscalité compétitive tant que ce problème existera.
L'accroissement de la dette durant la période 2009-2014 dépendra des déficits qui seront encourus, mais aussi du financement qui sera nécessaire pour la réalisation du Plan québécois des infrastructures dont le total des investissements sera de 41,8 milliards entre 2008 et 2013. En tenant compte de l'ensemble des besoins de fonds du gouvernement, le scénario financier prévoit une hausse de la dette brute de 8,9 milliards en 2009-2010 et de 9,9 milliards en 2010-2011. La dette atteindrait ainsi 170,2 milliards de dollars au 31 mars 2011. À ce rythme, elle pourrait atteindre entre 190 et 200 milliards de dollars au 31 mars 2014.
En plus d'augmenter la dette, le plan des infrastructures aura un impact sur les dépenses budgétaires. Dans l'Énoncé économique du 14 janvier 2009, il est indiqué que cet impact serait de 576 millions en 2009-2010, augmentant à 1,4 milliard en 2012-2013, montants qui devront être absorbés à l'intérieur des objectifs prévus de croissance des dépenses, ce qui pose un problème supplémentaire de 800 millions.
La sortie de crise
La recherche de solutions à la sortie de crise devrait tenir compte des constatations découlant du bref diagnostic que nous venons de faire, à savoir qu'il y a eu premièrement une sous-croissance évidente des revenus autonomes depuis 2006-2007. Deuxièmement, la réalisation du plan des infrastructures aura des conséquences budgétaires et financières qui dépassent l'impact de la récession. Il faut de plus souligner que la pratique de la réserve budgétaire n'a finalement servi qu'à camoufler une détérioration des finances gouvernementales depuis trois ans tandis que la mise en place du Fonds des générations a donné l'illusion que le problème de la dette à long terme allait être facilement réglé.
Avec les besoins de financement appréhendés, on fait donc face aujourd'hui à une vague d'endettement qui est démesurée quand on compare notre situation à celle des autres administrations publiques au Canada. En laissant les infrastructures se dégrader et en repoussant les investissements pour répondre aux besoins du secteur public, les gouvernements ont contourné l'esprit de la loi sur le déficit zéro qui était de contrôler la croissance de la dette.
Quant au Fonds des générations, il n'aura fallu que trois ans pour montrer qu'il pourrait ne pas tenir la route à long terme: non seulement ses revenus de placement risquent de ne pas être au rendez-vous, mais l'objectif lui-même de diminuer l'importance de la dette va fuir devant nous comme il l'a fait depuis 1999 alors que la dette brute était de 101 milliards et qu'elle vogue maintenant vers les 200 milliards.
En résumé, les mécanismes en place ne seront tout simplement pas suffisants pour répondre à l'ampleur du défi budgétaire auquel le Québec fait face. Maintenant que la loi sur le déficit zéro est suspendue, il faut saisir l'occasion pour faire le bilan de son application et compte tenu de l'évolution critique de la dette du Québec, il faudrait aussi réévaluer les avantages du Fonds des générations par rapport à d'autres options qui pourraient permettre d'avoir un impact direct et plus rapide sur l'endettement du gouvernement. La question qui se pose est la suivante: faut-il remplacer la loi sur le déficit zéro par une loi sur le contrôle de l'endettement? Voilà un beau mandat pour un comité d'étude spécial qui ferait rapport sur ces enjeux avant le prochain discours sur le budget.
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Denis Bédard, Économiste, ex-président de la Commission nationale sur les finances et la fiscalité locales, l'auteur a été secrétaire du Conseil du Trésor

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Économiste, ex-président de la Commission nationale sur les finances et la fiscalité locales, l'auteur a été secrétaire du Conseil du Trésor





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