Mémo au Ministre des Finances: à quel prix l’équilibre ?

Budget Québec 2010


Monsieur le Ministre,
Vous avez commencé à préparer l’opinion à des changements importants que vous comptez introduire dans le budget que vous présenterez d’ici le printemps. Peut-être n’est-ce qu’une opération de communication visant à ameuter le citoyen, qui serait ensuite rassurée de n’assumer qu’une portion de la dose annoncée. Cela s’est vu.
Cependant, vous connaissant un tout petit peu et sachant qu’il s’agit de votre premier budget, notant de plus qu’il s’inscrit davantage vers le début du mandat de votre gouvernement que vers la fin, j’ai tendance à penser que vous souhaitez être audacieux, bousculer les habitudes, sachant que vos budgets suivants devront être davantage électoralistes.
Cela étant dit je voudrais contribuer bien modestement à votre réflexion pendant cette étape où plusieurs options s’offrent à vous. Aujourd’hui, je voudrais camper le contexte et les objectifs. Demain et les jours suivants, je ferai quelques propositions plus précises.
L’objectif : l’équilibre budgétaire ?
Comme vous le savez, l’économie québécoise a traversé la crise avec une remarquable résilience, ses pertes d’emplois l’an dernier étant minimes face à ce qu’ont connu ses voisins et plusieurs pays européens. Je vous le rappelle car dans la formule qui a permis cette résilience, il doit y avoir à l’œuvre des traits de l’organisation économique et sociale actuelle du Québec. Alors que vous envisagez de grands changements, il faut se garder de casser, parce qu’ils sont originaux, les ressorts de notre succès, les sacrifier au nom de l’atteinte d’objectifs financiers de court terme.
Vous êtes à bon droit préoccupé par la précarité des finances publiques du Québec et par l’endettement supplémentaire encouru récemment, endettement qui devrait s’alourdir pendant les prochaines années. Vous n’êtes pas sans savoir que l’endettement des voisins du Québec (Ontario, États-Unis) et de plusieurs pays du G7 est en train d’augmenter à un rythme beaucoup plus rapide que le nôtre et que, comparativement, notre endettement, actuel et à venir, n’est pas déphasé par rapport aux leurs. Cela est, je le reconnais, une mince consolation. Cependant cela aide à mettre les choses en perspective et permet d’épargner aux Québécois de se faire traiter de cancres, alors qu’ils sont désormais au-dessus de la moyenne. (Les tableaux d’endettement publiés dans votre premier fascicule de consultation, s’ils étaient mis à jour pour 2009 et accompagnés de projection sur trois ans, montreraient clairement cette dynamique.)
L’objectif qui semble vous intéresser le plus est le retour à l’équilibre budgétaire pour le Québec. Sur le principe, vous me trouverez fermement dans votre camp, puisque j’ai participé sous Lucien Bouchard à la grande opération de remise à flot des finances de l’État québécois. Cette opération était nécessaire et a beaucoup permis au Québec de prendre, de 1997 à 2007, une longueur d’avance dans la progression, per capita, de son PIB, face à l’Ontario et à la moyenne du G7. Cependant je retiens de cet exercice que la volonté ferme d’atteindre rapidement une réduction du déficit a poussé le gouvernement et ses partenaires syndicaux, dans un mouvement de toute bonne foi, de mal calculer l’impact qu’aurait sur un réseau social — le système de santé — un programme généreux de départ à la retraite. (Qui, au contraire, a fort bien fonctionné en éducation.) Il n’est même pas certain, à l’heure qu’il est, que cette opération ait permis d’économiser quoi que ce soit, compte tenu de l’ampleur imprévu des départs.
Je sais qu’il arrive à des membres de votre gouvernement de soulever ce point en chambre. Je le réitère ici pour vous indiquer que lorsqu’on tient mordicus à réduire les dépenses gouvernementales — ou à augmenter les revenus — il faut se méfier des chocs assénés au filet social. Mal calculés, ils reviennent vous hanter, économiquement et politiquement, pour une bonne décennie.
Mais nous sommes d’accord sur l’objectif: il faut revenir à l’équilibre budgétaire. La question est: quand ? A mon avis, la seule réponse prudente est: on ne le sait pas encore. Prudente, mais non suffisante.
Vous n’êtes pas sans savoir que de nombreux économistes estiment que l’automne 2010 peut nous réserver une mauvaise surprise: une rechute économique aux États-Unis. Le risque (chiffré par certain à 20%, par d’autres à 40%) est suffisant pour que le gouvernement Obama vienne d’injecter 150 milliards de dollars US supplémentaires dans la création d’emploi pour tenter d’éviter, ou d’amortir, cette rechute.
En 2009, notre résilience a été soutenue par les programmes d’infrastructure du gouvernement québécois et un certain nombre d’autres mesures de soutien gouvernemental. Leur retrait trop brusque de l’économie québécoise, au moment d’un nouvel affaiblissement chez notre principal client, serait mal avisée.
Pour étayer mes propos de simple généraliste, je m’appuie sur deux sources. D’abord sur le secrétaire-général du Fonds Monétaire International, Dominique Strauss-Khan, qui avertissait en novembre les gouvernements empressés de serrer leurs vis et leurs budgets: “il est trop tôt pour une sortie généralisée” des politiques de relance économique, a-t-il déclaré.
Vous me direz: c’est un socialiste. Ma seconde source passera peut-être mieux la rampe. Martin Wolf est commentateur économique en chef au Financial Times de Londres. Voici ce qu’il écrivait, en novembre:
Même si la corde fiscale [déficits et endettement] n’est pas infiniment longue, une réduction immédiate des déficits serait malvenue. Il est extrêmement probable que cela ferait retomber les économies dans la récession, comme cela est arrivé au Japon pendant les années 1990. [...]
Ce qu’il faut, à la place, sont des institutions fiscales crédibles et un plan de redressement qui sera mis en œuvre, automatiquement, lorsque (mais seulement lorsque) les dépenses du secteur privé seront de retour.

Bref, un plan de retour à l’équilibre budgétaire, oui. Son application rapide, brusque et aveugle, non. A la place, un plan dont la mise en œuvre soit automatiquement liée à des indicateurs précis de reprise économique du secteur privé.
Car, en fait, l’objectif de l’équilibre budgétaire n’est pas l’objectif réel. Cet équilibre est un moyen pour assurer aux Québécois une bonne qualité de vie. Donc, il ne faut pas, au nom du moyen, réduire cette qualité dans l’immédiat avec des conséquences (voir plus haut) néfastes à long terme. De même il ne faut pas, au nom de cette qualité, reporter indéfiniment l’application du moyen.
L’introduction d’un mécanisme certain de retour à l’équilibre, mais applicable lorsque les conditions seront, disons, gagnantes, me semblent, à moi et à mon copain du Financial Times, une meilleure politique.
Mais je vous ai assez dérangé pour aujourd’hui. Je ne voulais que mettre la table.
Demain, je vous parlerai de mesures plus concrètes au sujet de la taxation.
Bien cordialement, monsieur le Ministre,
Un citoyen intéressé

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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