La nouvelle lutte des races

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Morales a perdu en jouant la carte raciale


 

 



De nos jours, ce sont les antiracistes qui recréent des tensions raciales.




Je suis loin d’être le seul à avoir observé qu’un certain mouvement antiraciste contribuait paradoxalement à remettre de la race partout où il n’en y avait plus. Au nom du progrès social, la race est redevenue une notion pivot autour de laquelle tout semble graviter dans un interminable tourbillon d’irréalité. Avec ses nouvelles obsessions, la gauche régressive fournit même des munitions aux groupuscules d’extrême droite – bien présents aux États-Unis – qui devaient attendre le retour de la question raciale avec impatience. Pour ces groupes dont il ne faut pas nier l’existence ni surestimer l’importance, la remontée du racialisme via la gauche apparaît comme une tendre ironie de l’histoire.  


L’effet boomerang de l’antiracisme


Comme leurs supposés adversaires, des antiracistes croient donc à une lutte des races opposant les «Blancs» aux gens de toutes autres origines. Malgré l’accroissement des inégalités économiques un peu partout dans le monde, la lutte des classes aurait fait place à une nouvelle lutte manichéenne entre les colorées forces du Bien et les pâles forces du Mal. Dans certains pays, les niveaux de richesses vont encore de pair avec la couleur de la peau, ce qui nous forcerait à voir dans cette rivalité la marche vers une société meilleure.



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Cette vision racialiste est loin de rester confinée à quelques départements universitaires entichés de théories abstraites. Bien au contraire, cette vision du monde a de plus en plus d’effets concrets. Dans l’édition d’El País du 17 novembre dernier, on apprenait que le récent changement de régime en Bolivie s’enracinait aussi dans un fort rejet de la culpabilisation antiraciste. La révolte populaire contre Morales et son parti de gauche n’est donc pas seulement due à la fatigue économique du régime, à sa corruption ni à l’emprise du mouvement évangélique. Interviewé par ce journal, le sociologue Rafael Loayza expliquait que l’antiracisme avait eu un «effet boomerang» dans ce pays indo-latin.


La gauche bolivienne s’est tirée une balle dans le pied 


Morales a accusé des classes sans histoire de racisme envers les Amérindiens, des accusations dans lesquelles elles ne se sont pas du tout reconnues. Ces classes pointées du doigt ne s’identifiaient à aucun groupe ethnique particulier avant l’arrivée de Morales au pouvoir en 2006. Loayza évoque l’influence des «ningunos» dans la transition abrupte, autrement dit des «n’importe qui» à l’appartenance floue. «Les ningunos n’avaient aucune identité ethnique claire. Ils ont commencé à l’acquérir à partir du discours de Morales, qui non seulement ne les incluait pas, mais les accusait d’être racistes, d’avoir exploité les Amérindiens pendant 500 ans et d’avoir volé l’argent du pays», observe-t-il.



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Ces genres de cas sont appelés à se multiplier dans les prochaines années si le mouvement antiraciste mondial persiste à véhiculer une telle vision ségrégative. Certaines personnalités influentes réalisent-elles qu’elles sont en train de réanimer des tensions raciales dans des pays où la conscience de race était de moins en moins forte chez plusieurs couches de la population, parfois même métissées? Comment ne pays y voir un paradoxe extraordinairement ridicule, mais aussi très dangereux, surtout en Amérique, un continent bâti par de multiples groupes ethnoculturels?


 

Tous prisonniers du système


L’antiracisme à la mode conçoit la société comme un vaste système duquel personne ne peut s’échapper. La liberté des hommes est niée. La société ne serait plus le fruit d’une association entre individus libres et éclairés, mais une gigantesque machine menant à un affrontement inéluctable. «Le racisme est inscrit dans le système», écrivait Jean-Paul Sartre en 1957 dans la préface du Portrait du colonisé d’Albert Memmi. «La pratique colonialiste a gravé l’idée coloniale dans les choses mêmes; c’est le mouvement des choses qui désigne à la fois le colon et le colonisé», ajoutait-il.



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La notion de privilège est au cœur de cet ancien système que les antiracistes travaillent plus à reconstruire qu’à déconstruire. Par la naissance, les «Blancs» seraient naturellement privilégiés et tous les autres désavantagés, que les premiers adhèrent à cette idée ou la rejettent. Plus personne ne décide de rien.


Dans le modèle marxiste, une société devait absolument passer par le stade de l’industrialisation avant de parvenir au grand paradis fraternel délivré des forces de production. Pour en finir avec le racisme, d’aucuns proposent maintenant de revenir au stade de la conscience de race, devenue le nouvel intermède de la téléologie multiculturaliste. Une incroyable régression qui obéit bien davantage au ressentiment de ses thuriféraires qu’à un vrai projet d’égalité.