La privatisation tranquille

CAQ - Legault - Sirois - 2012



En formant la Coalition pour l'avenir du Québec, François Legault s'était bien promis d'éviter les confrontations avec Ottawa pour mieux se concentrer sur les «vrais problèmes», comme la réforme du système de santé.
Comme il était prévisible, la réalité du fédéralisme n'a pas mis de temps à le rattraper. Pour compenser le plafonnement de la contribution fédérale au financement des services de santé à compter de 2017, le chef de la CAQ réclame maintenant le transfert de nouveaux points d'impôt.
Les changements qu'un gouvernement caquiste apporterait au système de santé doivent en principe s'autofinancer. Cela n'est cependant possible que dans la mesure où Ottawa continue à apporter sa contribution.
La décision arbitraire du gouvernement Harper ramène M. Legault à la période difficile où il était lui-même ministre de la Santé. En raison du déséquilibre fiscal, le Québec n'était plus en mesure de maintenir le système de santé à niveau, disait-il. Plus ça change...
À l'époque, il portait un jugement moins sévère qu'aujourd'hui sur la gouvernance du réseau. Il s'était même désolé des résultats d'un sondage selon lequel 70 % des Québécois croyaient à un problème de gestion plutôt que de sous-financement. Il fallait changer cette perception, disait-il.
Dans son esprit, la solution résidait dans une augmentation d'impôt, qui pourrait prendre la forme d'une nouvelle caisse santé. À la veille d'élections générales, le premier ministre Landry avait cependant écarté un projet jugé politiquement suicidaire.
Le seul transfert de points d'impôt consenti au Québec remonte aux années 1960. Le chef de la CAQ peut toujours rêver, mais si M. Harper refuse de maintenir le rythme d'augmentation actuel de la contribution fédérale, pourquoi accepterait-il d'évacuer une partie du champ fiscal occupé par Ottawa pour permettre aux provinces d'augmenter leurs propres impôts? Cela irait à l'encontre de la philosophie conservatrice qui consiste à diminuer le poids de l'État au profit des contribuables et des entreprises.
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M. Legault a posé une très bonne question: «Qu'est-ce que souhaite M. Harper? Est-ce qu'il souhaite privatiser une bonne partie des programmes de santé? Est-ce qu'il souhaite qu'on coupe dans certaines couvertures en santé?»
À l'époque où il dirigeait la National Citizen's Coalition, M. Harper plaidait en faveur d'une plus grande place du secteur privé en santé et de l'abandon de la sacro-sainte Loi canadienne sur la santé.
Depuis qu'il est premier ministre, M. Harper s'est officiellement rallié aux cinq principes sur lesquels s'appuie la loi, mais plusieurs doutent de la sincérité de cette conversion. S'il y a une chose qu'il a démontrée depuis son entrée en politique, c'est qu'il ne change pas facilement d'idée. Peu importe le temps qu'il faudra, il poursuit inlassablement son dessein.
Michael Ignatieff disait que le medicare était «l'épine dorsale de la citoyenneté canadienne». Les sondages démontrent en effet que la population y demeure très attachée, plus encore au Canada anglais qu'au Québec. M. Harper voit plutôt les piliers de l'identité canadienne dans les symboles de la monarchie et les forces armées.
M. Harper n'osera pas sans doute s'attaquer ouvertement au medicare, mais il serait tout à fait dans sa manière d'en saper patiemment les fondements, jusqu'au jour où le système deviendra intenable. Une sorte de privatisation tranquille qui s'imposera d'elle-même.
À l'issue de la dernière réunion du Conseil de la fédération, le premier ministre Charest disait ne pas s'expliquer comment Ottawa avait pu décider de plafonner les transferts fédéraux en santé sans égard aux impacts que cela aura inévitablement sur les budgets des provinces et la qualité des services offerts à la population, mais M. Harper n'agirait pas autrement s'il voulait forcer les provinces à se tourner vers le privé et à réclamer des assouplissements à la Loi canadienne sur la santé, voire son abolition pure et simple.
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Personnellement, M. Legault n'a jamais été favorable à la pratique médicale mixte, assimilée à une «médecine à deux vitesses», même si les négociations qui ont mené à la fusion avec l'ADQ l'ont amené à promettre un projet pilote dont on ignore encore tout.
Pour les anciens adéquistes qui se sont joints à la CAQ, la mixité de la médecine n'en demeure pas moins un objectif fondamental. En réclamant plutôt de nouveaux points d'impôt, M. Legault semble clairement exclure cette option.
On ne connaîtra pas les propositions de la CAQ en matière de relations fédérales-provinciales avant le congrès de fondation qui se tiendra le moins prochain. Il n'avait cependant jamais été question de points d'impôt.
Ceux qui espéraient oublier pour un temps les chicanes avec Ottawa risquent de déchanter. À défaut de mettre à jour le budget de l'an 1 d'un Québec souverain qu'il avait lui-même concocté dans une vie antérieure, M. Legault aurait-il l'intention d'actualiser le rapport Séguin?


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