Le prétexte de la charge de Lucien Bouchard contre les travailleurs québécois est le faible taux de productivité du Québec face à l'Ontario et aux États-Unis. En laissant entendre que les employés et les autonomes sont les seuls responsables de cette situation, il avance sa solution : travailler plus d'heures par semaine.
Est-ce avec ou sans augmentation de salaire, il ne le dit pas. Avec plus de travail et sous-entendu plus de cœur au ventre, il y aurait plus de biens et de services produits dans la Belle province, donc hausse de la richesse collective. Le remède est tellement simple qu'il doit y avoir anguille sous roche.
Et si cette belle logique cachait un but beaucoup moins avouable dans le genre des attentes patronales depuis l'élection de Jean Charest. Alors le raisonnement gardé par devers serait le suivant : si chaque personne faisant partie de la main-d'œuvre active travaille plus, elle sera plus riche, donc elle paiera plus d'impôt et le gouvernement aura plus d'argent pour baisser la dette et ainsi dégager les fonds nécessaires pour réaliser sa promesse de réduction des impôts.
Et à qui profiterait cette réduction d'impôt ? Dans notre système fiscal progressif, l'avantage est aux plus riches. Et voilà la couleuvre que l'ex-premier ministre pourrait vouloir nous faire avaler au profit de la classe des entrepreneurs et des possédants en invoquant les lois de la concurrence et en tablant sur notre vieux complexe d'infériorité.
Le problème du Québec est beaucoup plus complexe que la réduction qu'en font Bouchard et compagnie. Pour ne parler que de productivité au sens économique, il faut établir d'abord qu'il s'agit surtout d'une responsabilité patronale. En effet, la principale cause de l'augmentation de la productivité se trouve dans les processus de travail et dans l'assistance de l'homme par la machine, ce qui est du domaine des patrons en tant que détenteurs du pouvoir d'organiser le travail. Un bûcheron qui n'a que sa hache ne peut voir croître sa productivité suffisamment pour être notable. Elle reste au minimum, qu'importe le nombre d'heures de travail.
Il en va ainsi pour les paysans africains qui s'échinent sur leur lopin de roches 16 heures par jour. Des pays comme le Japon et l'Allemagne ont amplement prouvé que la productivité est le fruit de l'innovation et de la bonne gestion des entreprises.
De plus, en Allemagne les heures travaillées sont plus réduites qu'au Québec en raison des vacances plus longues alors que les programmes sociaux sont aussi développés qu'ici. Pourtant l'euro, qui repose en grande partie sur la production allemande, se porte admirablement bien. Un ancien ambassadeur en France devrait savoir cela.
Quoiqu'il arrive, les entrepreneurs se soucient bien peu de la productivité concurrentielle. Malgré notre faible productivité les dirigeants des grandes d'entreprises ne se font pas grands scrupules pour se payer des salaires qui augmentent selon une échelle logarithmique depuis quelques années. Ils n'ont pas attendu une hausse des heures travaillées dans leur entreprise pour se payer des primes de productivité faramineuse et pour exercer leurs options hors de proportion avec leurs propres heures de travail. En agissant ainsi ils diminuent la capacité de renouvellement de leurs moyens de production et contribuent à la stagnation de la productivité.
Autre faiblesse de l'argumentation de notre lucide orateur, ses conclusions reposent sur des statistiques qui elles-mêmes reposent sur des données administratives qui viennent de déclarations des individus et des entreprises. Le tout est brassé par des formules mathématiques qui n'ont que la solidité des informations de base. Déjà des économistes parlent de biais dans les résultats de cette opération en vertu du grand nombre de travailleurs à temps partiel au Québec, pratique largement répandue chez-nous pour plusieurs raisons autant économiques que sociales. Il y a aussi le travail au noir qui peut mêler les cartes, car il ne peut être pris en compte à cause justement de sa dissimulation volontaire.
Or, M. Bouchard savait, quand il était premier ministre, que ce phénomène représentait 15 à 20 % de la production nationale du Québec. Un simple 5% de plus que l'Ontario en ce domaine et nous rejoignons cette province en heures travaillées par personne. Et voilà notre réputation réhabilitée, notre ardeur au travail devient égale aux autres Canadiens. Les syndicats qui ont négocié avec Lucien Bouchard connaissent depuis longtemps son habilité à manier les chiffres pour appuyer ses arguments.
Une chose est claire, comme l'a dit Jacques Parizeau, Lucien Bouchard est déçu de ce Québec qu'il voulait autrefois mener à l'indépendance parce qu'il le jugeait digne de la reconnaissance internationale. C'était l'époque où il avait encore des chances d'être le premier président de la République du Québec. Il a changé complètement d'orientation, mais la chose n'est pas si surprenante. Une nouvelle fois, l'avocat change de cause parce qu'il change de client. Et de clients, il n'en a pas manqué.
D'abord, il a rendu des services au Parti libéral du Québec comme jeune avocat à la recherche de notoriété. En récompense, Robert Bourassa lui a confié la tâche de procureur à la Commission Cliche. Puis, dans le temps de le dire, soit celui de la défaite des Libéraux en 1976, il a offert ses services au Parti québécois qui lui a confié la représentation patronale dans les négociations avec les syndicats de la fonction publique. Cela a duré jusqu'à l'invitation de Brian Mulroney qui lui offrait le poste d'ambassadeur du Canada en France pour rétablir les ponts entre la France et le gouvernement fédéral.. Comment résister à un si bel avancement. Il n'y sera que trois ans parce que le gouvernement conservateur avait besoin de ses talents dans le cabinet ministériel. Il devient ministre avant d'être élu député. Quand il voit que l'étoile des Conservateurs pâlit, il devient député indépendant et crée le Bloc québécois dont il devient le leader pour ensuite s'imposer comme adjoint à Parizeau dans la campagne référendaire de l995. C'est ainsi qu'il est le premier à profiter de la démission du chef péquiste au lendemain de la défaite du Oui. Il accepte sans sourciller le leadership des souverainistes pour compléter l'oeuvre des Lévesque et des Parizeau. Enfin, devant la difficulté de la tâche, il démissionne pour rejoindre le lobby d'affaires de Montréal où l'accueillent les Desmarais, les Beaudoin, les Coutu, les Lamarre, les Péladeau et Cie. Toujours au service du plus offrant.
Ce cheminement prouve amplement que Lucien Bouchard ne manque pas de talents. Il a une belle intelligence, beaucoup de souplesse intellectuelle, le sens de la répartie, la parole facile et de l'ambition à revendre. Toutes qualités d'un bon avocat qui se donne à la cause de ses mandants. L'ennui vient de ce qu'il change souvent de mandant.
Ah! pour dire ce qu'il pense, il n'a pas son pareil. même s'il sait qu'il risque de faire erreur, car notre homme est un peu soupe au lait. Yves Michaud en sait quelque chose. Mais, toujours l'avocat garde sa belle assurance et son visage de plâtre. Il est tantôt procureur syndical, tantôt procureur patronal, avec la même conviction de participer au salut de la classe ouvrière. Il est tantôt fédéraliste, tantôt souverainiste, avec la certitude d'offrir aux Québécois et aux Canadiens un meilleur destin politique. Il est tantôt de gauche, tantôt de droite avec la confiance de détenir la clé du progrès économique et social.
En résumé, il est de toutes les idéologies, de tous les systèmes. Et cela avec la même foi en ses dogmes que l'apôtre le plus zélé d'une foi unique. Toujours son discours donne l'impression d'une profonde réflexion; pas un soupçon de doute, pas une concession à la thèse contraire. Il est la vérité toute entière.
Le problème c'est que sa vérité change avec ceux qui l'entourent ou avec ses mandats.
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