Appeler les choses par leurs noms a une influence sur le fond des choses. Les bonnes définitions permettent d'avoir des idées claires et de bon raisonnements. C'est pourquoi, durant ma vie politique, tout en me consacrant corps et âme au fond des choses, j'ai mené un véritable combat pour qu'on les appelle par leurs noms. Un chat est un chat et un cheval n'est pas un lapin. Une nation n'est pas une société distincte, ou une simple province.
J'ai tellement insisté pour que l'on emploie les mots "nations" et "national" quand il le fallait, qu'une journaliste a même tenté de me ridiculiser pour cette raison. J'ai pris cela pour un compliment! Déjà, quand j'étais président des étudiants de l'Université de Montréal, dans les années soixante, le mot d'ordre de mon équipe était "Au service de la nation" et déjà, nous percevions le mot "province" comme réducteur.
Le Québec forme une nation depuis plusieurs siècles. C'était déjà vrai du temps du Régime français. Nous n'étions plus des Francais et l'on désignait ceux qui allaient beaucoup plus tard devenir des Québécois comme des "Canadiens". La conquête britannique de 1760 n'a fait que consolider notre réalité et notre solidarité nationale. Notre groupe humain, avec sa langue, sa culture, ses bonheurs et ses malheurs communs, ses rêves et ses projets, correspond parfaitement à la définition de "nation" comme c'est le cas pour la France, l'Angleterre, l'Irlande, l'Écosse ou la Suède. Les États-Unis sont d'ailleurs devenus une nation vers la même époque que nous, mais ils ont eu la sagesse de faire rapidement leur indépendance de l'Angleterre dès 1776. Et nos patriotes ont voulu réaliser le même idéal en 1837.
Honoré Mercier, à la fin du dix-neuvième siècle, en était déjà parfaitement conscient lorsqu'il a fondé le "Parti National" qui allait devenir plus tard le parti Libéral du Québec. Un autre parti fut fondé par la suite, "l'Action Libérale Nationale", qui allait se fusionner plus tard avec les conservateurs du Québec pour former l'Union Nationale. On voit que ce n'est pas d'hier que nous avons commencé à appeler les choses par leurs noms. Malgré cela, le damné mot réducteur "provincial" nous est encore servi à coeur de jour, pour parler de la réalité québécoise, par la respectable société Radio-Canada et bien d'autres médias. Les nouvelles sont qualifiées de "nationales" pour le Canada alors qu'elles sont, à proprement parler, "canadiennes" ou même "fédérales": ce sont celles du Québec, qui sont nationales.
J'ai même entendu récemment notre Premier ministre Jean Charest dire qu'il se trouvait dans la "région de la capitale nationale" alors qu'il était en Outaouais pour annoncer un projet de travaux routiers. L'exemple vient de haut et il est très irritant de voir le chef de notre gouvernement ignorer le fait qu'il n'y a au Québec qu'une seule et unique capitale nationale. Ottawa est la capitale fédérale.
D'ailleurs le mot "province" vient du latin "pro victis" qui veut dire "pour les vaincus". Les Américains n'ont jamais affublé leurs états de ce qualificatif même si aucun d'entre eux ne forme une nation. Heureusement, notre vocabulaire évolue pour s'ajuster à la réalité. La ville de Québec est maintenant désignée comme notre capitale nationale, elle n'abrite plus le "Parlement provincial" mais notre Assemblées nationale. L'ancien musée provincial s'appelle maintenant le "Musée national des beaux-arts". Il n'y a plus sous notre juridiction de parcs provinciaux, ils sont tous "nationaux". Il y a également à Nicolet, dans un formidable édifice patrimonial restauré, notre "École nationale de police".
Avec tout le respect dû au rythme d'évolution de chacun depuis une loi de 1977 présentée par René Lévesque lui-même, le 24 juin n'est plus la respectable et traditionnelle Saint-Jean, une belle fête catholique, mais officiellement la "Fête nationale du Québec". Il est à noter en passant que les Acadiens qui célébraient autrefois l'Assomption, le quinze août de chaque année, ne parlent plus maintenant et uniquement, d'une manière exemplaire, que de leur "Fête nationale".
C'est donc un devoir linguistique, civique et de raison que d'utiliser les mots qui conviennent pour parler des réalités du Québec. Le monde entier sait que le Québec est une nation. Il n'y a pratiquement qu'au Canada que ce fait pourtant si clair, n'est reconnu que par une minorité de la population en dehors du Québec, et ce même si Stephen Harper et le Parlement du Canada ont eu la lucidité de le faire. C'est à nous d'aider les Canadiens à bien comprendre notre réalité en employant nous-mêmes et exclusivement les mots qui conviennent à ce que nous sommes.
L'Ontario, la Colombie-Britannique et les autres provinces, dont aucune ne constitue une nation, trouvent tout à fait normal d'utiliser une expression qui semble leur convenir. Cela les regarde. Quant à nous, parlons net, et disons adieu au mot "province" et à tous ses dérivés quand il s'agit de la nation québécoise.
Bernard Landry
L'opinion de Bernard Landry #30
La puissance des mots
L'opinion de Bernard Landry
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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