J’écoutais récemment ma collègue Lise Payette raconter à la radio combien elle aimait Barack Obama. C’était un plaisir de l’entendre exprimer l’admiration qu’elle éprouvait devant ce tribun qui s’adresse à ce qu’il y a de plus élevé chez les Américains.
Au bout de quelques instants, j’ai compris que ce qui l’enthousiasmait, c’était cette impression de sentir en lui le peuple en marche. Et Barack Obama ne s’est jamais privé de professer cet idéal républicain qui veut que le peuple américain soit le moteur des grands changements politiques de son histoire.
La souveraineté du peuple et l’idée républicaine font partie du vocabulaire politique quotidien aux États-Unis. En France aussi, où le peuple est régulièrement appelé à se prononcer par référendum sur les grandes questions, l’idée républicaine est fondatrice, notamment à l’école. Le correspondant que je suis est d’ailleurs régulièrement confronté à la difficulté d’expliquer cette vieille république à un pays, le Québec, qui semble être passé à côté de l’idée républicaine.
Chez nous, il est rare d’entendre dire que le peuple est souverain. Quant à la République, c’est au mieux un livre de Platon. À l’exception de moments exceptionnels, comme les référendums de 1980 et 1995, la souveraineté du peuple a rarement été invoquée. Et pour cause, juridiquement, au Canada, la souveraineté n’appartient pas au peuple, mais à un monarque ou à ses représentants qui en délèguent le pouvoir au Parlement.
C’est parce que la république est la grande oubliée de notre histoire politique que la Constitution de 1982, fruit de tractations entre les élites canadiennes, n’a jamais été adoptée par référendum. Une chose difficilement imaginable dans une grande démocratie.
De peur que la souveraineté populaire ne triomphe un jour, le Parlement d’Ottawa s’est d’ailleurs empressé d’adopter une loi dite « sur la clarté » garantissant que le peuple n’aura jamais le dernier mot.
Alors que l’idée républicaine inspire depuis deux siècles les plus grands pays d’Europe et d’Amérique, elle semble toujours suspecte chez nous. Telle est la thèse que défend dans un livre passionnant le professeur de sciences politiques Marc Chevrier.
La République québécoise. Hommages à une idée suspecte (Boréal) est une démonstration magistrale de la façon dont les principes républicains qui ont façonné la France, les États-Unis et la majorité des démocraties modernes n’ont jamais réussi à s’installer durablement chez nous.
Marc Chevrier ne fait pas que constater cette absence. Il tire de l’ombre les rares moments républicains de notre histoire sur lesquels pourrait s’appuyer un renouvellement de cette idée. Cela va de la Nouvelle-France à Daniel Johnson en passant par Louis-Joseph Papineau, les Patriotes, Pierre du Calvet, Charles Taché, Paul Gérin-Lajoie et Jacques-Yvan Morin.
Plus fondamentalement, Chevrier montre comment l’absence de cette idée dans nos débats quotidiens comme d’ailleurs dans le projet souverainiste a des conséquences graves. Il se manifeste notamment par « la fuite du politique » (dans la religion, le moralisme, les idéologies à la mode ou le cynisme généralisé) qui est, dit-il, une constante de l’histoire d’un pays qui n’a jamais choisi sa constitution mais à qui elle fut toujours imposée d’en haut.
Les esprits superficiels croiront que l’idée républicaine est un détail. À quoi bon remplacer la reine par un président élu ? Chevrier montre au contraire que la conception républicaine de l’État a des conséquences dans tous les aspects de notre vie politique.
Au Québec, le débat sur les accommodements raisonnables a vu triompher une vision antirépublicaine et communautariste de l’intégration des immigrants. Au lieu d’être invités à adhérer individuellement aux principes fondamentaux d’une constitution québécoise, par exemple, les immigrants sont plutôt incités à se percevoir comme des « communautés » et à négocier des « accommodements » avec la majorité. L’État censé s’élever au-dessus des intérêts particuliers se transforme ainsi en maquignon des droits et devoirs.
Il est aussi surprenant de constater comment la haine de la France et de son école laïque longtemps cultivée par les ultramontains est toujours aussi vive chez les libéraux multiculturalistes d’aujourd’hui. Le rapport Bouchard-Taylor, dans lequel le modèle d’intégration français a été démonisé, en offre un exemple éloquent.
Dans nos débats sur l’école et l’université, l’idée républicaine est aussi dangereusement absente. Elle nous permettrait pourtant de penser une éducation qui soit autre chose qu’une banale réponse aux besoins immédiats du marché ou des élèves. Une école qui aurait d’abord pour but de former des citoyens responsables et cultivés.
Au fond, l’idée républicaine est simple. On pourrait la résumer en disant qu’avant d’être un francophone, une femme, un immigrant, un consommateur, un étudiant ou un chrétien, on est d’abord un citoyen. L’État républicain est donc le fiduciaire de ces citoyens et non la simple addition des lobbies économiques et communautaires.
« Nous sommes plus importants que la somme de nos ambitions individuelles », disait justement Barack Obama jeudi. C’est une vieille idée, mais qui, depuis Aristote, garde tout son pouvoir de subversion.
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