La romance de la loi 101

L’héritage mal compris des Pères de la Québécitude

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Tribune libre

En tant que fondement de la Québécitude, il est assez logique, et révélateur, que la loi 101 soit au cœur des débats dès que l’enjeu identitaire refait surface. Révélateur, parce qu’à force de répétitions, le mécanisme devient repérable. Il peut donc être décortiqué, et à partir des effets qu’il produit, on peut remonter à la source, à la faille originelle dont il découle.


À l’heure actuelle, alors que plusieurs études démontrent que le déclin démographique des francophones au Québec a pratiquement franchi le seuil de non-retour, nos politiciens ne trouvent rien de mieux à faire que de nous repasser encore le même plat moult fois réchauffé. Cette charte de la langue française que nous brandissons comme un talisman depuis sa promulgation, n’a pourtant jamais été rien d’autre que le socle de notre anglicisation à plus ou moins long terme. Puisque le français langue commune n’y est reconnu que dans la mesure où il n’empiète pas sur l’expression des autres cultures qui participent, au même titre que lui, à la richesse de la société québécoise. C’est surtout en cela que cette loi est déterminante; elle inscrit dans le marbre de la législation statutaire, la définition multiculturelle du peuple québécois.


Un point c’est tout. Et vraiment, on se demande pourquoi, en contexte nord-américain, cette entité (le peuple québécois pluraliste), qui n’a pas d’autre raison d’être que sa vocation à la laïcité, ne céderait pas à la force d’attraction exercée par le dynamisme de l’anglosphère…


Ici, je précise, parce que j’ai peur d’être mal comprise: je ne fais pas la promotion de l’assimilation, je dénonce la faiblesse de raisonnement qui caractérise le discours de nos professionnels de la chose nationale. Le fait est qu’ils semblent incapables de penser les défis reliés à l’identité et à la langue tels qu’ils se présentent aujourd’hui, alors que la composition de la population se modifie à une telle vitesse, que, bientôt, l’offre politique n’aura pas d’autre choix que de s’y adapter.


Je crois qu’ils n’ont tout simplement pas le niveau intellectuel, ils ne disposent pas de l’agilité mentale nécessaire pour manier l’univers conceptuel et symbolique auquel il leur faudrait se référer pour que leur discours ait un sens. Ça fait 50 ans que l’État québécois refuse sciemment d’investir, et donc, de miser sur l’éducation, la culture et le patrimoine. Ses décideurs ne peuvent tellement pas supporter l’idée de conjuguer la conservation de notre patrimoine bâti avec celle de notre patrimoine documentaire, afin de les célébrer tous deux, qu’ils préfèrent laisser la bibliothèque Saint-Sulpice à l’abandon plutôt que de la restaurer dans ce but, plutôt que d’en faire une vénérable institution… C’est quand-même tout dire! Et personne ne comprend qu’il y a un rapport, qu’une politique ne peut pas en même temps désavouer l’héritage civilisationnel d’une nation, et prétendre que la langue qui en procède doit être préservée à tout prix!


Ça s’appelle un message contradictoire. Mais l’histoire du nationalisme québécois, qui s’est constitué autour de la défense de la langue française, ce n’est que cela: une longue pratique du message contradictoire. Dès le début, il en a été ainsi; quand René Lévesque a séduit le cœur de ses électeurs en disant qu’il était tanné que ce maudit problème revienne toujours sur le tapis, qu’il fallait régler ça, que ça devrait être normal de parler français au Québec… Comme si, perdu comme nous le sommes, dans un océan anglo-saxon, il était réaliste de penser qu’un jour la survie de notre spécificité française pourrait être tenue pour acquise. Comme si notre situation n’était pas comparable à celle d’un état de siège, et qu’un esprit de vigilance redoublé ne s’imposait pas quant à tout ce qui constitue le symbole de notre dimension anthropologique distincte. Bien-sûr, l’arsenal législatif a son rôle à jouer, mais seulement s dans la mesure où tous nos marqueurs identitaires sont inclus dans une même dynamique d’ensemble et font l’objet d’une mise en valeur généreuse, d’un soutien énergique et assumé!


Or, de cette stratégie, il n’a jamais été question. De vénérable institution, il a été décrété que nous n’en aurions point. Seuls les Anglos en ont, et même, ils récupèrent les nôtres puisque nous n’en voulons pas. C’est drôle puisque justement, ce sont les seules (les institutions de la communauté d’expression anglaise) dont la loi 101 reconnait explicitement l’existence.


C’est pourquoi, aujourd’hui, il est si important de comprendre ce qui s’est passé quand la cause nationale canadienne-française est tombée entre les mains d’un René Lévesque. Difficile de décider si ce dernier savait où il s’en allait, mais on peut affirmer sans trop se tromper, qu’il n’entendait pas bouter les Anglais hors du Québec. Il est même probable que, à l’instar de beaucoup de ses semblables appartenant à la classe dirigeante, il considérait notre capacité de vivre en bonne intelligence avec nos alter egos anglophones comme quelque chose de positif et de fondateur; un legs de l’histoire dont nous devrions être fiers, et qui devait même constituer une facette de notre identité. Le problème, pour lui, c’était de trouver le bon procédé susceptible de faire passer cette conviction, de la concilier avec sa position de chef du mouvement indépendantiste. Son coup de maître, ce fut d’associer à cette cause le projet d’inventer une appartenance collective à l’intérieur de laquelle la présence de l’Anglais  (et sa culture) soit pleinement légitime.


Ce sera la création de l’identité québécoise, qui n’aura pour toute définition que d’être le produit de l’État québécois. Instance, n’est-ce pas, complètement différente du Canada, puisqu’une place d’honneur y sera faite au français. Un français dont l’usage sera de plus en plus circonscrit, et de plus en plus conçu en dehors de toute relation avec un bagage culturel déterminé. Quand il n’y a plus d’enjeu identitaire rattaché à la langue parlée par un peuple, quand les revendications la concernant ne relèvent plus que d’une technicalité administrative ou légale, il est bien évident que celles-ci ne portent plus à conséquence, qu’elles entrent dans la catégorie des particularismes folkloriques qu’une grande puissance peut juger avantageux d’entretenir.


C’est le chemin que nous avons pris, n’en déplaisent aux souverainistes péquistes, si prompts à se dresser sur les ergots du déni; dès la prise de pouvoir de Lévesque, dès l’élaboration de la loi 101, c’est le chemin (celui de l’assimilation et de l’acculturation) que nous avons pris.


Maintenant nous avons des ministres incultes qui ne savent plus quoi dire quand vient le temps des élections, et qu’ils se sentent tenus de donner l’impression à leur peuple qu’il existe à leurs yeux. Heureusement qu’ils ont la romance de la loi 101 pour mettre un peu d’ambiance, pour faire un peu de bruit. Faux débats et ergotages à gogo, quoi de mieux pour couvrir le silence d’une conscience collective en désintégration?


C’est fou le pouvoir des mots… J’allais dire que Simon Jolin-Barrette n’avais eu qu’à reprendre le collier. Et c’est exactement cela! Quel collier? Celui du conditionnement colonial, bien-sûr! Conditionnement d’autant plus intériorisé que la Québécitude s’est fait un art de le reconduire tout en l’occultant (même si pourtant, on le trouve presque explicitement formulé dans le préambule de la loi 101). Cette consigne, cette ligne de conduite que nous observons à la lettre, la voici : ne pas contester l’emprise qu’exerce l’Anglais sur sa propre réalité (sa culture, ses institutions, ses lois), ne pas contester qu’il garde la main haute au niveau des instances décisionnelles et des projets structurants qui concernent l’ensemble de la société (ex.: le REM). Comme ça nous sommes certains qu’il y a quelqu’un de sérieux aux affaires. Nous sommes beaucoup trop malins pour lui disputer un terrain sur lequel il règne en maître. Tant que nous pourrons nous prévaloir d’un dispositif médiatique qui nous offrira l’illusion d’un semblant de volonté d’exister, nous serons satisfaits.


Le plus beau dans tout ça, c’est que le chantre de la Québécitude, notre barde national, j’ai nommé Mathieu Bock-Côté, a tout compris sans s’en rendre compte. Il suffit de remplacer certains mots de cet extrait de sa prose, comme lorsqu’il s’agit d’un message crypté, et le propos devient limpide:


Il m’arrive aussi de craindre que le nationalisme [québécois] caquiste soit un nationalisme nous permettant de nous masquer à nous-mêmes notre passage d’un [État français héritier de l’Occident chrétien] d’un Québec national, français et laïc, ancré dans la longue histoire du peuple [canadien-français] québécois, à un Québec canadianisé, bilingue et multiculturaliste, qui parachèvera ainsi son intégration à une fédération qui aura maté sa dissidence historique, mais auquel il se sera assimilé dans la dignité.



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