La stratégie de la tension
Vous avez remarquez ? Lorsque la peste brune s’est abattue sur la Norvège, avec les deux massacres à Oslo et sur l’île d’Utoya, les dirigeants de nombreux pays occidentaux de même que les médias en général ont aussitôt parlé d’un attentat «probablement» perpétré par une cellule islamiste internationale reliée à Al Qaeda. L’explication avancée: la Norvège participait à la guerre en l’Afghanistan. Obama et Cameron, le premier ministre britannique, ont alors affirmé qu’ils appuyaient la Norvège dans sa lutte contre le terrorisme tandis que le Département d’État américain allait même jusqu’à révéler qu’un groupe musulman avait revendiqué la paternité de l’attentat.
Un peu plus tard, on avait abandonné l’hypothèse d’une cellule islamiste et on parlait de groupes anarchistes ou d’extrême gauche. Cela s’expliquait par la vague de privatisations un peu partout en Europe et ces jeunes qui s’opposent au courant ultra libéral avaient décidé de frapper fort.
Puis, au petit matin, la situation avait changé du tout au tout. Grosse surprise : il s’agissait d’un jeune homme blanc, cheveux blonds, yeux bleus et chrétien, Anders Behring Breivik, qui reconnaissait être l’auteur de ce massacre au nom de sa lutte contre l’envahissement de l’islam et des idées marxistes dans son pays. Il y est allé d’un long plaidoyer islamophobe et d’extrême droite, où l’on peut reconnaître certaines idées des partis politiques d’extrême droite européens, comme le Front national de Le Pen en France.
Que vont faire maintenant Obama et Cameron? S’ils ont dit qu’ils appuyaient la Norvège dans sa lutte contre le terrorisme (sous-entendu le terrorisme islamiste), vont-ils maintenant tenter de combattre, tel que promis, le terrorisme d’extrême droite, islamophobe et raciste qui est derrière cet attentat meurtrier?
Il est bon de rappeler que l’auteur de cet attentat était membre du Parti du Progrès, le deuxième parti politique de la Norvège, qui, avec 22,9% des votes lors des dernières élections législatives, tient un discours néolibéral et anti-immigration. Tout comme il est bon de souligner que le gouvernement progressiste norvégien avait décidé de se retirer du groupe des pays de l’OTAN qui bombardent actuellement la Libye et d’appuyer les efforts du peuple palestinien pour la reconnaissance de la Palestine comme pays à part entière à l’ONU, en septembre prochain.
C’est dans un tel contexte qu’Anders Behring Breivik a frappé, seul ou avec d’autres, car on peut supposer qu’il avait des complicités ou que ces attentats font partie d’un plan d’ensemble répondant à la « stratégie de la tension ».
Qu’est-ce que la « stratégie de la tension » ? Pas facile à expliquer brièvement. Disons que cette stratégie naît vers la fin des années 1980, avec l’effondrement de l’Union soviétique et la soi-disant fin de la Guerre froide. Les services secrets américains et anglais, essentiellement la CIA et le M15, planifient leur nouvelle façon d’agir. Ces organisations secrètes ont des liens étroits avec un réseau clandestin qui existait depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale : le réseau italien Gladio. En Italie, la loge maçonnique P2 a été associée au réseau Gladio, dont l’existence a été révélée en octobre 1990 par le premier ministre italien Giulo Andreotti.
En réalité, la Guerre froide se transforme en une guerre secrète visant à contrer la montée des forces du changement un peu partout dans le monde. Elle consiste à perpétrer, en Europe surtout, des attentats dont on attribue, dans un premier temps, la paternité aux forces de gauche. Ces actions violentes visent donc à susciter l’émergence de gouvernements autoritaires et à discréditer la gauche, socialistes et communistes confondus, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition.
(À suivre)
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La stratégie de la tension (suite)
Je veux revenir sur le contexte dans lequel s’inscrit la tuerie perpétrée par Anders Behring Breivik, ce tueur qualifié de fou par ceux à qui cela convient, comme cet éditorialiste de La Presse, Mario Roy, dont on se demande toujours sur quelle planète il vit.
La Norvège, dont le gouvernement est une coalition de centre-gauche dirigée par le Parti travailliste, s’apprêtait à annoncer, au moment des doubles attentats, qu’elle se retirait, le 1er août, de la coalition des pays de l’OTAN qui effectuent actuellement des bombardements meurtriers sur la Libye. «La solution aux problèmes en Libye est politique et non pas seulement militaire», avait affirmé le premier ministre norvégien. La Norvège est en train de donner de mauvaises idées à d’autres pays de la région et pourrait les inciter à faire de même, ce que les États-Unis et ses alliés voient d’un mauvais œil.
De plus, la Norvège s’apprêtait à reconnaître, à l’ONU, l’existence d’un État palestinien, en septembre prochain. Un dur coup pour la diplomatie américaine qui cherche par tous les moyens à empêcher la tenue d’un vote sur cette proposition aux Nations unies. Le Département d’État américain n’est pas loin d’affubler la Norvège du titre peu envieux d’État voyou qui transige avec les terroristes islamistes.
La presse américaine, anglaise, canadienne et même québécoise s’est empressée de parler d’Anders Behring Breivik comme un «tueur fou solitaire» et on l’a comparé à Lee Harvey Oswald, Sirhan Sirhan ou au Major de l’armée américaine Nidal Hasan qui, à Fort Hood, au Texas, en 2009, avait tiré sur des officiers. Or, des doutes persistent toujours sur cette théorie de la démence et de l’assassin solitaire. Plusieurs témoins affirment que sur l’île d’Utoya, il y avait au moins deux tireurs, qui opéraient à partir de deux endroits différents, ce qui semble fort plausible étant donné le nombre élevé de victimes.
Cette possibilité qu’il y ait eu plus d’un tueur détruit le mythe de l’acte isolé perpétré par un fou. Il s’agirait par conséquent d’une véritable conspiration visant à déstabiliser le gouvernement norvégien de gauche, mais cela, on ne veut pas le voir. C’est cela, la stratégie de la tension.
Selon la sociologue française Isabelle Sommier, «les attentats aveugles n’ont pas d’objectifs précis à court terme mais cherchent à déstabiliser un pouvoir ou un régime politique en minant le contrat qui lie les gouvernés aux gouvernants pris en défaut de protection et de sécurité, par exemple pour acclimater dans l’opinion publique l’idée de la légitimité d’un éventuel coup d’État qui viendrait mettre un terme au désordre», comme cela s’est produit dans les années 1970 en Italie avec des groupes d’extrême droite d’inspiration néofasciste. La tension, c’est quelque chose qui relève surtout des émotions.
Par ailleurs, drôle de coïncidence, un an auparavant, une section antiterroriste des forces policières d’Oslo avait mené une opération de simulation d’attaque à la bombe, avec de véritables explosions, au même endroit où les bombes ont explosé, le 22 juillet dernier, soit à quelques pas du bureau du premier ministre norvégien. Et puis, autre coïncidence : il y a quelques mois, la télévision norvégienne révélait que la CIA avait mis sur pied dans ce pays un réseau d’espionnage appelé Surveillance Detection Unit (SDU), en recrutant des officiers de police à la retraite. Le SDU est relié à une organisation plus large, le Security Incident Management Analysis System (SIMAS), chargé, entre autres, de la sécurité dans les ambassades américaines à travers le monde.
On peut supposer que ces réseaux ne sont pas passifs et qu’ils agissent selon le modèle du réseau italien clandestin Gladio dont j’ai parlé dans la chronique antérieure.
On verra, dans quelques mois ou années, si cette tuerie aura réussi à déstabiliser le gouvernement progressiste de la Norvège. Et si cette stratégie de la tension apparaîtra sur d’autres théâtres, en Europe, en Afrique, en Amérique latine ou en Asie, en déclenchant d’autres actions terroristes couvertes par la CIA et le M15, son équivalent britannique.
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